Chapitre X : Mordechaï Vanunu

Divulguer le secret

“Kidnappé à Rome, Italie, le 30 septembre 1986’’, sont les mots, difficilement lisibles. Ils sont écrits sur la paume de sa main, plaqué contre la vitre d’une voiture lors de son transport en novembre 1986. Mordechaï Vanunu, sera dorénavant transporté dans une voiture aux vitres teintées en noir. Réfugié en Europe, il révèle au quotidien britannique The Sunday Times du 5 octobre 1986, la présence d’un vaste arsenal nucléaire à la centrale Dimona. Appelé “l'espion nucléaire”, Mordechaï Vanunu passe 18 ans en prison. Libéré le 21 avril 2004, à sa sortie de prison, des sévères restrictions lui sont imposées. Il lui est en particulier interdit de rencontrer sans autorisation préalable des ressortissants étrangers et de parler de son travail au sein de la centrale nucléaire, et ce notamment aux journalistes. L'association des droits civiques en Israël (ACRI) dénonce alors l'interdiction faite à M. Vanunu, 50 ans, de voyager ou de fréquenter des étrangers, la qualifiant d’“une punition quotidienne sévère”. Ses avocats déposent, le 3 juin 2004 ( 740 ), une requête devant la Cour suprême demandant un allègement des restrictions qui lui sont imposées. « Mon avenir est en dehors d'Israël. Ici je suis confronté à la haine et ma vie est en danger » déclare M. Vanunu aux journalistes présents dans la cour. Les avocats affirment dans leur requête que Vanunu est « privé de ses droits fondamentaux de libre mouvement et de réintégration de la société, après une longue détention. » ( 741 )

Traître et espion aux yeux de la loi israélienne, Vanunu est considéré comme un “prisonnier de conscience’’ par les adversaires des armes nucléaires. Agé de 50 ans, il est libéré de prison à la fin du moi d’avril 2004, mais un mois après, le journaliste-correspondant du Sunday Times à Jérusalem est à son tour arrêté par les Israéliens. Peter Hounam, auteur de l’article sur les révélations de Vanunu en 1986, est alors expulsé. Selon les médias israéliens, il préparait un film sur Vanunu pour la BBC. La version officielle dit que Mordechaï Vanunu est rentré de son séjour à Londres par ses propres moyens. Le message écrit sur sa main en voiture révèle au monde entier qu’il a été enlevé par les agents du Mossad à Rome. Suite à ces révélations, le monde entier a des informations top secret concernant le centre de recherche nucléaire israélien ainsi que le programme israélien d’armes nucléaires, écrit Louis Toscano (1990) 742 . Le 24 novembre 1999, pour la première fois, une partie du protocole jusqu’à présent couvert par le secret du procès de Mordechaï Vanunu, est publiée par un quotidien israélien. Le Yédiot Ahronot, obtient l’autorisation de la part du Procureur de divulguer pour la première fois les 1.200 pages de ce protocole, tandis que le reste de ce document demeure interdit à la publication. Les Procureurs conditionnent la publication d’une partie des attendus du jugement, à un feu vert préalable des responsables de la sécurité. Il faut aussi l’accord de la censure militaire, qui s’oppose à la publication intégrale du verdict réclamé par M. Vanunu dans un recours à la Cour suprême. Shimon Pérès, lors de la publication partielle du protocole du procès à la fin de ce mois de novembre 1999, déclare « les révélations de Vanunu ont beaucoup fait perdre à l’État hébreu. »

Siégeant à huis clos, la censure militaire suit l’avis du Procureur. Elle rejette également un autre pourvoi de Vanunu qui demandait d’être renvoyé en Italie, où il a été kidnappé par les services secrets israéliens en 1986. Vanunu est considéré comme l’homme qui détient beaucoup de secrets et l’État hébreu est concerné. Si Vanunu rentrait en Italie il divulguerait ces secrets, en violation de la loi ( 743 ). Le protocole précise que M. Shimon Pérès, en tant que témoin, reconnaît que les révélations de M. Vanunu « ont provoqué d’importants dégâts pour Israël et la publication dans le Sunday Times a poussé certains pays arabes à durcir leurs positions à notre détriment. » Suite à la levée partielle de la censure, interrogé sur les ondes de la radio nationale, Shimon Pérès, déclare « je ne comprends pas une telle décision : chaque pays a ses secrets et ses dossiers confidentiels qui doivent rester dans les tiroirs. Le public a le droit de savoir, mais il y a aussi des choses qui ne doivent pas être divulguées. »

Dans le document publié par le Yédiot Ahronot, Vanunu explique ses motivations. « J’ai voulu confirmer ce que tout le monde savait, je ne voulais plus que l’on puisse continuer à nier qu’Israël détient l’arme nucléaire, et que Shimon Pérès puisse continuer à mentir à Ronald Reagan en affirmant que nous ne détenons pas un arsenal nucléaire. J’ai voulu également qu’un contrôle soit exercé sur ces armes nucléaires. » M. Vanunu devient un employé à Dimona en 1976. Originaire du Maroc, il arrive avec sa famille juive en Israël et s’y installe. Il profite de sa visite à Londres et offre les photos prises à Dimona, ainsi que des informations, en échange de leur publication, sans mentionner son nom. Le Sunday Times le persuade de publier sa signature et ce sera le cas. M. Vanunu ne s’y oppose pas et dira par la suite que son seul but était de stopper la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, et de dire que quelque chose ne va pas si les décideurs israéliens, les députés, la Presse ou encore l’opinion publique ne disent rien sur ce qui se passe à Dimona. Il est arrêté le 30 septembre 1986 à Rome et le 5 octobre, The Sunday Times publie sa “bombe” médiatique avec comme titre Revealed : The secrets of Israel’s Nuclear Arsenal. Cet article changera toutes les données et les estimations les plus précises, disponibles jusqu’alors concernant l’arsenal nucléaire israélien.

Notes
740.

AFP, PO-Israël-nucléaire-Vanunu. 0261 ISR /AFP-GL45, 3 juin 2004.

741.

AFP, 26 juillet 2004

742.

Louis Toscano, Triple Cross: Israel, the Atomic Bomb and the Man Who Spilled the Secrets , New York, Carol Publishing Group, 1990, 321 pages.

743.

AFP, Vanunu, 22.juin.1999 ; Reuters, Vanunu, 24.juin.1999 ; AFP, Vanunu, 26.novembre.1999 et AFP, Vanunu, 26.novembre.1999.