Changer de doctrine

Lorsqu’il était ministre de la Défense, l’actuel Premier ministre israélien Ariel Sharon, affirmait qu’« Israël peut contrôler l’ensemble du Proche-Orient arabe, de la Méditerranée au Golfe Persique. » Deux mois après les accords de Wye Plantation du 23 octobre 1998, le Président américain Bill Clinton et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ont signent, selon le journal Haaretz du 3 novembre 1998, un mémorandum important qui évoque « le renforcement de la capacité de défense et de dissuasion d’Israël. » La formule utilisée renforce l’accord public des États-Unis avec la dissuasion stratégique d’Israël. Cet accord est rendu possible par l’échec de Washington dans ses efforts pour mettre un terme à la diffusion des missiles balistiques et à toutes possibilités de prolifération d’armes nucléaires dans le Moyen-Orient (Yair Evron, 1998) 791 . Gerald Steinberg, (1994) 792 , pense que le facteur de la dissuasion psychologique imposé par les Israéliens à leurs voisins -par la possession de l’arme nucléaire-, fait partie d’un consensus entre la population et les décideurs israéliens. Il prend comme exemple la conception donnée, à ce propos, par l’ancien chef de la Commission israélienne de l’énergie atomique, Shalheveth Freier, qui décrit « l’inconnu qui entoure les armes nucléaires israéliennes a un impact fort. Il provoque une dissuasion qui renvoie aux Israéliens une assurance dans un environnement hostile. »

Considéré comme une puissance nucléaire à part entière -la sixième par ordre d’importance- bien que théoriquement “non déclarée », Israël maintient son ambiguïté. Pourtant, peu à peu, cette ambiguïté s’est dissipée et la question n’est plus de savoir si l’État hébreu possède ou non l’arme nucléaire, mais plutôt quelle est la place de cet arsenal dans sa politique et sa stratégie régionale. Israéliens et Américains admettent la collaboration pour déployer les missiles de croisière Harpon équipés d’ogives nucléaires dans la flotte israélienne de sous-marins. Cela donne à la seule puissance nucléaire au Moyen-Orient, la capacité de frapper n'importe quel point chez ses voisins. Ces révélations sans précédent arrivent, alors qu’Israël annonce que les États hébergeant des terroristes sont des cibles légitimes. Israël répond ainsi à la Syrie qui se déclare avoir le droit à la légitime défense si Israël attaquait ses territoires écrivent Peter Beaumont et Conal Urquhart, les correspondants de The Observer International à Londres et à Jérusalem. (2003) 793 .

Les doctrines des puissances sont appelées à changer pour suivre l’évolution de la menace. Israël n’échappe pas à cette donnée. « Tous les facteurs précédemment associés à la théorie de la dissuasion ont changé. Nous avons besoin de nouveaux concepts et de nouvelles capacités », affirment les responsables de l'administration Bush. Depuis 1967, Israël mène des opérations d’attaques dites préventives. L’État hébreu va-il garder sa politique de barrage envers ses voisins en les empêchant d’accéder aux armes nucléaires ? L’État hébreu va-t-il frapper les installations nucléaires iraniennes à l’instar de son opération contre la centrale irakienne en 1981 ? ( 794 ). Le 14 juin 1981, Israël vient de frapper et de détruire la centrale irakienne Tammouz, et lors d’une interview, à l’émission Face the Nation, de la chaîne américaine CBS, on pose la question suivante à M. Begin : « Monsieur le Premier ministre, Israël peut avoir une bombe atomique, pourquoi pas l'Irak ? » (…)« Vous m'interrogez au sujet d'une bombe atomique israélienne ? » répond le Premier ministre, « sachez qu'Israël ne sera jamais le premier pour introduire les armes atomiques dans le Moyen-Orient. Nous sommes disposés à signer le TNP, si nos voisins signent un traité de Paix avec nous. Aussi longtemps qu'il n'y a aucun traité de paix, il n’y a aucune place à un traité de non-prolifération. »Par la fermeté du recours à l’attaque préventive et par la force écrasante menée à l’encontre de l’Irak, Washington étale son arsenal. En effet, la fermeté des États-Unis face à l'Irak est interprétée comme un test pour leur nouvelle géostratégie comprenant des actions militaires préventives pour parer aux menaces, et comprenant également le recours à une force écrasante, y compris nucléaire, dans le cas où ils seraient attaqués avec des armes de destruction massive. Au milieu des années 1990, la marine militaire israélienne lance la construction des premiers sous-marins de type Dauphin dans les chantiers de Kiel, en Allemagne, en juin (1995) 795 . Les trois sous-marins Diesel de type Dauphin servent ainsi de plateforme de lancement de missiles nucléaires. Le journal israélien Haaretz du 9 juin (1998) 796 , publie un article similaire signé par Yossi Melman, sous le titre « Les sous-marins israéliens du type Dauphin vont introduire une nouvelle dimension nucléaire au Proche-Orient. » Il annonce la fin de la construction des trois sous-marins.Avec un coût de 300 millions de dollars, l’événement fait la “Une ” du Los Angeles Times, en juillet (1998) 797 . C’est le 27 juillet 1999, que le premier sous-marin est livré aux israéliens. Le Président Weizman ainsi que le Premier ministre israélien Ehud Barak accompagné du général Mofaz assistent à la cérémonie qui a lieu au port maritime de Haïfa. (Photos en annexes)

