L’opération du Mossad

Une partie des photos prises par Vanunu se trouve entre les mains d’un agent d’Intelligence israélienne en tant que journaliste américain. Avant la publication par le Sunday Times, ces exemplaires sont envoyés au bureau du Premier ministre Shimon Pérès. Ce dernier demande au Mossad de sortir Vanunu de Londres et l’obliger à rentrer en Israël. Seymour Hersh (1991, pp. 198 & 315) 746 . C’est la blonde Cindy Hanin Bentov, -agent du Mossad- qui se voit confier la mission de ramener Mordechaï de Londres à Rome. Le Mossad s’en charge par la suite. Elle part de son village Koshav Yair, au nord-ouest de Tel-Aviv, où elle possède la villa la plus luxueuse. De ce même village, est originaire M. Ehud Barak, ex-Premier ministre israélien, ainsi que Ehud Yatom qui se trouve alors à la tête du Mossad. Les habitants du village ne sont pas surpris lorsqu’ils voient la photo de Cindy à la “Une ” de Yédiot Aharonot, et lorsqu’ils apprennent qu’elle est un agent du Mossad, écrit le Jerusalem Post du 7 avril 1997.

Cindy prend la mission en main, elle n’a aucun obstacle matériel, elle a un seul impératif : faire vite, avant que les autres organismes de presse (Radios et Télévisions), ne mettent la main sur Mordechaï. Sa mission se termine avec succès, en une seule semaine. Mordechaï prend l’avion avec Cindy pour aller à Rome. Nous sommes en août 1986 et l’employé de la centrale nucléaire israélienne Dimona vient de parler à la presse britannique. The Sunday Times londonien publie l’interview avec Mordechaï. Il sera considéré immédiatement par le Mossad comme priorité N°1. Cindy, après la fin de sa mission, s’installe à Orlando en Floride. Son vrai nom est Cheyril Ben-Tov. Agée de 37 ans, elle est l’épouse d’un ex-agent des services de renseignements israéliens. Cindy alias Cheyril Ben Tov -appelée aussi la trappe du miel-, travaille toujours pour le Mossad et habite toujours sa belle villa en Floride, aux États-Unis. Jusqu’en 1988, personne ne sait ce qu’est devenue Cindy. On dit alors que le Mossad l’envoie en Amérique latine pour échapper aux objectifs des paparazzis. C’est en avril 1998, qu’un reporter du Sunday Times la localise et la rencontre en Floride. Elle vit alors avec son époux, dans une villa à Orlando, près de Disney World et le centre spatial de J. F. Kennedy à Cap Canaveral. « Je ne nie pas mon rôle dans l’histoire » dit-elle au reporter en anglais puis elle parle en hébreu et refuse de donner une interview au Sunday Times. Le journal britannique note que Cheyril représente le profil parfait pour le Mossad. Elle obtient un QI de 140 aux tests militaires, elle dispose d’une éducation américaine et fait preuve d’un dévouement remarquable à l’égard de l’État d’Israël. À Rome, Mordechaï Vanunu sera pris en main et enlevé par le Mossad. Il est vite renvoyé en Israël où un procès l’attend pour le juger de trahison dès le 18 octobre 1986. Il est condamné à un emprisonnement solitaire dans une cellule isolée. C’est au bout de 9 ans, qu’il quitte la cellule isolée et voit le jour, en étant transféré dans une autre cellule. Douze ans plus tard, une partie de son procès est divulguée à la presse et les appels à sa libération n’aboutissent jamais. « Le 24 septembre 1986, j’ai rencontré une fille américaine, sur la place de Leichester à Londres, c’était un dimanche. Plus tard, je l’ai rencontré plusieurs fois. Le 30 septembre 1986, elle m’a persuadé d’aller avec elle à Rome rendre visite à sa sœur. » M. Vanunu part vers Rome malgré les mises en gardes répétées de la part de la rédaction du Sunday Times qui lui conseille d’être vigilant pour sa vie privée, et de ne pas quitter la Grande Bretagne avant la publication de l’article -si l’on croit le Sunday Times du 6 avril 1998 -.

