Repenser l’ambiguïté

Bien que les pays arabes soient conscients des capacités israéliennes, la politique de brouillard ne diminue pas leur détermination à se procurer l’arme atomique. En outre, une déclaration reconnaissant qu’Israël possède la bombe pourrait entraîner des sanctions et l’arrêt de l’aide américaine économique et militaire, conformément à l’amendement Symington-Glenn de(1977) 898 . Dans son ouvrage, Simon Pérès (1993) 899 , s’écarte de la position officielle israélienne et affirme que la centrale nucléaire de Dimona a été construite dans un but dissuasif. L’ambiguïté représente une composante essentielle de la défense nationale israélienne (Gerald Steinberg, 1985’ 900 . Elle vient s’ajouter à une armée forte et à des armes ultramodernes. La tâche principale de cette ambiguïté est dissuasive. Selon la formule mise au point par le gouvernement Levi Eshkol, Israël maintient toujours qu’il ne sera pas le premier pays à introduire l’atome au Moyen-Orient (Martin Van Creveld, 1998) 901 . Les Israéliens n’ont jamais admis qu’ils possèdent des armes nucléaires. Ces dernières années, selon S. Hersh, (1991) 902 , les décideurs israéliens ressentent de plus en plus le besoin de brandir une arme nucléaire « réelle mais non visible. » Lorsqu’en 1988, Hersh pose à Yitzhak Rabin la question relative à une attaque chimique de la part des Arabes contre Israël, il répond « que Dieu chasse le malheur, s’ils -les Arabes- songeaient à utiliser ces moyens, la réponse sera des centaines de fois plus forte. » C’est ce que Seymour Hersh appelle le “démon.’’. « On l’entend sans le voir et on le sens sans le toucher. » Seymour Hersh, lors d’une rencontre en 1968, avec Yitzhak Rabin, alors ambassadeur à Washington, écrit qu’il a essayé de comprendre la réticence israélienne vis-à-vis du TNP. Hersh pose la question suivante « Qu’est ce que d’avoir des armes nucléaires ? » M. Rabin lui répond : « Avez-vous une arme si vous dites que vous n’en avez pas une ?. » Hersh relate « quand j’ai dit qu’Israël en possède une, Rabin n’a pas nié mes propos. » (Seymour Hersh, 1991) 903 .

Pour Israël, explique Avner Cohen (1993) 904 , la question de l’acquisition de l’arme nucléaire n’était pas une question de prestige. Les démarches des décideurs israéliens dans cette direction, durant les années 50, sont motivées par les atrocités de l’holocauste. La décision de développer l’option nucléaire, peut se définir et s’expliquer par l’aspect politique et aussi par l’aspect moral. Si pour certains acteurs de l’époque, le nucléaire est un pas vers la gloire ou le prestige, il est perçu et considéré, par les décideurs israéliens, comme un sacré, qui sauverait l’existence nationale. Lorsqu’on 1960, un avion américain de reconnaissance U-2 découvre que ce qui se construit à Dimona n’est pas une “usine” de textile comme le prétendait Israël, mais un réacteur nucléaire. Aussitôt Ben Gourion affirme, à la Knesset et devant les députés, que cette centrale a des buts purement pacifiques. Pour des raisons stratégiques, Israël refuse de signer le traité de non-prolifération des armes nucléaires. L’État hébreu est un pays qui ne possède pas officiellement de bombes atomiques. Les installations nucléaires de Dimona ne sont pas sous la surveillance de l’AIEA malgré le fait qu’Israël soit un membre de l’Organisation. Selon les estimations de la FAS (Federation of Atomic Scientists), les installations nucléaires israéliennes permettent la production d’un nombre compris entre 5 et 10 têtes nucléaires par an. Jane’s Intelligence Review (1994) 905 . Parmi les facteurs qui ont conduit à cette conclusion du rapport, résident deux signes : la disparition de 200 tonnes d’uranium enrichi transporté dans un cargo dans la Méditerranée en 1968, et les coûts d’investissement élevés dans le système de missile Jéricho. Une collaboration considérable entre l’Afrique du sud et Israël s’est concrétisée entre 1967 et 1980. Durant cette période, l’Afrique du sud est le fournisseur d’uranium à Dimona. La question qui reste sans réponse est celle concernant le rôle israélien joué dans le supposé test nucléaire de septembre 1979, dans l’Océan indien -la côte sud-africaine-. Le Jane’s Review de novembre (1994) 906 , considère, que l’essai nucléaire de 1979, en Afrique du sud constitue un troisième signe dans la conclusion des services de la CIA. Avner cohen (1998) 907 , écrit que la CIA a -durant les années soixante- conclu que les Israéliens sont déterminés à développer la bombe atomique. Vers 1966, la CIA fait circuler un rapport selon lequel l’État hébreu est dans la phase finale concernant la production de la bombe, et que son assemblage n’est qu’une question de semaines.

