Deuxième partie : l’ambiguïté

Chapitre VII : l’ambiguïté

« La dissuasion créée par l'ambiguïté traditionnelle ne fonctionne plus » Ephraim Sneh, Président du sous-comité de la Défense de la Knesset, 5 août 1998 ( 647 ).

Les Égyptiens qui, tout en déclenchant la guerre de 1973 ont feré les yeux sur le nucléaire israélien, ne manquent pas une seule occasion pour notifier que l’existence des armes nucléaires chez leur voisin israélien, présente un danger pour leur sécurité (voir les interviews du Président Moubarak en annexes vidéo). C’est à la veille du 25ème anniversaire de la guerre de 1973, que le Président Moubarak annonce que : « la paix doit être soutenue par la puissance. Les Israéliens veulent monopoliser toutes les armes, les armes nucléaires et les missiles, tout en déniant aux autres le droit de s’en procurer. » Ces déclarations, publiées par le journal égyptien Al-Ahram International du 6 octobre 1998, citent par ailleurs que le Président égyptien, lors d’une interview sur la deuxième chaîne de télévision israélienne, s’étonne de l’inquiétude manifestée par les Israéliens à propos du programme d’armement égyptien. « Sentez-vous une inquiétude ?se demande Moubarak.N’avez-vous pas des armes nucléaires, chimiques et biologiques ? N’avez-vous pas des missiles de longue portée ? Qui, de nous ou de vous, doit sentir l’inquiétude ? » D'après Seymour Hersh, en ce qui concerne le cas israélien, il y a des questions qui s'imposent : «Le monde peut-il se permettre de prétendre qu’Israël n’est pas une puissance nucléaire seulement parce que cela soulèvera des débats difficiles ? L’État hébreu, qui se repose sur un soutien moral et matériel des États-Unis, continuera-t-il à jamais, de bénéficier de 2 poids 2 mesures par rapport aux autres pays comme l’Inde, le Pakistan, la Corée du nord ( 648 ), l’Irak ( 649 ) ou encore l’Iran », se demande dans The Samson option, Seymour Hersh (1991) 650 . L'environnement des années 50 n'est plus celui de l'an 2000. Certains défis sont nouveaux. Israël a su faire face aux défis des années 50, 60, 70, ainsi qu’à ceux des années 80. La fin de millénaire apporte d’autres défis non prévus et face auxquels les armes nucléaires israéliennes sont impuissantes, comme les groupuscules armés qui remettent en question la doctrine nucléaire israélienne. C’est ce qui procure un sentiment de frustration en Israël. Dans ce cas bien précis, Israël est, selon Jean-Paul Joubert, une puissance frustrée. Pour s’adapter aux nouveaux changements les Israéliens apportent des retouches à leur politique. C’est le cas pour les différentes étapes de retrait du Tsahal. Ariel Sharon, en mai 2004, demande à son parti (le Likoud), de voter son plan de retrait de Gaza. Le référendum a lieu au sein du parti et son plan est rejeté, mais cinq mois après, c’est la Knesset qui, avec le soutien du parti travailliste et de Shimon Pérès, vote et adopte le plan de retrait le 26 octobre 2004.