Le membre du parti de la gauche israélienne Meretz et député de la Knesset Dedi Zucker rend visite à Mordechaï Vanunu à trois reprises avant 1997 ( 747 ). D’après les propos recueillis par le député de la Knesset Zucker, Vanunu raconte qu’ils ont quitté Londres sur le vol 504 de British Airways et qu’ils sont arrivés à Rome. « Là, la jeune fille est accueillie par un italien. Ils m’ont conduit en présence de sa sœur et de son ami vers un appartement, dans la banlieue de la capitale italienne. À mon entrée dans l’appartement, j’ai été attaqué par deux hommes. J’ai perdu conscience. Plus tard, je me suis réveillé dans une voiture, abattu à nouveau, puis, j’ai été réveillé dans l’obscurité au bord de la mer. Là, ils m’ont porté sur une civière vers un bateau puis vers un yacht. J’ai voyagé les mains enchaînées, et attaché dans un lit pendant une semaine, jusqu’à l’arrivée sur les côtes israéliennes. » Il déclare en 2004, à la BBC, que des espions français et britanniques étaient aux côtés des agents du Mossad qui l’ont kidnappé et accompagné durant le voyage ( 748 ). En 1998, lors de la visite du Premier ministre britannique Tony Blair en Israël, le Sunday Times obtient l’autorisation d’interviewer M. Vanunu en présence d’un intermédiaire. Le reporter Andy Goldberg se rend à la prison d’Ashkelon, au sud du pays, pour le rencontrer. L’interview est publiée dans le Sunday Times du 19 avril 1998. Dans cette interview, M. Vanunu insiste sur le fait qu’il ne regrette pas le passé. « Je dis clairement que j’ai parlé avec une intention et une conviction profonde et je le ferai encore. Je crois que j’ai été courageux, je suis le seul à pouvoir résister contre la pression, contre tous, et dire ce que je crois. J’ai agi par inquiétude, par peur pour toute la société, même si l’on me désigne comme l’ennemi public N°1 » Les installations hautement sophistiquées, de retraitement du plutonium, sont enfin disponibles au public. La pièce maîtresse et manquante du puzzle, mystifiée par les experts depuis les années soixante, sort de l’ombre, avec les révélations de Vanunu. L’expert militaire Gerald Steinberg, dans un article paru dans le Jerusalem Post du 16 avril 1998, qualifie le geste de Vanunu comme une « décision unilatérale pour reformuler la politique israélienne avec la vente d’informations et des photos illicites prises à Dimona pour le Sunday Times. Personne ne l’a élu et il n’a pas essayé de convaincre les Israéliens ou les décideurs de son point de vue. Vanunu a simplement quitté Israël, pour l’Australie ; devenu chrétien, il a trouvé un acheteur de ses secrets. » En se basant sur les descriptions de Vanunu, les experts estiment, en 1986, que l’État hébreu possède entre 100 et 200 têtes nucléaires. Ces estimations dépassent largement les calculs faits à partir d’estimations antérieures. Vanunu a voulu qu’un débat public s’ouvre en Israël, mais ses révélations ne donnent pas lieu à un débat. L’affaire qui marque l’histoire du nucléaire israélien sur la scène internationale, passe, paradoxalement, presque inaperçue en Israël.

Les raisons sont simples, explique Yoel Cohen (1996) 749 . La plupart des experts et des commentateurs militaires, ainsi que la Presse, n’ont pas voulu s’associer à une personnalité symbolisant la trahison -selon la version officielle et la classe politique israélienne-. Mordechaï Vanunu est tout de suite étiqueté comme juif converti au christianisme, qui en plus, est né au Maroc. Il ne bénéficie donc pas d’un soutien ou d’une compréhension de la part de ces compatriotes. Le sentiment du public israélien ne change pas à son égard. Vanunu est jugé pour espionnage et trahison, et seule une minorité des travaillistes justifient son action. Ainsi, le débat public que Mordechaï Vanunu souhaitait déclencher n’aura lieu qu’en 2000.

Notes
746.

Seymour M. Hersh, The Samson Option , New York, Random House, 1991.

747.

Middle East Realities, 27 juillet 1997.

748.

Voir aussi l’interview de Vanunu dans “Breakfast with Frost”, BBC, 24 octobre 2004 (Annexe vidéo).

749.

Yoel Cohen, “Israel and Vanunu”, PS magazine, Guide to Jewish affair, juin 1995, mai/juin 1996.