Chapitre XIII : le monopole nucléaire

« Ariel Sharon est encore une fois, peut-être, sur le point de la guerre et sa cible étant l’Iran. Par le passé, il est arrivé que M. Sharon focalise son attention sur l’Iran, en clamant que Téhéran représentait la plus grande menace nucléaire pesant sur Israël. Les responsables de la défense ont quant à eux, et à plusieurs reprise, déclaré qu’Israël pourrait éventuellement attaquer les installations nucléaires iraniennes. C’est alors que le ministre iranien de la Défense, Ali Shamkhani, avertit qu’au cas où Israël passe à l’acte, il serait effacé de la carte. » (Martin Van Creveld, 2004) 806 . Une analyse des conflits régionaux depuis celui de 1967, montre que les attaques appuient la thèse selon laquelle ces actions militaires appelées préventives, sont là pour pallier à l’échec de la dissuasion israélienne. Sur le plan régional, il y a eu plusieurs attaques dites préventives. Parmi elles, on trouve celle de (1967), et celle contre le réacteur irakien en août (1981). Sur le plan international, il y a eu la guerre contre l’IraK en mars 2003. De plus, il y a d’autres cas où des plans d’actions préventives étaient sur le point d’être exécutés. On prend pour exemple la volonté israélienne de mener une attaque préventive contre l’Égypte en 1973, juste avant la guerre. C’est le Secrétaire d’État Kissinger qui empêche Golda Meir d’opter pour toute initiative de cette nature. Il y a aussi le plan d’assassinat de Saddam Hussein par les Israéliens en (1992), ou encore le plan de mener des attaques préventives contre les installations nucléaires iraniennes. Mais, « tout dépend du Premier Ministre Ariel Sharon -le vieux cheval de guerre, qui, déjà en 1982, entraîne Israël dans le bourbier d’une invasion désastreuse au Liban. La seule chose qu’on puisse encore espérer, c’est qu’il réfléchisse à deux fois, avant de décider quoi que ce soit. » (Martin Van Creveld, 2004) 807 .

« L'Iran aura “dans les six mois » les connaissances nécessaires pour fabriquer une bombe nucléaire », estime le 16 février 2005, à Londres, le ministre israélien des Affaires étrangères Silvan Shalom. « Nous pensons que dans les six mois, ils achèveront tous les tests et expériences qu'ils mènent pour avoir ces connaissances », ajoute le ministre lors d'un petit déjeuner de presse à Londres.

Chris Rundle, un expert britannique de l'univesité de Durham, émet de sérieux doutes sur les déclarations de M. Shalom, estimant qu'Israël exagère vraisemblablement la menace iranienne. « Dans un pays qui s’est de tout temps ingénié à maintenir ses activités nucléaires à l’abri des projecteurs, il s’agit là d’une mesure sortant tout à fait de l’ordinaire. Jusqu’à quel point la menace iranienne est-elle sérieuse ? (…) À part les Shihab, le seul autre moyen dont dispose (…) Quant aux intentions iraniennes, bien malin celui qui dira quelles sont-elles. » (Martin Van Creveld, 2004) 808 . Le jour de la déclaration de Silvan Shalom, le ministre iranien des Renseignements Ali Younessi confirme la présence au-dessus de l'Iran d'engins d'espionnage américains, qui seront abattus s'ils se rapprochent, rapporte les agences de presse iraniennes semi-officielles Isna et Ilna. Il parle de “satellites » mais non pas d'avions de reconnaissance sans pilote, évoqués par le Washington Post. Le quotidien écrivait que les États-Unis avaient fait voler des avions de reconnaissance sans pilote depuis avril 2004, au-dessus de l'Iran à partir de bases américaines en Irak. Le 21 décembre (2003) 809 , le ministre israélien de la Défense, Shaoul Mofaz, évoque la possibilité d'une attaque contre les sites nucléaires de l'Iran du même genre que celle lancée en 1981, contre un réacteur nucléaire irakien construit avec l'aide de la France. Le 7 juin 1981, en effet, l'aviation israélienne a bombardé le réacteur nucléaire irakien de Tammouz, à 17 Km de Bagdad. Au cours de ce raid, un technicien français a été tué. Les appareils israéliens - huit F-15 et six F-16 de fabrication américaine - ont opéré à 2000 km de leur base près d'Eilat, un port sur la mer Rouge, dans le sud d'Israël.