Quatre ans auparavant, le travailliste Ehud Barak, et avant l’heure, décide de retirer les troupes de Tsahal du sud Liban. Ce retrait prématuré de l’armée israélienne du sud Liban en 2000, et précipitamment six semaines avant la date fixée avec les Nations unies, laisse planer des questions sans réponses sur les capacités des Israéliens à faire face aux nouveaux défis du troisième millénaire -surtout l’avenir de la présence des forces syriennes au Liban-. Ces changements apportent des questions nouvelles. Des questions restent sans réponses en référence aux symboles, et aux mythes de l’État hébreu, bâti il y a plus de 50 ans. C’est ce qui a été idéaliste et certains, comme Mark A. Heller (2000) 651 , n’hésitent pas à qualifier la doctrine nucléaire israélienne de « probablement naïve. » Le troisième millénaire apporte de nouveaux défis alors qu’Israël est doté de l’arme nucléaire et des techniques les plus avancées sur le plan militaire, y compris des satellites d’espionnage et des missiles. Les nouveaux changements imposent aux Israéliens une nouvelle ligne politique et sécuritaire ainsi qu’un changement dans la société israélienne elle-même. Les experts militaires s’interrogent sur la possibilité de l’usage militaire des armes de destruction massive dans la région y compris les armes nucléaires. Un geste suicidaire qui aboutirait à un usage de la bombe peut-il se produire un jour dans la région ? Dans une région où quatre guerres ont opposé Israéliens et Arabes, une cinquième guerre régionale n’est pas exclue. Sera-t-elle nucléaire ? Le Président Moubarak, dans une interview en (1998) 652 , explique qu’« il n’ y a pas lieu d’avoir une nouvelle guerre dans la région, mais pour garantir la paix, il faut une force. Je dis aux Israéliens que leur arrogance de force, et l’allusion à la guerre est dangereuse. » Dans une petite région, avec une proximité géographique très close, l’usage de l’arme nucléaire touchera aussi bien utilisateurs que destinataires. C’est ce qui renvoie à la pensée de John Mueller (1988) 653 , qui avance l’idée selon laquelle l’arme nucléaire est, dans ces conditions, une arme obsolète. D’autres, comme l’école néo-réaliste, avancent l’idée selon laquelle il faut plus d’armes nucléaires dans la région afin de garantir la stabilité régionale. C’est la pensée de Kenneth Waltz et son école néo-réaliste qui tendent à dire “More is Better’’. La diffusion des armes de destruction massive au Moyen-Orient paraît inéluctable à long terme, et que les implications de cette diffusion, semblent être extrêmement préoccupantes pour la stabilité régionale (Michel Fortman, 1993).

Le continuum sécurité/insécurité est un jeu de vases communicants. Plus de sécurité chez l’un, implique baisse de sécurité chez l’autre. La nouvelle logique régionale et depuis les multiples accords de paix, a changé la logique d'armement. Elle devient celle d'une course à l'armement basée sur l’acquisition des techniques de combat et de la dernière technologie militaire. De ce point de vue, aussi bien Arabes qu’Israéliens, les forces se sont équilibrées. Les armées arabes se sont modernisées et dispose de la technologie de pointe dans ce domaine. La supériorité militaire israélienne n’est plus comme ce qui était le cas, il y a quelques décennies. Cette logique rejoint celle qui façonnait la relation entre Américains et Soviétiques durant la guerre froide : celle de la peur d'une éventuelle agression. L'armement devient alors le seul garant de la perception stabilisatrice, pour l'un et l'autre des systèmes dans la région, note A. H. Cordesman (1984) 654 .

Notes
647.

Barbara Opal-Rome, “Israel Officials Hint at Cracks in Nuclear Code of Silence,” Defense News, 14-20 September 1998, p. 6.

648.

Selon le rapport de la CIA publié le 19 avril 2001, la Corée du nord possède une ou deux bombes atomiques. Dans un discours à l’Université du Texas, le directeur adjoint de la CIA M. John McLaughlin a annoncé que Pyongyang a fabriqué l’arme nucléaire dans l’usine nucléaire Yongbyon malgré un accord signé en 1994 qui prévoyait l’arrêt de l’activité de cette usine. L’Inde et le Pakistan se sont déclarés comme puissances nucléaires suite aux tests mutuels en mai et juin 1998.

649.

Le pentagone étudiait en avril 2001, deux ans avant la guerre contre l’Irak en mars 2003, des moyens éventuels, y compris nucléaire, de percer des bunkers souterrains contenant, selon Washington, des arsenaux d’armes chimiques ou bactériologiques. Cette étude, selon la Fédération des scientifiques américains (FAS), organisme favorable au désarmement, devait être présenté au Congrès le 1er juillet 2001. Cette information avait été rendue publique par le porte-parole du Pentagone le lieutenant-colonel Steve Campbell le 17 avril 2001. La guerre contre l’Irak a lieu et ses bunkers n’ont jamais été trouvés.

650.

Seymour M. Hersh, The Samson Option: Israel's Nuclear Arsenal and American Foreign Policy , New York, Random House, 1991, 354 pages.

651.

Mark A. Heller, Assessing the israeli-palestinian balance of power , Strategic Assessment, Vol. 3, N. 2, août 2000.

652.

Dans une interview publiée par le journal gouvernemental Al-Ahram International du 29 septembre 1998.

653.

John Mueller, Retre at from Doomsday : The Obsolescence of Major War , New York, Basic Books, 1988, 325 pages.

654.

Anthony H. Cordesman, The Gulf & the West , London, Westview Press, 1984, 526 pages.