IV- la guerre de 1973

« Je tremble à la pensée de ce que le destin nous aurait réservé dans une telle situation, si nous avions dû faire face à une crise prolongée sur des jours et des jours » (Henri Kissinger, 1982, p. 688) 566 .

Avec une victoire écrasante lors de la guerre de 1967 et une supériorité militaire dotée d’un arsenal nucléaire de taille, Israël n'envisage pas un seul instant que les Arabes puissent un jour penser à franchir la ligne de Bar Lev. On considère que la dissuasion est acquise et fonctionne sans obstacles. Mais, cette dissuasion mise à mal en 1967, semble définitivement échouer en 1973. L’attaque -surprise- a lieu, montrant ainsi que Sadate n’est à son tour, après Nasser, pas dissuadé. Depuis 1967, le Caire, malgré l’arsenal nucléaire israélien, est obsédé par l’idée de reprendre le Sinaï. Des initiatives entreprises par Sadate ne donnent aucun résultat. Tout comme le plan Rogers de décembre 1969, qui n’a pas eu un accueil favorable en Israël, le Premier ministre Golda Meir déclare que son pays ne retournera jamais à la frontière d’avant 1967. Le gouvernement israélien, s’appuie sur la position du ministre de la Défense Moshe Dayan et l’ambassadeur à Washington Yitzhak Rabin. Ils font clairement passer le message selon lequel la dissuasion israélienne, qui a peut-être échoué envers Nasser avant 1967, est acquise depuis la victoire écrasante du Tsahal lors de la guerre des Six jours.

Cela est justifié par la supériorité militaire de l’IDF, (Israeli Defence Forces). S’appuyant sur la présence étendue de l’armée israélienne en Cisjordanie, au Sinaï et dans les hauteurs de Golan, MM. Rabin et Dayan font valoir que les Arabes ne sont plus en mesure de mener des attaques et que la dissuasion israélienne ôte toute volonté arabe dans ce sens. Il n’y a donc aucune raison d’échanger la terre contre la paix. Ce sentiment ne dure pas longtemps, car en juillet 1972, Sadate, annonce l’expulsion d’une majeure partie des experts soviétiques. Il tente un dernier test diplomatique lui permettant d’être sûr que le statu quo ne changera pas sans une action militaire. Il est par la suite convaincu qu’une autre guerre est nécessaire. Il se modernise et déjoue toutes les estimations militaires. En 1973, il attaque Israël. La dissuasion est de nouveau mise à mal. Les questions relatives à son succès ont alors, dès à présent, une réponse ferme. Elle a échoué. Le service israélien de renseignement militaire AMAN ne voit aucun signe de préparatif d’attaque. La CIA ne détecte rien et tout semble calme. Rien ne laisse présager qu’une guerre va avoir lieu. La guerre d'octobre intéresse pour plusieurs raisons, les spécialistes de la prise de décision. Parmi eux, on trouve des analystes tels que : Richard Ned Lebow, Janice Gross Stein, (1994) 567 , William P. Quandt, (1993) 568 , Kenneth Stein, (1999) 569 , Richard Parker, (2001) 570 , Walter J. Boyne, (2002) 571 . Ces auteurs essaient d’explorer l’échec de la dissuasion. Ils posent pour cela des questions de fond, telles que les objectifs égyptiens et syriens, les relations des superpuissances avec les belligérants ou encore l’échec des services d’Intelligence américains et israéliens en passant par le rôle de Moscou et de Washington. Depuis son accession au pouvoir en 1970, il est averti par les Soviétiques de ce qui se passe à Dimona. En effet, au début des années 1970, les activités à Dimona restent secrètes pour le monde entier, sauf pour l’Union soviétique.

