Introduction

Ce projet tire son origine d’une constatation. On dit des domaines de spécialité qu’ils sont riches en néologismes morphologiques, c’est-à-dire en dérivés, mots composés, sigles, troncations et amalgames. Cette remarque s’applique plus particulièrement aux langues germaniques (Melka, 2002 : 100) dont l’anglais, langue de création d’Internet, fait partie. Notre étude des anglicismes utilisés en espagnol dans les domaines de la génétique et d’Internet (Ahronian 2001) corrobore cette observation. Dans l’échantillon de termes analysés, la présence d’anglicismes composés est particulièrement manifeste. La lecture de magazines d’Internet anglais, français et espagnols confirme que le nombre considérable de mots composés est une réalité.

Le présent travail de recherche sera consacrée à trois langues ayant un statut différent au regard du domaine d’Internet : l’anglais 1 est la langue de néologie primaire du domaine, et le français et l’espagnol sont deux langues recourant à la néologie traductive, c’est-à-dire recevant et adaptant les termes anglais.

Pourquoi avons-nous choisi d’étudier le lexique d’Internet ?

Dromard et Seret 2 définissent Internet comme un réseau informatique international réalisant l’interconnexion d’un nombre croissant de réseaux de toutes dimensions. Colombain (1998 : 112) ajoute que le réseau s’est très rapidement développé à l’échelle internationale, de manière un peu anarchique au fur et à mesure de l’interconnexion des réseaux. Pour le grand public, utiliser Internet c’est envoyer un message par le biais d’un serveur de courrier électronique, dialoguer en temps réel avec un interlocuteur se trouvant au bout du monde ou à deux pas grâce à un canal IRC, faire partie d’un groupe de discussion au moyen d’un serveur Usenet, naviguer sur le « World Wide Web », la partie multimédia d’Internet accessible grâce au protocole http, à la recherche d’informations ou de divertissements, ou encore de télécharger des programmes gratuits ou payants grâce au protocole FTP.

Le nombre d’utilisateurs du réseau Internet est considérable et ne cesse d’augmenter depuis 1994, date de son ouverture au grand public :

Tableau 1 : Nombre d’internautes
Pays En millions 3 Date
Grande-Bretagne
30,4 Décembre 2002
28 Décembre 2001
États-Unis
174,2 Mars 2002
166,14 Août 2001
France
23 Décembre 2002
21,9 Décembre 2001
Canada
16,84 Mars 2003
14,44 Août 2001
Espagne
17 Décembre 2002
10,1 Décembre 2001
Argentine 3,88 Juillet 2001
Mexique 3,42 Juillet 2001

Le nombre d’internautes dans le monde était de 384 millions en 2000, 498,7 millions en 2001, 565,7 millions en 2002 et 633,6 millions en 2003. Il est estimé à 724,9 millions en 2004. 4 En mai 2003, la population internaute de la Grande-Bretagne était évaluée à 47%, soit près de la moitié de la population britannique (43% en 2002). En mars 2003, l’Espagne comptait 25,5% d’internautes. Le pays accuse un retard mais fait preuve d’un réel dynamisme (augmentation de 16% en un an). À la même période, on recense 40,9% d’internautes en France.

Les vocabulaires technoscientifiques constituent la plus grande partie du lexique d’une langue mais aussi la plus productive (Candel, 2000 : 339). Ils occupent une place prépondérante dans les échanges entre spécialistes et les relations entre les spécialistes et le grand public.