On parle alors de possibilités de mener des attaques contre les installations nucléaires iraniennes. L’Iran a toujours condamné l’acquisition par Israël de sous-marins nucléaires en la qualifiant de menaçante pour la sécurité au Moyen-Orient. L’Agence iranienne d’Information (IRNA), citant le porte-parole du Ministère iranien des Affaires étrangères Hamid Reza Asefi, affirme que l’acquisition israélienne d’un sous-marin nucléaire est un danger menaçant toute la région. « Le régime sioniste est devenu, grâce à l’aide de certains pays occidentaux, le plus grand arsenal régional et une source d’instabilité et d’insécurité de la région », déclare H. R. Asefi qui appelle les pays de la région à la vigilance face à l’étendue militaire du régime sioniste. D’après les experts militaires, si les Israéliens menaient une telle opération, ils utiliseraient pour cela les sous-marins. En effet, la doctrine nucléaire maritime israélienne est conçue pour placer l’un des trois sous-marins dans le Golfe Persique, l'autre en Méditerranée, alors que le troisième reste en réserve ( 798 ). Des lancements d'essai secrets de systèmes de missiles de croisière auraient été entrepris en mai 2000, dans l'Océan indien note The observer dans son édition du 12 octobre 2003. C’est ce qu’écrivent Uzi Mahnaimi et Matthew Campbell dans le London Sunday Times du 18 juin(2000) 799 . Les auteurs rapportent qu’Israël en mai 2000, a effectué, secrètement, les premiers lancements d'essai, à partir de ses deux sous-marins de construction allemande, des missiles de croisière capables de porter des ogives nucléaires ( 800 ). Duglas Davis, (2000) 801 , qui cite le Sunday Times londonien, explique que les missiles ont été lancés des côtes du Sri Lanka dans l'Océan Indien et ont frappé une cible à 1500 kilomètres. Selon le Jerusalem Post, du 19 juin 2000, le test a lieu en vue de mener des attaques à partir du sous-marin ou encore des attaques préventives contre les installations nucléaires iraniennes. D’après le Sunday Times, Israël possède des ogives nucléaires d’environ 200 kg de moyenne et contenant 6 kg de plutonium. Ces ogives pourraient être montées sur des missiles de croisière. D’autre part, Israël développe son missile de croisière air-sol Popeye Turbo, qui, selon la FAS, est opérationnel depuis 2002 ( 802 ). Les Israéliens se placent ainsi derrière les Américains et les Russes dans leur capacité à pouvoir lancer des missiles de croisières à partir de sous-marins ( 803 ). Selon le porte-parole des Forces Armées Israéliennes IDF, ces informations sont fausses. La Presse israélienne qui rapporte les déclarations de l’armée israélienne expliquant que ce test de missile n’était qu’un Tomahawk américain, souligne que Washington nie ces informations ( 804 ).

Dans le Jane's Intelligence Review,Philip Clark (1995, pp. 25-26) 805 , explique que la portée des missiles Popeye Turbo, couvre une distance qui varie entre 200 et 350 kilomètres. Il semble, selon les experts militaires, que ce missile soit considéré comme un missile de croisière actionné par turboréacteur qui peut incorporer la dernière technologie et d'autres composants développés pour la famille des missiles Popeye. Les missiles Have Nap AGM-142, sont une variante du missile israélien de l'Armée de l'Air Popeye, utilisent un moteur plein de fusées de propulseur. Le Popeye II, également connu sous le nom de Have Lite, est un plus petit missile avec une technologie encore plus à la pointe. Il est conçu pour un déploiement sur un avion de chasse. Le Popeye II, a une portée d’environ 150 kilomètres.

L’Iran est sur le point de développer un arsenal nucléaire. La question de frappes préventives contre Téhéran se pose mais sa réalisation s’avère difficile à mettre en place. C’est presque mission impossible pour Tel-Aviv. L’option d’attaquer Téhéran est une option en discussion, mais sa réalisation s’avère périlleuse. Inquiet par le désir et par la possibilité pour l’Iran d’obtenir les armes nucléaires et de devenir une puissance nucléaire régionale. On se demande alors si, pour garder le monopole nucléaire, Israël va-t-il appliquer la stratégie des attaques préventives déjà utilisée contre l’Irak ? C'est le sujet du chapitre suivant dédié au monopole nucléaire par les Israéliens.

Notes
791.

Yair Evron, “An Israel-United-States Defence Pact”, Strategis Assessment, Vol 1, N° 3, octobre 1998.

792.