Les Israéliens découvrent que des agents du KGB ont pénétré dans les bureaux des officiers du ministère de la Défense, et des informations top secret sont relayées vers Moscou et vers certaines capitales arabes, via le quartier général du KGB à Chypre. Durant le guerre de 1973 et lors des premiers jours de combat, l’armée israélienne subit des pertes considérables. Une contre-offensive israélienne est menée durant les trois premiers jours de la guerre et une défaite militaire de Tel-Aviv semblait réelle (Michael B. Oren, 2002, pp. 92-120) 572 . La situation devient critique et certains ministres proposent un cessez-le-feu, mais Tel-Aviv met en place une alerte nucléaire (Zeev Maoz, 2003) 573 . Tel-Aviv obtient alors une aide militaire américaine. C’est suite aux rencontres entre Kissinger et l’ambassadeur israélien le 9 octobre, à Washington, qu’un pont aérien se met en place. Dès le 14 octobre une attaque massive est lancée aboutissant, quelques jours après, à isoler la 3ème armée égyptienne par le général Sharon (Walter J. Boyne, 2002) 574 . Cette guerre est un exemple d’échec de la dissuasion israélienne. Elle montre aussi l’échec de l'Intelligence des États-Unis dans la perception de l’imminence de la guerre. « Notre difficulté était en partie que nous avons été soumis à un lavage de cerveau par les Israéliens, qui se sont eux-mêmes soumis à un autolavage de cerveau », déclare le chef de l'Intelligence du département d'État, Cline Rayon (William B. Quandt, 1993, pp. 150-151), (R. Parker, 2001, p. 127) 575 . Malgré les craintes américaines d’une possible attaque arabe, selon les informations d’Intelligence, Washington et Tel-Aviv continuent de croire qu’une attaque est impensable car la dissuasion fonctionne bien. À la fin du mois de septembre 1973, le roi Hussein de Jordanie informe Golda Meir que les armées égyptiennes et syriennes prennent des dispositions pour mener une attaque. Le 4 octobre, les services d’espionnage israélien rapportent qu’une attaque se prépare. Le jour-même, les ressortissants soviétiques commencent à quitter l’Égypte et la Syrie. Le 5 octobre, Golda Meir envoie un message urgent au Secrétaire d’État Kissinger. « Les préparatifs de la guerre commencent à être clairs » écrit le Premier ministre Golda Meir (Kenneth W. Stein, 1999, p. 72) 576 , (Galia Golan-Gild, 2000, pp. 122-152) 577 .

Une source -qui peut avoir été un agent double- fournit l'avertissement selon lequel la guerre commence le jour-même. Mme Meir convoque d’urgence l’ambassadeur américain à Tel-Aviv, et lui signifie qu’elle possède des informations de source fiable signifiant qu'une attaque conjointe égypto-syrienne est imminente. Choquée et étonnée par la possibilité de guerre, Golda Meir les transmet à Washington en urgence, de la façon suivante : « nous allons peut-être avoir des ennuis » (Annexe 131) 578 . À Washington, on explique qu’il n’y a pas de signe d’attaque conjointe. Ils interprètent les informations et les signes de guerre comme une possible crise avec Moscou (Annexe 146) 579 . Le cabinet du Premier ministre Golda Meir tire des conclusions comme : les Égyptiens et les Syriens anticipent une attaque israélienne ou encore ils entendent lancer une offensive. Dans ce contexte, Golda Meir demande à Kissinger de rassurer les Arabes et les Soviétiques qu’elle n’entend pas attaquer mais si Israël est attaqué, il ripostera avec force (Annexe 137) 580 . Certains des conseillers de Golda Meir lui suggèrent une attaque préventive, mais le Premier ministre a assuré Keating- ambassadeur américain- qu'Israël ne lancerait pas une attaque préventive. Elle a voulu, sans doute, éviter qu’Israël soit accusé de frapper toujours le premier (Ephraim Kahana, 2002, pp. 95-96) 581 , (Michel B. Parker, 2001, p. 99) 582 et (Kenneth Stein, 1999, p. 71) 583 . Kissinger, quelques heures avant la guerre, appelle l’ambassadeur israélien, le conseillant d'informer son gouvernement de ne pas recourir à une attaque préventive. Kissinger n'a jamais reconnu une telle demande auprès des Israéliens. Plus tard, après avoir reçu des assurances israéliennes au sujet des attaques préventives, il dit à Dobrynin et au ministre égyptien des Affaires étrangères Zayaat qu'il n'y aurait aucune attaque préventive israélienne. Le 6 octobre 1973, le Secrétaire d’État Kissinger, envoie un télégramme urgent à Amman et à Riyad leur demandant d’intervenir afin de persuader Sadate de ne pas mener une attaque. Il justifie sa démarche en proposant aux rois Hussein et Faysal d’informer le Caire et Damas que les Israéliens n’entendent pas mener une attaque contre leurs pays respectifs et que Washington a fortement conseillé Tel-Aviv de ne pas recourir à des attaques préventives (Annexe 138) 584 . À 6 heures du matin, l’adjoint au Secrétaire d'État Joseph Sisco réveille Kissinger avec le message de Keating. Kissinger, prend immédiatement les choses en main et commence une série d’appels téléphoniques et à envoyer des messages à toutes les parties intéressées. Kissinger contacte son homologue Dobrynin. Il lui demande que les Soviétiques interviennent auprès du Caire et de Damas pour arrêter le plan d’attaque. Les Israéliens procèdent à la mobilisation de 100.000 soldats, mais cette opération est désorganisée et demande plusieurs jours. À 14h00, les Égyptiens et les Syriens, aidés par un plan de tromperie réussi, lancent leur attaque surprise (Annexe 141) 585 .

Notes
566.

Henri Kissinger, Les années orageuses , Paris, Fayard, 1982.

567.

Richard Ned Lebow, Janice Gross Stein, We All Lost the Cold War , Princeton: Princeton University Press, 1994, 566 pages.

568.

