Que faire s’il n’y a pas de bonne solution ?

Que faire s’il n’y a pas de bonne solution ? Telle est la question à laquelle s’efforcent de répondre les tenants de la théorie des jeux. Plusieurs histoires ont été inventées pour mettre en évidence une autre difficulté qui se manifeste lorsque le jeu possède plusieurs solutions, chacune étant à l’avantage de l’un des joueurs. L’une des plus connues est passée à la postérité des théoriciens des jeux sous le nom de jeu de la poule mouillée, par référence à une pratique qui fait partie du folklore de plusieurs États américains. Deux automobilistes se lancent à vive allure aux deux extrémités d’une route à une seule voie. Les quatre issues possibles sont évidemment les suivantes :

(a) Personne ne s’arrête : ni 1 ni 2 ne s’arrête et c’est l’accident. (b) Les deux s’arrêtent : 1 et 2 s’arrêtent et il n’y a ni vainqueur, ni vaincu. (c) 1 continue et 2 s’arrête, 1 est déclaré vainqueur (2 est une poule mouillée). (d) 2 continue et 1 s’arrête, 2 est déclaré vainqueur (1 est une poule mouillée). On suppose, logiquement, que les deux joueurs préfèrent gagner que perdre mais qu’ils tiennent assez à la vie pour préférer la partie nulle à l’accident. Le problème posé par le jeu de la poule mouillée à la sagacité des théoriciens, se situe à certains égards à l’inverse de celui soulevé par le dilemme du prisonnier. Dans le jeu du dilemme du prisonnier, on peut penser que la mariée est trop belle : un équilibre unique correspondant à une paire de stratégies dominantes : la solution s’impose. Ses conséquences sont malheureusement préjudiciables au sens commun, d’où le problème. Dans le jeu de la poule mouillée, c’est au contraire l’accès à l’une des solutions qui pose problème. La question posée est de savoir laquelle des deux solutions possibles prévaudra.

Dans les termes de la théorie, cette impasse apparente s’explique de la manière suivante : les informations dont disposent les joueurs sur la base de leur connaissance de la forme normale du jeu ne sont pas suffisantes pour leur permettre de choisir leur meilleure stratégie à partir de leur seule rationalité individuelle, quel que soit le critère retenu pour la définir. Supposons que la distance soit tellement courte qu’elle ne laisse pas le temps aux protagonistes de stopper. Considérons que les deux joueurs savent que la victoire est pour celui qui part en premier. D’aucuns et non des moindres évoqueraient ici le facteur psychologique. C’est-à-dire la croyance et donc une base personnelle, affective et par là même non logique et irrationnelle. La pensée rationnelle et la logique de la théorie des jeux telle qu’elle est décrite selon la vision de Borel, sous l’impulsion initiale de John Von Neumann et ultérieurement de Nash, s’est construite en un sens contre la psychologie (Christian Schmidt, 2001) 772 .

En termes militaires, cela signifie que l’attaque éclair ou les attaques préventives, placent l’adversaire devant le fait accompli. Les Israéliens par exemple, sont longtemps passés maîtres dans son maniement : attaque contre l’Égypte en 1967 (pour éviter une attaque égyptienne contre les installations nucléaires de Dimona), et l’attaque de la centrale nucléaire irakienne Osirak en 1981. Plus simplement, c’est l’occasion d’évoquer l’image classique des Westerns américains où la victoire sourit à celui qui dégaine le premier.

Notes
772.

Christian Schmidt, La théorie des jeux : Essai d’interprétation , Paris, PUF, 2001.

Voir aussi : J. F Nash, “Two-person cooperative games”, Econometrica, 21, 1953, pp. 141-154.