Chapitre XIV : les “non-dissuadables” comme obstacle

« Je n’ai jamais lu un seul rapport avant la guerre qui mentionne la possibilité qu’auraient les Arabes de défier la puissance militaire israélienne. Les estimations les plus optimistes ne donnent qu’une durée maximum de six jours durant laquelle les Arabes peuvent tenir un effort de guerre. » (Henri Kissinger, 1973) 841 .

Avec un schéma simplifié, le “non-dissuadable” relativise et minimise ses pertes au niveau du minimum. D’après Richard Ned Lebow et Janice Gross Stein (1989, p. 208) 842 , face à un choix, certains acteurs rationnels, tenteront de minimiser les pertes attendues, alors que d’autres acteurs rationnels eux aussi, tenteront de maximiser les gains attendus. Les premiers essayeront d’éviter les risques alors que les seconds prendront le maximum de risques, mais les deux acteurs restent dans les normes de la rationalité. La question qui se pose alors est la suivante : Y a t-il des serial agressors, selon la formule utilisée par John J. Mersheimer ?Y a t-il des suicideurs intentionnels ? selon la formule de Kenneth Pollack (2002) 843 , ( 844 ). Autrement dit, face à une menace crédible, certains acteurs peuvent-ils être non-dissuadables ? Les normes, sur lesquelles les décisions des acteurs se basent, ne sont pas les mêmes pour tous ces acteurs. Ainsi, dans cette région, les erreurs de perception et la mauvaise interprétation des actions de l’autre donnent lieu à des décisions à très haut risque, voire à des guerres. Si le “nuclear war is possible“, selon la pensée de Colin Gray et Keith Payne (1980) 845 , le réel problème de la dissuasion se pose plutôt sur une échelle régionale qu’une échelle globale, explique Keith B. Payne (1999) 846 . La guerre de 1967, la guerre d’usure (février 1969 – août 1970), ou encore la guerre d’octobre 1973, sont des exemples concrets qui montrent à quel point les décisions des différents acteurs se basent sur des faits auxquels ils ne donnent pas tous les mêmes interprétations. Ils n’ont pas la même notion de la rationalité ou encore la même perception de la menace et de ses conséquences.

Notes
841.

Annexe 147,“Transcript, “Secretary's Staff Meeting,” 23 October 1973, 4:35 p.m.,Box 1.

842.

Richard Ned Lebow, Janice Gross Stein, “Rational Deterrence Theory : I Think Therefor I Deter”,World Politics Review, Vol XLI, N°2, janvier 1989.

843.

Kenneth Pollack, “Next Stop Baghdad”, Foreign Affairs, mars/avril 2002.

844.

Ancien directeur des Affaires du Golfe auprès de “United States National Security Council” et un des opposants de la guerre contre l’Irak.

845.

Colin S. Gray, Keith Payne, Under Nuclear Gun, Victory is Possible, Foreign Policy, N. 39, été 1980. Voir aussi : Colin S. Gray, War, Peace, And Victory: Strategy And Statecraft , New York, Simon & Schuster, 1990, 416 pages.

846.

Keith Payne, “Nuclear Weapons, Ours and theirs, How Low Can We Go ?”, CATO, Institute Policy Forum, mai, 1999.