William P. Quandt, Peace Process: American Diplomacy and the Arab-Israeli Conflict Since 1967 , California, University of California Press, 1993.

569.

Kenneth W. Stein, Heroic Diplomacy: Sadat, Kissinger, Carter, Begin, and the Quest for Arab-Israeli Peace , New York, Routledge, 1999.

570.

Richard Bordeaux Parker, The October War: A Retrospective , Gainesville, Florida, University Press of Florida, 2001.

571.

Walter J. Boyne, The Two O'clock War: the 1973 Yom Kippur Conflict and the Airlift That Saved Israel, New York, Thomas Dunne Books, 2002.

572.

Michael B. Oren, 2002, Six Days of War: June 1967 and the making of The Modern Middle East , New York, Oxford University Press, 2002.

573.

Zeev Maoz, “The Mixed Blessing of Israel’s Nuclear Policy”, International Security, Vol. 28, N. 2 – fin 2003.

574.

Walter J. Boyne, The Two O'clock War: the 1973 Yom Kippur Conflict and the Airlift That Saved Israel , New York, Thomas Dunne Books, 2002.

575.

William P. Quandt, Peace Process: American Diplomacy and the Arab-Israeli Conflict Since 1967 , California, University of California Press, 1993 et Richard Bordeaux Parker, The October War: A Retrospective , Gainesville, Florida, University Press of Florida, 2001.

Voir aussi : Secretary's Staff Meeting, 23 October 1973, 4:35 p.m, Source : Transcripts of Secretary of State Henry A. Kissinger, Staff Meetings, 1973-1977. Box 1.

576.

Kenneth W. Stein, Heroic Diplomacy: Sadat, Kissinger, Carter, Begin, and the Quest for Arab-Israeli Peace , New York, Routledge, 1999.

577.

Galia Golan-Gild, “The Soviet Union and the Yom Kippur War, Twenty-five years later”, in Kumaraswamy, Revisiting the Yom Kippur War , 2000, 249 pages.

578.

Annexe 131, U.S. Embassy Israel, Cable 7766 to Department of State, 6 October 1973, “GOI Concern About Possible Syrian and Egyptian Attack Today” Source : NPMP, National Security Council Files (hereinafter NSCF), box 1173, 1973 War (Middle East) 6 Oct. 1973, File No. 1 (1 of 2)

Voir aussi : William P. Quandt, Peace Process: American Diplomacy and the Arab-Israeli Conflict Since 1967 , California, University of California Press, 1993, p. 542 et Kissinger, Years of Upheaval , Boston, Little, Brown, 1982, pp. 465-466.

Concernant la copie de la lettre envoyée à Dobrynine, voir HAKO, box 68, Dobrynin/Kissinger Vol. 19 July 13, 1973-Oct., 11, 1973.

579.

Annexe 146, Arab Israeli Tension, Memorandum of the White House. From William B. Quandt, to Brent Scowcroft, 6 october 1973. Source : National Security Archive.

580.

Annexe 137, Memorandum, Deputy Assistant to the President for National Security Brent Scowcroft to Kissinger, 5 October 1973, enclosing message from Israeli Prime Minister Golda Meir (passed through Israeli chargé Shalev. Source : NPMP, HAKO, box 136, Dinitz June 4, 1974, Oct. 1973.

Pour plus de sources sur les rapports d’espionnage d’avant 1973. Ephraim Kahana, “Early Warning Versus Concept,” Intelligence and National Security, N° 17, été 2002, pp. 81-104. Bar-Joseph, “Israel's 1973 Intelligence Failure,” in R.M. Kumaraswamy, Revisiting the Yom Kippur War, London, Frank Cass, 2000, pp. 10-35. Voir aussi : Michel B. Parker, October War , 1993, pp. 86-88.

581.

Ephraim Kahana, “Early Warning Versus Concept,” Intelligence and National Security, N° 17, été 2002, pp. 81-104, notamment pp. 95-96,

582.

Richard Bordeaux Parker, The October War: A Retrospective , Gainesville, Florida, University Press of Florida, 2001.

583.

Kenneth W. Stein, Heroic Diplomacy: Sadat, Kissinger, Carter, Begin, and the Quest for Arab-Israeli Peace , New York, Routledge, 1999.

584.

Annexe 138, “Message from Secretary to King Faisal and King Hussein”. U.S. Department of State cable 199583 to U.S. Embassies Jordan and Saudi Arabia’’, 6 October 1973. Source : National Security Archive, NPMP, National Security Council Files (hereinafter NSCF), box 1173, 1973 War (Middle East) 6 Oct. 1973, File No. 1 (1 of 2).

585.

Annexe 141, Message from Kissinger, New York, to White House Situation Room, Président Nixon 9h00, 6 octobre 1973. Source : National Security Archive, NPMP, NSCF, box 664, Middle East War Memos & Misc October 1-October 17, 1973