Internet est une véritable merveille technologique qui évolue rapidement, utilise de très nombreux concepts et dont aucune autorité centrale ne régit les innovations et les avancées. Par conséquent, les concepts ne sont pas définis par un seul et unique spécialiste ou un groupe de spécialistes et un flou conceptuel et/ou terminologique s’installe. Par exemple, le terme anglais log file a, à notre connaissance, quatre équivalents français : fichier log, fichier de logs, inventaire des connexions et fichier journal. Le lexique d’Internet est un des plus féconds des sciences et des techniques depuis la fin du xx e siècle (nombre de dictionnaires, glossaires, lexiques monologues, bilingues ou multilingues ont vu le jour depuis quelques années). Le terminologue découvre, analyse et exploite les termes dénommant les concepts pour fournir au traducteur les données utiles à la traduction des textes de ce domaine récent. La traduction est nécessaire pour endiguer le flot de termes anglais qui inondeles vocabulaires français et espagnols d’Internet pour conserver une information scientifique et technique en français et en espagnol. La vulgarisation des connaissances, la dissémination de l’information est plus rapide dans le domaine d’Internet que dans d’autres domaines, comme la médecine ou la physique nucléaire. Les populations francophones et hispanophones sont attirées par ce moyen de communication et de documentation de plus en plus ancré au sein des foyers, des entreprises, des écoles, des institutions, etc. et sont avides d’en découvrir plus. Pour ces raisons, il est utile de faciliter la traduction des termes et de réduire le flou terminologique.

Pourquoi porter notre intérêt exclusivement sur une catégorie de composés du lexique d’Internet : les noms composés ?

Rappelons tout d’abord que le début des réflexions de l’époque contemporaine sur la composition est marqué par le Traité de la formation des noms composés de Darmesteter publié en 1874. De nombreux travaux ont dès lors été consacrés à la composition dans la langue générale. G. Gross (1996) et Arnaud (2003) passent en revue la littérature et citent entre autres les travaux de Jespersen (1942/1961), Marchand (1960), Martinet (1965), Benveniste (1967), Rohrer (1967), Grevisse (1969), Adams (1973), Guilbert (1975), Saussure (1982), Tournier (1985), Benson et al. (1986), Anscombre (1990), Riegel (1990), Pavel (1995), Bauer (1998).

Les noms composés occupent une place de choix en terminologie :

‘Si l’on fait l’inventaire du vocabulaire des langues de spécialité, on se rend compte que les substantifs constituent l’essentiel du vocabulaire et que parmi eux les noms composés s’y taillent la part du lion. (G. Gross, 1996 : 27)’

Parmi les récents travaux de recherche en terminologie auxquels nous avons eu accès, certains, dont ceux de Depierre (2001) et Brocard (1998), sont entièrement consacrés aux noms composés d’une langue de spécialité, d’autres leur accordent une partie, un chapitre ou leur consacrent une description quantitative comme ceux de Béciri (1999) et Gindre (1999).

Les noms composés génèrent des problèmes de traduction. La plupart des travaux mentionnés ci-dessus sont des analyses descriptives. Aucun travail terminologique n’est orienté sur la manière de traduire les noms composés d’un domaine. Or, selon Meyer et al. (1998 : 637) :

‘[…] Pour éviter l’anglicisation tous azimuts de la terminologie, il est essentiel que les langagiers travaillant dans d’autres langues que l’anglais puissent créer des termes adéquats dans leur propre langue.’

La traduction des termes du lexique d’Internet est un problème qui se pose chaque jour un peu plus en raison du développement et de la diffusion incessants et rapides de cette technologie. Le premier problème auquel le traducteur est confronté est l’identification des unités lexicales dénommant les concepts du domaine. Peu d’indices permettent d’identifier une séquence lexicale comme un nom composé, une collocation ou un syntagme de discours. Deuxième tâche difficile, la mise en relation des termes anglais avec leurs équivalents de traduction lorsqu’ils existent ou la création d’équivalents de traduction. Le troisième obstacle à franchir pour le traducteur est l’acquisition de connaissances sur les concepts désignés par des composés.