Selon les médias israéliens, les appareils ont réussi à passer inaperçus en volant en rase-motte au-dessus des déserts saoudiens et irakiens pour ne pas être repérés. Une fois arrivés sur leur cible, ils ont lâché des bombes de 900 kg sur la centrale avant de regagner Israël en passant par la Jordanie. Le Premier ministre israélien de l'époque, Menahem Begin, justifie ce raid intervenu peu avant des élections législatives israéliennes, en expliquant qu'Osirak était sur le point de devenir opérationnel, ce qui aurait permis à l'Irak de fabriquer des bombes atomiques. L'opération avait suscité de vives critiques internationales, y compris celles du gouvernement américain. Le 19 juin 1981, le Conseil de sécurité de l'ONU vote à l'unanimité une condamnation vigoureuse de l'attaque militaire menée par Israël. Quelques mois plus tard, le ministre français du Commerce extérieur, Michel Jaubert, affirme, à l'issue d'une visite officielle à Bagdad, l'accord de principe de la France pour la reconstruction d'un centre nucléaire. Mais ces déclarations ne sont pas suivies d'effets. Seth Tillman (1982) 810 , note que, malgré que les justifications israéliennes soient contredites par un certain nombre d’experts internationaux, de considérables évidences et de circonstances ont montré que l’Irak était sur le chemin de vouloir développer des armes nucléaires écrit Leonard Spector (1984) 811 . Les critiques sont alors axées sur le fait que l’Irak est signataire du traité de non-prolifération des armes nucléaires et que les installations irakiennes, elles sont soumises à l’inspection internationale alors qu’Israël refuse toute idée d’inspection de ses installations nucléaires et n’a toujours pas signé le TNP et les experts attribuent à l’État hébreu un fort arsenal nucléaire (Seth Tillman, 1982, pp. 38-39) 812 .

Donald Neff (1995) 813 considère l’attaque israélienne et la destruction de la centrale irakienne comme une déclaration de guerre contre toute volonté arabe de se doter des armes nucléaires les empêchant ainsi d’entrer dans le club nucléaire. L’attaque a aussi une signification symbolique : seuls les Israéliens qui s’autorisent une avancée technologique dans le domaine des armes nucléaires et aucun autre État dans la région ne peut le rivaliser. Seth Tillman (1982, p. 39) 814 , explique que suite à l’attaque de la centrale irakienne, les condamnations internationales de cette attaque n’ont pas manqué. La Maison Blanche invite le Congrès à prendre acte d’une possible violation “substantielle ” de l’acte du contrôle d’export d’armes interdisant l’usage des armes américaines sauf en cas d’autodéfense. Cet acte est le troisième demandé par la Maison Blanche. Les deux autres l'ont été durant l’administration Carter et suite aux attaques israéliennes au Liban. Mais, comme dans les deux précédents cas, souligne Istvan S. Pogany (1981) 815 , le Congrès décline toute prise de décision. Washington qui s’associe au vote unanime du Conseil de Sécurité de l’ONU condamnant fortement Israël, les États-Unis font savoir qu’ils utiliseront leur droit de veto contre tout projet de résolution imposant des sanctions contre l’État hébreu. C’est suite aux pressions américaines que la résolution 487 est adoptée le 19 juin 1981, ne mentionnant pas de sanctions contre Israël (Annexe résolution 487f, de 1981) 816 .

