Crise entre les deux puissances

Le Tsahal est à l’ouest du canal de Suez. Il encercle la troisième armée égyptienne. On parle alors d’une possible prise du Caire. Suite à cette situation, Léonide Brejnev décide d’envoyer des troupes russes pour protéger les armées égyptiennes. Le monde échappe alors à une guerre nucléaire que l’administration Nixon a failli déclencher, suite à l’annonce de l’intervention soviétique. En 1973, Israël totalise une vingtaine de têtes nucléaires avec au moins, trois lanceurs de missiles opérationnels dans le site de Hirbat Zachariah. Les Israéliens possédent aussi un nombre non comptabilisé de missiles Jéricho-I, selon un plan appelé projet 700. Ces missiles sont opérationnels depuis 1971 et sont capables de toucher des cibles au sud de la Russie, la ville de Tbilissi en Géorgie, -près des champs de pétrole- ou encore la ville de Bakou sur la côte de la mer Caspienne. Tel-Aviv possède aussi des avions F-4 -achetés aux américains en 1969- susceptibles de servir de vecteurs pour des têtes nucléaires. Ils sont stationnés dans des sites souterrains à la base aérienne de Tel Nof près de Rihovot. Ces avions F-4 -pilotés par les élites de la force aérienne israélienne- peuvent voler sans ravitaillement jusqu’à Moscou, explique Seymour Hersh (1991, p. 216) 619 . « L’extraordinaire escalade internationale d’un conflit régional -le conflit judéo-arabe de Palestine né dans l’empire Ottoman -, un temps contenu et isolé par la Grande-Bretagne -puissance mandataire-, s’est internationalisé de façon croissante jusqu’à constituer, à partir de 1967 et surtout à partir d’octobre 1973, le problème le plus grave du système international, et le plus à même de susciter un affrontement direct entre les deux principales puissances » (Charles Zorgbibe, 1995, p. 178) 620 .

La question est la suivante : Le monde a-t-il échappé à une guerre nucléaire mondiale durant le conflit de 1973 ? Américains et Soviétiques échangent de nouveau des messages d'ultimatum faisant penser aux messages de la crise de Cuba en 1962. Concernant ces événements de l'automne 1973, Raymond Aron (1985) 621 considère que l’accord américano-soviétique ne change rien au déroulement de la crise : l’alerte nucléaire du 25 octobre montre bien que les deux grands côtoient l'abîme -comme onze ans plus tôt-. Ce à quoi il peut être répondu que l'alerte nucléaire fait partie du jeu des deux Grands : les Soviétiques ne peuvent en aucun cas accepter la destruction de la troisième armée égyptienne ; les États-Unis ne veulent, en aucun cas, de la présence d’une force conjointe américano-soviétique. Risque nucléaire présent à partir de 1967, risque économique, surgi avec l’utilisation de l’arme pétrolière en 1973 : l’engagement des deux Grands est profond. Il se manifeste par des livraisons démesurées d’armements et par une activité diplomatique intense (Charles Zorgbibe, 1995) 622 .

Le 22 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU ordonne, par la résolution 338, un cessez-le-feu. La résolution est acceptée par l’Égypte, la Jordanie et Israël (sous la pression des États-Unis) alors que l’armée israélienne commence l’encerclement de la troisième armée égyptienne, dans le secteur du canal. Le 23 octobre, la Syrie accepte à son tour le cessez-le-feu. Le jour même, les Israéliens atteignent Suez et Ismaïlia. On parle alors d’un plan élaboré par le général Ariel Sharon (actuel Premier Ministre), de se diriger vers le Caire. Mais, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une nouvelle résolution -la 339- pour obtenir le retour des belligérants sur les lignes du 22 octobre. Suite à une demande égyptienne, Moscou se prépare ouvertement à l’envoi de troupes aéroportées, destinées à garantir le cessez-le-feu. Le Président Nixon réplique le 23 octobre, et déclenche la mise en état d’alerte des forces américaines dans le monde entier. Devant l’orage, la direction soviétique se montre très prudente : dès le soir du 25 octobre, le délégué soviétique aux Nations unies accepte la demande américaine d’exclure de la force d’urgence -en voie d’être constituée-, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. L’alerte nucléaire du 25 octobre permet de réaliser un compromis qui prend place dans la dialectique des interactions écrit Charles Zorgbibe (1980) 623 . Les deux superpuissances se placent à leur tour, en situation de menace mutuelle, et passent à la phase de l’alerte nucléaire effective. Les Américains, placent leurs forces sous alerte de niveau III : DefCon III (sur une échelle de V) 624 . Moscou place ses divisions aéroportées sous alerte maximum (Annexe 160, p. 3, §. 3) 625 . Les alertes des deux superpuissances répondent, entre autres, à des besoins et à des enjeux stratégiques. Les Américains ont besoin d’effacer l’influence soviétique dans la région, notamment en Égypte. Les Soviétiques ont besoin de protéger ce qu’il reste de leurs intérêts dans la région. Le nucléaire devient alors une scène sur laquelle se joue l’avenir de toute la région. Il pose la règle d’interaction entre les deux superpuissances et clarifie d’avantage le domaine des relations internationales, et ce jusqu’à la chute du mur de Berlin.

Notes
619.

Seymour Hersh, The samson Option, New York, Random House, 1991, 354 pages.

620.

Charles Zorgbibe, Histoire des relations internationales , Paris, Hachette, 1995, tome IV.

621.

Raymond Aron, Guerre et paix entre les Nations , Paris, Calmann-Lévy, 1962, 794 pages.

622.

Ibid.

623.

Charles Zorgbibe, La Méditerranée sans les Grands , Paris, PUF, 1980. Terres trop promises , Paris, Manufacture, 1981. Ciro E. Zoppo, Charles Zorgbibe, On Geopolitics – Classic and Nuclear , Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1985.

624.

DefCon-5 Normal, peacetime readiness; DefCon-4 Normal, increased intelligence and strengthened security measures ; DefCon-3 Increase in force readiness above normal readiness ; DefCon-2 Further Increase in force readiness, but less than maximum readiness ; DefCon-1 Maximum force readiness.

625.

Annexe 160, Memcon between Kissinger and Huang Zhen, Department of State. 25 October 1973, 4:45 - 5:25 p. m. Source : National Security Archive, RG 59, Records of the Policy Planning Staff, Director's Files (Winston Lord), 1969-1977. Box 374. China - Sensitive July 1973 - February 1974.