Se déclarer ou non ?

Avner Cohen, (1998) 662 , observe que la politique nucléaire israélienne est particulière. L’ambiguïté permet au pays de maintenir un monopole nucléaire dans le Moyen-Orient tout en évitant les responsabilités politiques liées à la possession déclarée des armes nucléaires. Emily Landau (1998) 663 , considère que, depuis 1990-91 et depuis la guerre du Golfe, le développement le plus significatif en Israël est que la posture nucléaire israélienne se place au centre d’un débat public. D’après Landau, c’est un des effets de la guerre contre l’Irak en 1991. Mais, E. Landau, note que les exigences incessantes de la part des Égyptiens, lors de la signature du TNP en 1995, jouent aussi un rôle dans ce changement. C’est l’idée du Caire de créer une zone exempte d’armes de destruction massive qui prend chemin depuis 1995, (Mohammed Shaker, 1998) 664 . C’est l’époque durant laquelle Shimon Pérès, alors Premier ministre déclare : « donnez moi la Paix et je renonce à l’Atome. » (P. R. Kumaraswamy, 1995) 665 .

Josef Fitchett (1997) 666 , dans un article publié par The International Herald Tribune, explique que c’est en réponse aux efforts des Iraniens d’acquérir des armes de destruction massive, que le débat autour de l’arme nucléaire israélienne voit le jour. Serge Schmemann (1998) 667 , pense que la politique de l'ambiguïté nucléaire parvient à créer un climat de dissuasion sans avoir les contraintes d’un statut de puissance déclarée qui incomberait des sanctions contre l’État hébreu. Si d'autres États dans le Moyen-Orient acquièrent les armes nucléaires, Israël pourrait changer sa politique d'ambiguïté suivie depuis longue date et se déclarer comme une puissance nucléaire. Mais une telle décision pourrait motiver les pays arabes et l'Iran pour acquérir ou augmenter leurs produits chimiques et armes biologiques ( 668 ). La guerre de 1967 a bien démontré aux israéliens que l’ambiguïté peut servir la doctrine de la dissuasion israélienne. Benyamin Netanyahou (1995) 669 . Tel-Aviv conclut que l’ambiguïté a des avantages qui dépassent largement les inconvénients. Les Israéliens apprennent à jouer le double jeu envers Washington. Mais, le refus de signer le TNP en 1968, soulève un lourd poids sur l’ambiguïté israélienne. La troisième et dernière visite de Dimona a lieu en juillet 1969. Le rapport de cette visite montre la frustration des experts qui considèrent que leur visite était guidée et ne peut être appelée une réelle visite d’inspection. Les membres demandent un appui de l’administration Nixon pour un accès correct au site, pour mener un vrai travail d’inspection -notamment l’accès aux documents-, et pouvoir discuter avec les ingénieurs israéliens.

Le rapport note bien le manque de soutien de la part de l’administration pour un réel travail d’inspection (Annexe 108, §. 3) 670 . Les visites sont intégrées dans la nouvelle ligne de coopération conclue entre le Président Nixon et Golda Meir. C’est lors de la visite du Premier ministre israélien Meir à Washington, le 25 septembre 1969, que ces accords sont scellés. Il n’y aura alors plus aucune visite américaine du site de Dimona. Les trois articles de presse parus en l’espace d’un mois et juste après le conflit de 1967 (New York Times, Newsweek et Haaretz), laissent à penser que cette crise allait forcer les Israéliens à changer de politique. Mais, l’État hébreu se cache derrière le fait que ces informations sont fausses et non-fondées.

Jusqu’en 1968, -année de la signature du TNP-, l’ambiguïté est alors suivie. Le TNP vient pour confirmer que les Israéliens entendent suivre cette voie et ne pas signer le traité. Les élections américaines de 1968, permettent à Levi Eshkol de penser qu’il peut encore attendre un peu avant de s’engager et prendre une décision. Gerald M. Steinberg, directeur du centre Conflict Resolution à l'université Bar-Ilan, pense qu’Israël est peu susceptible de reconnaître ouvertement ses capacités en effectuant des essais nucléaires. Il note que depuis les années 60, les gouvernements israéliens, les partis politiques, les idéologies très diverses ont honoré les engagements d'Israël envers les États-Unis. Depuis l’essai indien, puis l’essai pakistanais, en 1998, la scène nucléaire internationale a changé d’aspect. C’est en contraste avec le seul essai indien en 1974 et appelé pacifique, que les Pakistanais mené six ou sept essais entre-temps. Le résultat est que l’Inde et le Pakistan, qui suivaient une politique nucléaire ambiguë, sont devenus des puissances nucléaires de facto. Le nombre de puissances augmente. On en compte 7 au lieu de 5. L’équilibre installé depuis 1964, -année où la Chine s’impose comme puissance aux quatre existantes-, est ébranlé. Gerald Steinberg (1998) 671 , se demande si l’Iran et l’Irak seront les prochains candidats à devenir des puissances nucléaires. Depuis l’occupation des forces américaine en Irak en 2003 ( 672 ), la Corée du Nord compte parmi les puissances nucléaires du Sud-Est asiatique. La prolifération est en marche.

Notes
662.

Avner Cohen, Israel and the bomb , New York, Columbia University Press, 1998.

663.

Emily Landau, “Change in Israeli Nuclear Policy ?” Strategic Assessment Vol 1, N° 1, (March 1998).

664.

Mohammed Shaker, “Zones exemptes d’armes nucléaires”,in Journée d’études, Le droit international des armes nucléaires, Paris, A. Pedone, 1998, 206 pages.

665.

P. R. Kumaraswamy, “Egypt needs Israel”, The Bulletin of Atomic Scientists, Vol. 51, N. 3, mars/avril 1995.

666.

Joseph Fitchett, “Israeli Reaction to Iran's Buildup Is Heightening Nuclear Fears in Mideast’’, International Herald Tribune, 19 décembre 1997.

667.

Serge Schmemann, “Israel Clings to Its 'Nuclear Ambiguity”, New York Times, 21 juin 1998, p. 6.

668.

Pour les details des stocks d’armes dans le Moyen-Orient, voir : Michael Barletta, Erik Jorgensen, “Weapons of Mass Destruction Capabilities in the Middle East”, in CNS Fact Sheet Series on WMD the Middle East, Montery Institute of International Studies, mai 1998.

669.

Benyamin Netanyahou, Paix et sécurité , Paris, L’Archipel, 1995, 183 pages.

670.

Annexe 108. Memorandum of Conversation, Department of State, Subject : 1969 Dimona visit. Source : National Security Archive, 13 août 1969.

671.

Gerald M. Steinberg, “Assessing the Impact of the Indian and Pakistan Nuclear Tests on the Middle East,” Jerusalem Letter/ Viewpoints, N° 386, Jerusalem Center for Public Affairs, 15 juillet 1998.

672.

La guerre contre l’Irak est principalement, selon Washington, motivée par le programme nucléaire irakien. Depuis la fin de la guerre en avril 2003, les forces d’occupation américaine en Irak n’ont pas pu prouver que Saddam Hussein suivait un programme nucléaire militaire. En pleine crise irakienne, la Corée du nord s’est de son côté prononcée en tant que pays nucléaire et selon les spécialistes, Pyongyang détient déjà trois bombes nucléaires.