Gerald Steinberg, “Middle East Arms Control and Regional Security”, Survival, Vol. 36, N. 1, printemps 1994.

793.

Peter Beaumont, Conal Urquhart, “Israel deploys nuclear arms in submarines”, The Observer International, édition du dimanche 12 octobre 2003, voir aussi : Israel adds fuel to nuclear dispute [12 Oct '03] - Los Angeles Times .(site Internet http://ww.telegraph.co.uk/).

794.

Annexe 117, et Annexe 179, des tests du missiles antimissile Hetz (Flèche), ont eu lieu près de la côte californienne en juillet et en août 2004, l’un de ces tests a échoué.

795.

“Israel to get third german submarine”, Military and Arms Transfer News, 17 mars 1995.

796.

Yossi Melman “Swimming with the Dolphins”, Haaretz, 9 juin 1998.

797.

Martin Sieff, “Israel buying 3 submarines to carry nuclear missiles”, The Washington Times, 1er juillet 1998

798.

Peter Beaumont, Conal Urquhart, “Israel deploys nuclear arms in submarines”, The Observer, 12 octobre 2003.

799.

“Israel Makes Nuclear Waves With Submarine Missile Test,” By Uzi Mahnaimi and Matthew Campbell London Sunday Times 18 juin 2000.

800.

Uzi Mahnaimi, Matthew Campbell, “Fears Of New Arms Race As Israel Tests Cruise Missiles”, London Sunday Times, 18juin 2000.

801.

Davis Duglas, “Israel Test Fired Nuclear Capable Sub-launched cruise missiles”, The Jerusalem Post, 19 juin 2000.

802.

David Blair, “ Israeli Submarine Fleet can now launche nuclear weapons”, News Telegraph 13 octobre 2003. Voir aussi : Jon E. Dougherty, “Israel Steps up Submarine acquisition”, World News Daily, 27 octobre 2000.

803.

Martin van Creveld,, Nuclear Proliferation and the Future Of Conflict , New York, The Free Press, 1993.

Voir aussi : “Russian Foreign Intelligence Service, Report on the Proliferation of Weapons of Mass Destruction”, Moscow, 1993, in Journal of Palestine Studies, XXII, N. 4 (été 1993, pp. 135-140).

804.

Le missile de Popeye Turbo est probablement semblable, sinon identique, au missile israélien de croisière placé sur les lanceurs qui se trouvent sur les sous-marins de classe Dauphin. Le missile de Popeye avec sa ligne de base et sa portée de 45 miles, a un diamètre de 21 pouces, et mesure presque 16 pieds de long. Pour la comparaison, la torpille MK-48 lourde américaine est de 21 pouces de diamètre, et 19 pieds de long, alors que le BGM-109 Tomahawk SLCM est de 20.4 pouces en diamètre et de 20.5 pieds de long (moteur de propulseur compris), et le SS-N-21 russe SLCM est semblable dans la configuration et les dimensions au Tomahawk américain. La portée de 1.500 kilomètres atteinte en mai 2000, est dix fois plus grande que la portée précédemment rapportée pour le Popeye Turbo. Cependant, ce dernier est un missile mal certifié, note les experts de la Federation of American Scientists, et la littérature ainsi que les documents disponibles fournissent peu d'informations sur ce système explique David Blair (2003). En effet, en raison de la petite taille de l’engin, et du programme d'essai limité jusqu'ici, il est entièrement possible que même la communauté d'Intelligence des États-Unis ne dispose que peu d’éléments sur les capacités et les possibilités de ce système. Il n'y a aucune raison particulière de douter sur le fait que les Israéliens ont pu développer une variante du Popeye Turbo avec une portée de 1.500 kilomètres, simplement en rallongeant le réservoir de carburant lié à une autre variante du missile d’ une portée de 300-350 kilomètres. Les experts de la FAS, expliquent que ces informations sont rapportées par l’Intelligence des États-Unis. Actuellement, il n'est pas possible de déterminer si l'Intelligence des USA a sous-estimé la portée de ce missile, ou si les récents rapports ont surestimé la portée de ce missile. Toutefois, la portée la plus longue rapportée en juin 2000 est certainement conforme aux conditions et aux objectifs israéliens. Le Tekuma est le nom du dernier sous-marin livré par les Allemands aux Israéliens selon une source militaire cité par la Radio israélienne explique Jon E. Dougherty dans le World News Daily du 27 octobre 2000. Les Israéliens, depuis le 19 septembre 1988, travaillent sur le développement de leur propre système de reconnaissance par satellite. Le 3 avril 1990 le lanceur Offeq-3 échoue dans son premier essai, mais le 5 avril 1995, le lancement est réussi.

Voir aussi : Martin Van Creveld (1993, p. 105), Journal of Palestine Studies (1993), Jane's Intelligence Review (juin 1995).

805.

Philip Clark, “Third successful Israeli satellite launch” Jane's Intelligence Review 7, N. 6, juin 1995, pp. 25-26.