Le numéro deux de la CIA, Bobby Ray Inman, explique que les avions israéliens ne pouvaient pas traverser les espaces aériens vers leur cible sans être guidés par des photos satellites fournies par les satellites espions des États-Unis. Bob Woodward explique qu’il y a eu un arrangement secret entre le directeur de la CIA et l’armée israélienne. Le directeur William J. Casey aurait autorisé l’accès des Israéliens aux sources d’Intelligence américaines et ainsi obtenir les photos des satellites espions (Bob Woodward, 1987) 817 . Donald Neff (1995) 818 , citant des propos du Directeur de la CIA, Bobby Inman, explique que celui-ci savait que les Israéliens avaient accès aux dossiers de la CIA en ce qui concerne les zones considérées comme une menace potentielle pour l’État hébreu. Lorsqu’il a su qu’Israël avait étendu son accès plus largement que prévu et que Tel-Aviv s’était procuré des dossiers des zones lointaines comme l’Irak, la Libye ou le Pakistan, Inman a alors décidé de limiter l’accès des Israéliens à une zone ne dépassant pas 250 miles des frontières israéliennes. Les dossiers accessibles ont alors été ceux des voisins directs de l’État hébreu (Richard H. Curtiss, 1994) 819 . Le programme nucléaire irakien est le sujet d’une campagne menée depuis 1979, par l’Agence israélienne de renseignement, le Mossad, sous le nom de code Sphinx. C’est ce qui explique un des ex-agents du Mossad Victor Ostrovsky (1990) 820 . Ostrovsky explique que l’opération Sphinx commence le 6 avril 1979, lorsque trois explosions ont lieu à Seyne-sur-mer près de Marseille. Ces explosions détruisent des composants du réacteur Osirak, prêts à être embarqués, dans le site de Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée. Cette opération a pour conséquences le retard des travaux de construction du réacteur d’environ 6 mois.

Un an plus tard, le 13 juin 1980, Yahya Meshad, un physicien égyptien travaillant pour la Commission irakienne de l’énergie atomique se trouve à Paris pour l’achat d’uranium enrichi. Il est assassiné à Paris dans sa chambre d’hôtel. L’ancien agent du Mossad Victor Ostrovsky (1990, p. 23) 821 , explique que le Mossad est aussi derrière la mort de M. Meshad. Deux mois après l'assassinat de Yahya Meshad, le 2 août 1980, une série d’explosions a lieu, conjointement en France et en Italie, dans les bureaux ou dans les résidences de cadres travaillant pour des sociétés supposées fournir de la technologie aux Irakiens : SNIA-Technit, Ansaldo Mercanico, Nuclear and Techniatom. Ces trois firmes fournissent à l’Irak des matériaux l’aidant à l’accomplissement du site nucléaire d’Osirak avec ses deux réacteurs : Tammuz-1 et Tammuz-2 et tous ceux qui travaillent pour ces trois firmes ont reçu des lettres de menaces. D’après Donald Neff (1995) 822 , cette campagne d’intimidation rappelle celle entreprise par les Israéliens près de 19 ans auparavant envers les scientifiques allemands aidant les Égyptiens à avancer leur programme de missiles. Cette opération menée en 1962/1963, avait pour nom de code Damocles impliquant des lettres piégées et allant jusqu’au kidnapping. Cette opération a causé la mort au total de cinq personnes (Stewart Steven, 1982, pp. 171) 823 . À l’époque, Israël arrête sa campagne contre les scientifiques allemands et selon la biographie de Michael Bar-Zohar (1986, pp. 301-302) 824 , le Premier ministre Ben Gourion qualifie les scientifiques allemands de « groupe de scientifiques médiocre. » Cette opération a eu pour conséquence que les décideurs égyptiens ont doublé leur effort pour avancer leur programme de missiles. Cette action peut être qualifiée de myopie, explique Donald Neff (1995) 825 , car en plus de la radicalisation des positions des leaders irakiens, l’attaque a eu pour conséquences négatives l’augmentation de la suspicion déjâ grande de Saddam Hussein envers l’Occident. La destruction du réacteur irakien a eu aussi pour conséquence de pousser les irakiens encore plus en avant dans la voie de relancer la machine d’armement et la volonté de vengeance comme en témoignent les missiles Scuds sur Tel-Aviv en 1991, explique Donald Neff (1991) 826 . Il est évident qu’il n’y a aucune certitude que les efforts diplomatiques auraient pu convaincre Saddam de renoncer à son ambition et à son programme nucléaire. Mais après l’attaque israélienne avec des avions F-16 américains, sans le moindre doute, on peut avoir la certitude que Saddam Hussein ait tout fait afin de porter des dommages aux Américains et à leurs alliés dans le Golfe persique comme le Koweït (Donald Neff, 1995) 827 .

