Sont-ils dissuadés ?

À Washington, les différents rapports d’avant la guerre de 1973, convergent tous vers un point : la supériorité militaire israélienne dissuade les Arabes contre toute volonté d’attaquer Israël. Lancer une guerre relève pour Washington du domaine de l’impensable. Un document, préparé par William Quandt, membre du NSC (National Security Council), reflète le doute de Washington au matin du 6 octobre 1973. Aucun signe de l’imminence d’une attaque n’est visible, selon le rapport présenté à la Maison Blanche le matin même. Au même moment, du côté arabe et avant que les États-Unis aient appris qu’il y a eu déclenchement d’hostilités, une réunion de (WSAG) Washington Special Action Group, a lieu à la Maison Blanche en l'absence de Kissinger. Selon un compte rendu, au cours de la réunion, le Directeur de la CIA, Colby note que ni les Syriens ni les Égyptiens ne sont prêts à lancer une offensive, un conflit serait le résultat d'un cycle d'action/réaction et cette configuration est loin d’être en place. William Quandt (2001, p. 152) 853

À la lumière de l'avertissement de Golda Meir, William B. Quandt, essaye d'interpréter les divers signes d’un imminent conflit : évacuation des conseillers soviétiques, forces égyptiennes placées sous un état d'alerte élevé, et positionnement des forces syriennes sur les hauteurs du Golan. Les interprétations sont les suivantes : l'évacuation des conseillers soviétiques signifie probablement que Moscou sent le vent d’une guerre imminente. L’autre possibilité est qu’une crise sérieuse touche les relations entre Arabes et Soviétiques. En effet, entre le déclenchement d’une guerre ou bien une crise entre Arabes et Soviétiques, les Américains trouvent que la deuxième piste est la plus plausible (Annexe 146) 854 . Cette interprétation est conforme aux rapports de la sagesse reçue dans l'Establishment d'Intelligence disant que les Arabes ne lanceraient pas une guerre tant que l'équilibre militaire serait en faveur d’Israël. En d'autres termes, la dissuasion fonctionne et prévient la guerre en décourageant les Arabes par une puissance militaire prépondérante de Tel-Aviv. « C'est la thèse régnante de l'Intelligence israélienne elle-même et l’Intelligence américaine adhère à cette vision des choses. » (William Quandt, 2001, pp. 150-151) 855 .

Quelques semaines plus tard, Celine Ray, assistante au Secrétaire d’État et auteur du rapport de problématique d’application du cessez-le-feu le 24 octobre 1973, écrit que « la difficulté résidait, en partie, par le fait que les Américains ont été soumis à un lavage de cerveau par les Israéliens, qui se sont eux-mêmes soumis à un autolavage de cerveau. » Durant le premier jour du combat, les forces arabes font des gains significatifs -les Syriens pénètrent les hauteurs du Golan et les Égyptiens entrent dans le Sinaï-. Les pertes sont considérables coté israélien, et au deuxième jour de combat, les pertes sont encore plus importantes des deux côtés israélien et arabe (Annexe 143) 856 et (Annexe 165) 857 . Depuis 1967, les capitales arabes voient une radicalisation de position vis-à-vis des États-Unis. D’un point de vue israélien, la radicalisation des pays arabes contre Washington, n’est pas si catastrophique. Car elle renforce le soutien américain à Israël. D’un point de vue américain, la radicalisation anti-américaine est une réelle catastrophe. « Nous avons évité cela par contraste avec la période de la guerre de 1967 qui a abouti à une radicalisation de la position de plusieurs pays arabes » explique Kissinger lors de la réunion d’évaluation de la situation, le 23 octobre, après le vote de la résolution 338.

Sur la question des relations entre Washington et Tel-Aviv, Kissinger déclare : « notre problème, depuis le début, est le suivant : (page. 6 du rapport). (…) Nous ne pouvons tolérer une défaite israélienne mais en même temps, notre politique ne peut pas être l’otage des Israéliens. » (Annexe 147) 858 . « Contrairement aux Israéliens, les Arabes ont plus appris de la leçon de la guerre de 1967 », explique Kissinger dans sa réunion du 23 octobre1973. (c’est le jour où les Israéliens violent le cessez le feu et la crise de trois jours commence) « Les Israéliens continuent d’adopter les tactiques de la guerre de 67, écrit Kissinger, alors que les Arabes les ont dépassées. » (…) « Il y a dorénavant trois éléments nouveaux dans la stratégie arabe » (page 5 de la note de Kissinger). Le Secrétaire d’État précise que les SAM soviétiques, les armes anti-chars ainsi quun meilleur moral des combattants ont permi aux égyptiens de ne pas se rendre même lorsqu’ils sont encerclés. « Si, écrit Kissinger, les Israéliens avaient été les premiers à lancer l’attaque le résultat aurait été le même. »

Notes
853.

William B. Quandt, Peace Process, American Diplomacy and the Arab-Israeli conflict since 1967 , Washington, Brookings, 2001.

854.

Annexe 146, Memorandum from William B. Quandt to Brent Scowcroft, Arab-Israeli Tensions. 6 October 1973, National Security Archives, Source : National Security Archive, NPMP, NSCF, box 1173, 1973 War (Middle East) 6 Oct. 1973 File No. 1 (1 of 2).

855.

William B. Quandt, Peace Process, American Diplomacy and the Arab-Israeli conflict since 1967 ,Brookings, University of California Press, 2001, 488 pages.

856.

Annexe 143, Department of State, Operations Center, Middle East Task Force, Situation Report 8, “Situation in the Middle East, as 23:00 Hours (EDT, Oct. 7, 1973”. Source : NPMP, NSCF, box 1173), 1973 War (Middle East) 7 Oct. 1973 File, No. 2

857.

Annexe 165, Cease- fire Problems“ Briefing Memorandum. Department of State. From: Celine Ray, To : The Secretary. 24 October 1973, National Security Archives. Source : NPMP, NSCF, box 1173, 1973 War (Middle East) 1973 File.

858.

Annexe 147, Transcript, “Secretary's Staff Meeting,” 23 October 1973, 4:35 p.m. Source : National security Archives, Transcripts of Secretary of State Henry A. Kissinger Staff Meetings, 1973-1977. Box 1.