Objectif Sinaï

Malgré les armes nucléaires israéliennes et quelles que soient les conséquences, Sadate a un seul objectif, traverser le canal de Suez et s’installer sur la rive orientale. Guerre d'Octobre, -de Ramadan pour les Arabes, et de Kippour pour les Israéliens-, la guerre de 1973, est le quatrième conflit armé opposant Israël à ses voisins. La spécificité de cette guerre tient, selon les experts militaires, d’une part, à la percée, temporaire que les troupes égyptiennes et syriennes parviennent à réaliser dans les lignes israéliennes, et d’autre part à l’apparition de l’arme nucléaire israélienne sur la scène des opérations. L’autre spécificité de taille touche la dissuasion israélienne. En initiant l’attaque surprise, Sadate défie volontairement la dissuasion israélienne considérée comme acquise suite à la guerre de 1967.

Les Israéliens qui voyaient la menace venir à chaque fois que les Égyptiens faisaient des mouvements de troupes sur les frontières, n’ont pas pris en considération les avertissements émis par le Roi Hussein de Jordanie, lorsqu’il alerte Madame Meir alors Premier ministre, des préparatifs de guerre réalisés sur un front commun égypto-syrien. Notons aussi que ni la CIA, ni la Maison Blanche, ni le Pentagone ne prennent en considération les appels de Sadate à mener une guerre contre Israël. Bien que suivie d'un succès militaire israélien, cette provisoire “victoire” est vécue, du côté arabe, comme une revanche des humiliations subies en 1948, en 1956 et en 1967. « Il n'y a plus d'espoir pour un accord pacifique ; notre décision est de combattre », annonce, en novembre 1971, Anouar El Sadate, devenu Président l’année précédente, suite à la mort de Nasser en septembre 1970. Cette déclaration de guerre avant la lettre que personne alors ne prend au sérieux, témoigne du désarroi du Caire devant l'échec de ses tentatives diplomatiques. Israël, à l'époque, occupe toujours l'ensemble des territoires conquis au cours de la guerre des Six jours en 1967, en particulier le Sinaï. La résolution 242 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui en préconisait la restitution aux pays arabes en échange de la paix, est restée lettre morte. La guerre d’usure initiée par Nasser ne donne pas les résultats escomptés et l’Égypte de Sadate est alors persuadée que le nucléaire israélien n’est qu’une ligne de plus sur une longue liste de tentatives d’intimidation menées par Tel-Aviv à l’encontre du monde arabe. Sa proposition de trouver une solution pacifique en échangeant la terre occupée en 1967 contre la signature d’un accord de paix avec Israël ne donne pas de résultat.

Le plan Rogers, présenté par les États-Unis pour faire face à la guerre d'usure déclenchée par l'Égypte sur le canal de Suez -avec le but de mettre en oeuvre la résolution 242-, n'a guère plus de succès : Tel-Aviv suspend, en septembre 1970, les pourparlers entamés, deux mois auparavant, par le médiateur Jarring. Toutes les tentatives de Sadate se heurtent au refus israélien. De même, sera repoussé, en décembre 1970, un plan de paix dans lequel Sadate propose d'échanger les Territoires occupés contre une reconnaissance formelle d'Israël. Il propose aussi le retour des réfugiés palestiniens contre la liberté de navigation dans le canal de Suez. Aussi, l'État hébreu n'apprécie guère le communiqué Nixon-Brejnev en mai 1972, qui réaffirme l'attachement des États-Unis et de l'URSS à une solution pacifique conforme à la résolution 242. Le raïs pense en effet, que seuls les États-Unis, sont en mesure d'amener Israël à négocier. Mais, Sadate est également convaincu que face aux multiples refus d’Israël, seule une nouvelle guerre, peut contraindre les grandes puissances à faire usage de leurs moyens de pression sur l'État hébreu. Du même coup, il pourra esquiver le mécontentement populaire qui gronde en Égypte, où le poids de la Défense devient d'autant plus insupportable que rien ne se passe. Telles sont les raisons, extérieures et intérieures, qui poussent Anouar El-Sadate à une confrontation limitée avec Israël : c'est dans ce but, explicitement affiché, qu'il cumule, en mars 1973, sa fonction avec celle de Premier ministre. Sept mois plus tard, le 6 octobre, jour de la fête juive de Kippour, et en plein mois de Ramadan, les blindés égyptiens traversent le canal, bousculent la ligne infranchissable de Bar Lev et s'enfoncent dans le Sinaï, tandis que les soldats syriens avancent de 5 kilomètres sur le plateau du Golan. Il faudra une semaine pour que les généraux israéliens se ressaisissent, et que leurs chars reprennent l'initiative sur les deux fronts. Et cela est d'autant plus facile que Sadate ordonne l’arrêt de l'offensive de ses hommes. Il sait qu'il ne peut plus affronter Israël, depuis la mise en place du pont aérien antre Tél-Aviv et Washington.

Depuis le début des hostilités, les Israéliens subissent des pertes considérables et le 9 octobre, les Israéliens placent des bombes nucléaires sur des missiles Jéricho et menacent de les lancer sur le Caire si Washington n’envoie pas l’aide militaire demandée. Le 14 du mois, un pont aérien est établi et la guerre tourne en faveur des Israéliens. Le général Ariel Sharon, outrepassant les ordres de son ministre de la Défense, repasse le canal et file vers Suez. Il met en difficulté la 3ème armée égyptienne. Le 17 octobre, on assiste à un double événement : dans le Sinaï, une des plus grandes batailles de chars de l'histoire contemporaine, et au Koweït la décision de l'embargo qui déclare la guerre du pétrole. Le 22 octobre, la résolution 338 du Conseil de sécurité des Nations unies est acceptée par l'Égypte et par Israël. Cependant, Israël poursuit sa contre-offensive sur le terrain. Le monde vit alors au rythme des opérations dans le Sinaï et on échappe à un affrontement nucléaire entre Américains et Soviétiques. Ces derniers menacent d'envoyer des troupes en Méditerranée, et demandent l’envoi de forces multinationales pour mettre fin aux affrontements armés. Washington place ses forces en alerte nucléaire de troisième degré. Un bras de fer inquiétant s’installe entre les deux superpuissances.

Imposer un cessez-le-feu est une chose, construire une paix durable en est une autre. Pourtant, les conditions, en apparence, semblent propices à une négociation sérieuse. Elles évoluent, très vite de façon négative. La volonté américano-soviétique d’œuvrer ensemble au règlement d'un conflit est vouée à l’échec. Washington opte à nouveau pour le “cavalier seul”, Henry Kissinger s'attelant à un arrangement séparé excluant l'URSS. Une crise politique et morale est alors ouverte en Israël par la surprise de Kippour. Le Mehdal -la grande défaillance d'octobre- place l’État hébreu devant la réalité de l’échec. Le réalisme suggéré aux Arabes par la “vengeance” de leur honneur durant les premiers jours du conflit d'octobre, aide l'Égypte à refuser les conditions imposées par Israël.