Notes
806.

Martin Van Creveld, “Is Israel planning to attack Iran?”, International Herald Tribune, 20 novembre 2004.

807.

Ibid.

808.

Ibid.

809.

AFP, 21.décembre.2003, Israël-Irak-Iran-nucléaire, jlr/ps eaf, 0310 ISR /AFP-QN95

810.

Seth Tillman, The United States in The Middle Eeast : Intrests and Obstacles , Bloomington, Indiana University Press, 1982.

811.

Leonard S. Spector, Nuclear Proliferation Today , New York, Vintage Books, 1984.

Voir aussi : Stephen Green, Living by the Sword : America and Israel in the Middle East, 1968-1987 , London, Brattleboro, 1988, pp. 135-152 ; George Lardner Jr et R. Jeffrey Smith, Washington Post du 16 décembre 1992 ; Elaine Sciolino, New York Times, du 30 novembre 1992. Jack Anderson & Michael Binstein, Iran’s nuclear ambitions, Washington Post, 20 décembre 1992.

812.

Ibid.

813.

Donald Neff, “Israel Bombs Iraq’s Osirak Nuclear Research Facility”, Washington Report on Middle East Affairs, juin 1995.

814.

Ibid.

815.

Istvan S. Pogany, “The destruction of Osirak : a legal perspective”, The World Today, vol. 37, N. 11, novembre 1981. Voir aussi : -International documents on Palestine, Institute for Palestine, 1981, pp. 181-191. -New York Times, 18 août 1981. -Report by the Comptroller General, “U.S. Assistance to the State of Israel”, General Accounting Office, GAO/ID-83-51, 24 juin 1983, pp. 24-25.

817.

Bob Woodward, Veil : The Secret Wars of the CIA 1981-1987 , New York, Simon & Schuster trade, 1987.

818.

Donald Neff, “Israel Bombs Iraq’s Osirak Nuclear Research Facility”, Washington Report on Middle East Affairs, juin 1995.

819.

Richard H. Curtiss, “Media Coverage of Bobby Ray Inman : Pro-lsrael McCarthyism in Action”, Washington Reports on Middle East Affairs, février/mars 1994.

820.

Victor Ostrovsky, Claire Hoy, By Way of Deception, The Making and Unmaking of a Mossad Officer , New York, St Martin's Press, 1990. Voir aussi : Dan Raviv et Yossi Melman, Every Spy a Prince: The Complete History of Israel's Intelligence Community , Boston: Houghton Mifflin, 1990, 466 pages.

821.

Ibid.

822.

Donald Neff, “Israel Bombs Iraq’s Osirak Nuclear Research Facility”, Washington Report on Middle East Affairs, juin 1995.

823.

Stewart Steven, The Spymasters of Israel, New York, Ballantine Books, 1982, 400 pages.

Voir aussi: Donald Neff, Warriors for Jerusalem, The Six Days that changed the Middle East in 1967 , New York, Lindn Press/ Simon & Schuster, 1984, pp. 101-102.

Dan Raviv et Yossi Melman, Every Spy a Prince: The Complete History of Israel's Intelligence Community , Boston: Houghton Mifflin, 1990, pp. 122-125. “Insight Team”, Sunday Times of London, 23 septembre 1972, relatant l’introduction de l’usage des lettres piégées au Moyen-Orient.

824.

Michael Bar-Zohar, Ben Gurion , traduit vers l’anglais par Peretz Kidron, New York, lambada Publishers, 1986.

825.

Donald Neff, “Israel Bombs Iraq’s Osirak Nuclear Research Facility”, Washington Report on Middle East Affairs, juin 1995.

826.

Donald Neff, “The U.S., Iraq, Israel and Iran : Backdrop to War”, Journal of Palestinian Studies, été 1991.

827.

Ibid.