L’alerte israélienne (too soon or too late)

Lors de la plus grande épreuve militaire d’octobre 1973, selon des sources concordantes, note Amnon Kapeliouk (1999) 591 , Israël a mis secrètement son arsenal atomique en état d’alerte. C’est ce qu’écrit aussi Thierry Garcin (1995, p. 30) 592 . Garcin souligne que durant cette guerre, Israël a mis ses forces nucléaires en état d’alerte totale. D’après Seymour Hersh (1991), Washington est averti. Lorsque le Premier ministre Golda Meir et son cabinet mettent des missiles Jéricho à Hirbat Zachariah, et des avions F-4 à Tel Nof en alerte, ils les ont armés avec des bombes nucléaires, prêtes à l’usage contre des cibles syriennes et égyptiennes. D’après William Burrows et Robert Windrem, Henri Kissinger aurait été tenu au courant de cette opération quelques heures plus tard, le 9 octobre 1973. Washington, suite à ce fait, décide d’ouvrir le couloir d’aide matérielle dès le 14 octobre. Le 9 octobre 1973, les pertes israéliennes font monter les craintes du côté de Washington. On craint que ces signes de pertes soient à la fois les prémisses d’une victoire arabe et ceux d’une défaite israélienne. Washington craint aussi une influence soviétique accrue dans la région et s’inquiète pour ses intérêts et ses ressortissants. Une défaite israélienne est considérée comme non-tolérable selon les propos de Kissinger tenus devant ses conseillers le 23 octobre 1973. (Annexe 147) 593 .

Le dilemme est donc d’agir. Mais la question est de savoir si une action prise serait prématurée ou trop tardive (too soon, ou too late). Le 9 octobre, est le jour où l’armée israélienne place dans le désert plusieurs lance-missiles afin qu’ils soient visibles par les satellites américains et soviétiques. Tel-Aviv fait savoir que les missiles sont équipés d’ogives nucléaires et sont prêts à frapper les capitales arabes. Israël demande alors une aide militaire américaine urgente, avant qu’il ne soit trop tard. Tandis que Golda Meir rejette la proposition du Conseil militaire portant sur l'usage de l’arme nucléaire ; elle opte pour armer et mettre en alerte des missiles Jéricho -et leur système nucléaire- au moins pour influencer Washington (Avner Cohen, 2000, pp. 117-119) 594 , (Avner Cohen, 2003) 595 , (Seymour Hersh, 1991, pp. 225-230) 596 et (Walter Isaacson, 1992, pp. 517-522.) 597 . Kissinger n’a jamais parlé de cette question et aucun document n’est disponible à ce sujet aux États-Unis. Il n’y a pas non plus de trace écrite concernant cette alerte nucléaire israélienne dans les documents officiels, ni au département d’État ni à la Maison Blanche, ni ailleurs. Les Israéliens font savoir que l’arme nucléaire peut les sauver d’une situation de défaite si une aide militaire urgente, comme alternative, n’est pas offerte de la part de Washington. Le Tsahal place des missiles dans le désert et font savoir qu’ils sont dotés d’ogives nucléaires. Cette mise en scène a une visée et un message à faire passer : obtenir l’aide militaire urgente ou alors les missiles partiront. La rencontre entre l’ambassadeur Dinitz, accompagné de son attaché militaire Israélien et H. Kissinger a lieu à 8h20 du matin. À 18h10, une autre rencontre a lieu entre Kissinger et Dinitz en présence du ministre israélien Mordechaï Shalav. Kissinger fait savoir à ses interlocuteurs que le Président Nixon répond favorablement à toutes leur demandes en armement. Toutes les pertes israéliennes sont remplacées (Annexe 149) 598 . De nouveau, les deux hommes se parlent en privé pendant 10 minutes. Dès le 14 ocrobre, le pont aérien se met alors en place entre Washington et Tel-Aviv. 25 ans après la guerre de 1973, Yuval Neeman (1998) 599 , l’une des figures du programme nucléaire israélien, écrit que les Israéliens, lors d’un moment critique de la guerre de 1973, ont bien déployé les missiles Jéricho -capables de porter des ogives nucléaires-. M. Neeman souligne tout de même que « les missiles étaient bien déployés. » Neeman ne peut pas confirmer qu’ils étaient chargés de têtes nucléaires. Il pense que « cette opération n’impliquait pas des têtes nucléaires. » Mais selon Neeman, « les dirigeants israéliens auraient reçu des photos satellites américaines indiquant que les Égyptiens auraient armé des missiles Scuds avec des têtes nucléaires russes » (…) « En conséquence, explique M. Neeman, les dirigeants israéliens ont opté pour le déploiement des missiles Jéricho. » Le chef des armées de l’époque David El-Azar aurait délibérément choisi une zone libre dans le désert, afin que les satellites soviétiques puissent les détecter facilement. Les Israéliens, en plaçant les missiles dans une zone libre du désert pour être visibles par les satellites soviétiques et américains, font passer leur message d’une alerte nucléaire auprès des Américains et des Soviétiques. En direction de Moscou, et donc des capitales arabes, par ce jeu de missiles, les Israéliens font savoir que leurs missiles sont prêts à partir. En direction de Washington, le message est clair : Tel-Aviv doit obtenir une fourniture d’armes, faute de quoi les missiles seront lâchés. Dès le 14 octobre, un couloir militaire est ouvert entre Washington et Tel-Aviv. C’est ce qui va permettre au général Sharon d’encercler la IIIème armée égyptienne et violer un cessez-le-feu, voté par les Nations unies, quelques jours plus tard (Annexe 133 et Annexe 134) 600 .

Notes
591.

Amnon Kapeliouk, “Israël assume «sa» bombe”, Le monde diplomatique, édition de février 1999.

592.

Thierry Garcin, L’avenir de l’arme nucléaire , Paris, Axes savoir, 1995, 152 pages.

593.

Annexe 147, Transcript, “Secretary's Staff Meeting, 23 October 1973, 4:35 p.m. Source : National security Archives, Transcripts of Secretary of State Henry A. Kissinger Staff Meetings, 1973-1977. Box 1.

594.

Avner Cohen, “Nuclear Arms in Crisis Under Secrecy: Israel and the Lessons of the 1967 and 1973 Wars,” in Peter R. Lavoy, Scott D. Sagan, James J. Wirtz, Planning the Unthinkable: How New Powers Will Use Nuclear, Biological, and Chemical Weapons , Ithaca, Cornell University Press, 2000, pp. 117-119.

595.

Avner Cohen, “The Last Nuclear Moment,” New York Times, 6 October 2003.

596.

Seymour Hersh, The Samson Option , New York, Random House, (1991, pp. 225-230).

597.

Walter Isaacson, Kissinger : A Biography , New York, Simon & Schuster 1992.

598.

Annexe 149, Memcon between Dinitz and Kissinger, 9 October 1973, 6:10-6:35 p. m. Source : National Security Archive, RG 59, SN 70-73, Pol Isr-US.

599.

Dépêche Reuters, Mideast-Nuclear, du 26 septembre 1998.

600.

Annexe 134,Mideast Maps, 1973 October War, (Yom Kipur War), Egyptian Front. Voir aussi : Annexe 133, Mideast Maps, 1973 October War, (Yom Kipur War), Syrian Front.