Discours officiels

Pour mieux comprendre et évaluer la stratégie d’ambiguïté nucléaire de l’État hébreu, il est important de dépasser le discours officiel et de s’interroger sur les objectifs politiques et militaires d’une telle stratégie. Des auteurs comme Albert Legault et Michel Fortman (1993 p. 431 et s) 678 , s’entendent sur onze fonctions que les armes nucléaires peuvent remplir ou ont déjà rempli pour Israël. Parmi elles, on trouve : dissuader les pays arabes de se nucléariser, dissuader l’URSS, le Pakistan ou l’Iran d’intervenir dans les conflits opposant Arabes et Israéliens, avoir une arme de dernier recours, inciter les Arabes à adopter un comportement plus modéré, ou encore être un instrument de marchandage avec d’autres États. Albert Legault et Michel Fortman (1993) 679 , soulignent qu'il serait probablement erroné de percevoir l'arsenal israélien comme une simple force de dissuasion.

D’après Paul H. Nitze (1975, p. 77) 680 , la taille et la diversité de l'arsenal israélien laissent entendre qu'il pourrait être utilisé dans le cadre d'une multiplicité de scénarios, à la fois tactiques ou stratégiques et qu'il est, par conséquent, d'ores et déjà intégré au planning opérationnel des forces israéliennes de Défense. D’après Shai Feldman (1995) 681 , l’arsenal nucléaire israélien, pose la question relative à la raison qui pousse les décideurs israéliens, du Likoud comme du camp des Travaillistes, de continuer à suivre une politique fermement imprégnée de l’ombre de l’ambiguïté. Dans ses mémoires, Shimon Pérès, (1995) 682 , en parlant de la période qui a précédé la guerre de juin 1967, écrit : « ma contribution durant cette période dramatique est quelque chose que je ne peux écrire ouvertement pour des raisons de sûreté de l’État. Dès que Moshe Dayan a été nommé ministre de la Défense, je lui ai soumis un certain nombre de propositions qui ont eu pour objectif de dissuader les Arabes et de prévenir la guerre. » Avner Cohen, (1996) 683 , prend cet exemple comme appui pour expliquer que les propositions de Pérès ne sont que la démonstration de sa conviction profonde d’une politique nucléaire de dissuasion envers les Arabes. Israël est incontestablement, explique Marcel Duval (1999) 684 , doté d’un arsenal nucléaire. Bien que non officialisé comme tel, on le crédite en effet d’une centaine de têtes nucléaires et à peu près du même nombre de missiles balistiques, d’une portée pouvant aller jusqu’à 1 500 kilomètres. En plus de ses capacités de grande portée, Israël met en orbite, entre 1990 et 2002 ( 685 ), plusieurs satellites d’espionnage. Seymour M. Hersh (1991) 686 , précise que le fait qu’Israël détient l’arme nucléaire ne surprend plus personne. La question est comment l’État hébreu l'a acquise et comment Washington a œuvré pour éviter de faire face à ce problème durant près de 50 ans. Mais, si Israël, selon la ligne officielle, ne sera jamais le premier à nucléariser le Moyen-Orient, il n’attendra pas non plus pour être le dernier, selon les déclarations officielles.

Notes
678.

Albert Legault & Michel Fortman, Les conflits dans le monde , Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1993.

679.

Ibid.

680.

Paul H. Nitze, “Deterring Our Deterrent”, Foreign Policy 25, hiver 1975, p. 77.

681.

Shai Feldman, “The final option, New clouds over Israel’s nuclear program”, The International Jewish Monthly, Mars 1995.

682.

Shimon Pérès. Battling for Peace : A Memoir , New York, Random House, 1995.

683.

Avner Cohen, “Peres : Peacemaker, Nuclear Pioneer”,Bulletin of Atomic Scientists, Vol. 52, N°3, mai/juin, 1996.

684.

Marcel Duval, “L’Europe est-elle menacée par la prolifération ?”, Défense nationale, N° 7 juillet 1999.

685.

Essai échoué en 1990, le lancement réussi a lieu en 1995 et le satellite Ofeq 5 est lancé le 28 mai 2002 avec le lanceur Shavit LK-A, un derivé du missile Jericho 2.

686.

Seymour Hersh, The samson Option, New York, Random House, 1991, 354 pages.