Ces informations n’ont jamais été partagées par les inspecteurs américains de la centrale de Dimona, ni par le département d’État américain souligne Avner Cohen (1998) 908 . Curieusement depuis cette date, le nucléaire israélien disparaît et ne sera évoqué sur la scène internationale que lorsque Vanunu révèlera le secret de Dimona au Sunday Times en 1986. La FAS, (Federation of Atomic Scientists), note que le haut potentiel nucléaire scientifique et technique d’Israël lui permet de continuer les recherches, de se développer vers le perfectionnement des armes nucléaires, et de créer des modifications avec plus de radiation, ou avec une réaction nucléaire plus rapide. Dans ce sens, l’intérêt de Tel-Aviv en matière de développement des armes thermonucléaires ne peut pas être exclu. Les informations données par les différentes sources permettent de désigner les sites les plus importants, entourées d’un certain nombre de précautions puisque ces informations font partie intégrante du potentiel militaire et stratégique du pays : Dimona : réacteur de production d’armes ; Yodefat : installation d’assemblage et démantèlement des armes nucléaires ; Soreq : centre de recherche et de développement des armes nucléaires ; Kafr Zaccareiyah : base de missiles nucléaires et site de stockage des bombes ; Ilabun : site de stockage d’armes nucléaires tactiques. D’après le Bulletin of Atomic Scientists, (2003) 909 , huit États sont officiellement déclarés comme détenteurs des armes nucléaires. Les stocks d’armes existants sont les suivants : 1/ Les États-Unis comptent entre 7960 et 10 600 têtes, dont environ 3780 à 4000 à bord de sous-marins stratégiques. 2/ La Russie, avec un stock entre 6590 et 8600 têtes dont environ 4000 arment des missiles sol-sol intercontinentaux, fixes ou mobiles. 3/ La Chine, qui possède environ 400 têtes, y compris des obus d’artillerie. 4/ La France, quant à elle, possède 350 têtes à bord de sous-marins et de bombardiers. 5/ Le Royaume-Uni, avec un arsenal qui compte 200 têtes, déployé à bord de sous-marins stratégiques, à l’exclusion de tout autre vecteur. 6/ L’inde est créditée de 75 têtes. 7/ Le Pakistan est crédité de 25 têtes. Enfin, 8/ La Corée du Nord, les experts lui créditent trois têtes nucléaires. Les estimations, des experts selon le Bulletin of Atomic Scientists (2002) 910 , basées sur des rapports de la CIA, donnent Israël -qui n’a jamais reconnu détenir un stock d’armes nucléaires-, entre 75 et 300 têtes nucléaires. Ces estimations placent les Israéliens au niveau du Royaume-Uni, voire même loin devant.

La voie de la clandestinité a dans le passé aidé Israël à devenir une puissance, sans jamais déclarer l’existence de son arsenal nucléaire. Cela porte le nombre de puissances nucléaires à neuf. D’autres candidats sont inscrits sur la liste comme l’Iran ( 911 ). Une étude récente souligne l’extrême vulnérabilité de l’État hébreu face à une première frappe écrit Harold Hough, Jane's Intelligence Review, (1997, pp. 407-410) 912 . En 1991, Saddam frappe Tel-Aviv avec les missiles Scuds et les Israéliens mettent en alerte leur arsenal nucléaire écrit Aharon Levran (1997, pp. 1-10) 913 . Mais suite à cette guerre, le Jane's Intelligence Review, (1998) 914 , explique que les Israéliens ont depuis opté pour un changement dans leur stratégie nucléaire. Ils optent pour une stratégie de missiles de longue portée. Cette nouvelle doctrine stratégique permet aux forces israéliennes de riposter avec une seconde frappe à partir de sous-marins (Israel Shahak, 1997, pp. 72-73) 915 .

Notes
898.

Cet amendement stipule l’arrêt de l’aide militaire à tout pays qui importe ou exporte des équipements ou de la technologie nucléaire de retraitement ou d’enrichissement.

899.

Shimon Pérès, Le temps de la paix , Paris, Editions Odile Jacob, 1993.

900.

Gerald Steinberg Israeli nuclear ambiguïty , New York, Lexington books, 1985.

901.

Martin Van Creveld, Tsahal, Histoire critique de la force israélienne de défense , Paris, Editions du Rocher, 1998. 590 pages.

902.

Seymour Hersh, The samson Option , New York, Random House, 1991, 354 pages.

903.

Ibid

904.

Avner Cohen, “A sacred matter”,The Bulletin of American Scientists, juin 1993.

905.

Harold Hough & Pete Sawyer, “Israeli nuclear infrastructure”,Janes Intelligence Review, novembre 1994.

906.

Harold Hough & Pete Sawyer, “Israeli nuclear infrastructure”,Janes Intelligence Review, novembre 1994.

907.

Avner Cohen Israel and the bomb , New York, colombia university press, 1998, 470 pages.

908.

Ibid.

909.

Bulletin of Atomic Scientists, Vol. 59, No.2, avril 2003, pp. 74–77.

910.

Bulletin of Atomic Scientists, octobre 2002.

911.

Bulletin of the Atomic Scientists, Vol. 58, No. 6 décembre 2002.

912.

Harold Hough, “Could Israel's Nuclear Assets Survive a First Strike?”, Jane's Intelligence Review, septembre 1997.

913.

Aharon Levran, Israeli Strategy after Desert Storm: Lessons from the Second Gulf War, London, Frank Cass, 1997.

914.

Harold Hough, “Israel reviews its nuclear deterrent”, Jane's Intelligence Review, 10, No.11, Novembre 1998, pp. 11-13 ; Harold Hough, “Double-edged sword”, Jane’s Intelligence Review, septembre, 1998

915.

Israel Shahak, Open Secrets: Israeli Nuclear and Foreign Policies , London, Pluto Press, 1997.