Internet a besoin de traducteurs puisque les compétences en anglais des internautes et leur capacité à traduire sont inégales, tout comme l’est leur maîtrise de l’outil Internet. L’objectif de notre recherche est de tenter de répondre à certains besoins des traducteurs. La terminologie peut se mettre au service de la traduction spécialisée en matière de composition nominale. Assister le traducteur spécialisé dans le domaine d’Internet exige de répondre à quelques interrogations :

Dans le cadre de la traduction de documents d’Internet, le traducteur travaille de l’anglais vers sa langue maternelle (le français et l’espagnol ici). Une connaissance approfondie des composés anglais lui permettra de les découper, de les comprendre et de les reformuler plus aisément. Mieux comprendre la formation des composés français et espagnols du domaine peut faciliter la création d’équivalents de traduction pour les termes anglais à venir.

L’objectif que nous nous sommes assigné est de savoir comment il faut traduire les noms composés anglais en français et en espagnol. Pour le découvrir, les composés anglais existants et leurs équivalents de traduction français et espagnols seront analysés. Nous déterminerons s’ils sont rendus par des composés, des mots simples, des mots dérivés, etc. et dans quelles proportions. L’originalité de ce travail résidera dans la conception d’équivalences types anglais-français et anglais-espagnol. Nous entreprendrons ensuite l’informatisation des équivalences pour élaborer un outil d’aide à la traduction des noms composés de l’anglais vers le français et vers l’espagnol. Le système d’équivalences types sera conçu pour les traducteurs, les terminologues, les professionnels d’Internet, les internautes et les étudiants hispanophones et francophones.

Le choix de la méthodologie est dicté par les besoins du public auquel s’adresse cette étude.

Partie I. La première partie exposera le cadre théorique du présent travail. L’objectif est de cerner l’objet d’étude, le nom composé, et de préparer le terrain pour les analyses morphosyntaxiques et sémantiques. Le chapitre I répondra à deux interrogations : Qu’est-ce que la composition ? Qu’est-ce qu’un nom composé ? Au chapitre II, les critères permettant traditionnellement de distinguer les noms composés des autres unités lexicales seront examinés. Dans le chapitre III, des typologies créées pour les noms composés de la langue générale et de certains domaines de spécialité seront analysées dans le but de disposer de modèles de classification.

Partie II. Cette partie dressera le profil linguistique des noms composés anglais, français et espagnols du lexique d’Internet pour fournir au traducteur les informations utiles à leur traduction. Le chapitre I sera consacré à la constitution du corpus qui servira à la collecte des termes, collecte dont le résultat sera présenté sous la forme d’une typologie morphosyntaxique des noms composés anglais, français et espagnols recueillis. Avec le chapitre II débutera l’analyse du profil linguistique des noms composés. Ce chapitre, consacré à l’examen des composés de la langue source, l’anglais, présentera une organisation tripartite : le profil morphosyntaxique des noms composés recueillis, leur profil sémantique et la combinatoire intermatricielle constatée. Dans les chapitres III et IV, les lexiques français et espagnol seront analysés.

Partie III. Cette partie constituera l’aboutissement du projet. Le chapitre I plantera le décor théorique et méthodologique essentiel à la conception des équivalences types. Le chapitre II développera la méthode de création des équivalences types, les résultats obtenus et l’identification des exceptions. Il reposera sur une étude des composés anglais et de leurs équivalents de traduction français et espagnols. L’intérêt que présenterait l’informatisation de notre système pour le traducteur sera ensuite considéré. Dans le chapitre III, l’automatisation des équivalences types sera entreprise. L’étude sera couronnée par la présentation de l’outil final.

Notes
1.

Par langue anglaise, ou anglais, nous entendons l’anglais parlé dans tous les pays anglophones : Grande-Bretagne, Irlande, Etats-Unis, Australie, Canada, Nouvelle Zélande, etc. De même, langue française et langue espagnole renvoient au français et à l’espagnol parlés dans les pays francophones et hispanophones.

2.

Encyclopædia Universalis en ligne (intranet Lyon 2 : http://intranet.univ-lyon2.fr/wt_encyclo.html)

3.

Chiffres pour les pays anglophones, francophones et hispanophones dont les langues sont les cibles de cette étude (source : www.journaldunet.com/chiffres-cles.shtml).