1.1. L’accentuation des composés anglais

La règle générale pour l’accentuation des lexies anglaises est : les lexies simples de plus d’une syllabe comportent un accent tonique principal sur une syllabe (1), les autres syllabes sont inaccentuées (0) ou comportent un accent secondaire sur une autre syllabe (2) : browser (10), favorite (100), server (10), authentication (02010).

D’après Tournier (1991a : 65), l’assemblage de lexies habituellement indépendantes en séquences fortuites n’entraîne pas de modifications accentuelles. L’auteur cite l’exemple EN a German diplomat (10100), pour expliquer que chaque lexie constitutive garde son accent principal. En revanche, combiner des lexies pour former un composé influe sur l’accentuation des formants qui est, en général, semblable à celle des lexies simples : un seul accent principal, normalement situé sur le premier élément. Selon Adams (1973) et Bauer (1998 : 70), l’accent de nombreux composés porte sur le premier élément, contrairement aux séquences fortuites dans lesquelles il porte sur le deuxième élément. Adams cite les exemples bo ttleneck (100) et bottle’s neck (001), auxquels on peut ajouter high chair, high jump (12) et high noon (21), high pressure (210). Mais cette règle a des limites. Elle n’est pas infaillible notamment pour les composés en self- qui ne sont pas mono-accentués mais portent un double accent principal (self-preservation (12010)) (Tournier, 1991a : 66). Arnaud souligne que « les suites occasionnelles NN, très fréquentes, peuvent être accentuées sur le composant gauche » (2004 : 340).

Pour Bauer (1998), faire une distinction à partir de l’accentuation soulève plusieurs problèmes. Des expériences montrent qu’interroger des locuteurs sur des unités N + N n’est pas concluant puisqu’ils sont en désaccord sur l’accent des unités testées et qu’ils ne sont pas constants dans leurs propres choix. Une alternative serait d’enregistrer des conversations ou des émissions radiophoniques/télévisées. Cette solution présente un inconvénient majeur. Il faudrait une masse considérable d’enregistrements pour obtenir plusieurs occurrences d’un même composé et surtout d’une même séquence libre. Les temps d’enregistrement et d’analyse seraient très longs.

Boisson (1980), dont nous ne donnerons qu’une vue d’ensemble, cherche à déterminer si l’accent des composés anglais est sur l’élément de gauche ou sur celui de droite. 41 Sur les 9 450 composés de son corpus (toutes catégories grammaticales confondues), 64,50% sont des composés gauches et 35,50% sont des composés droits. En considérant uniquement les 7 786 noms composés, 42 le pourcentage de composés gauches atteint 72%. La gaucherie est normale chez les noms composés. Boisson en déduit que la « gaucherie est une propriété discriminante des catégories grammaticales » (ibid. : 384).

L’auteur poursuit avec l’étude des types compositionnels des noms composés dont les deux plus productifs sont :

  • N + N. Avec 4 643 composés, il représente 60% des noms composés. Le pourcentage des composés gauches (boyfriend, frogman, homeland) atteint 88%, soit 4 081 composés, et celui des composés droits (garden city, salmon trout, club-foot) atteint 12%, soit 562 combinaisons. L’accentuation des N + N anglais est constante étant donné qu’une partie des composés droits (148 sur 562) qui sont en outre minoritaires est peu stable. 43 En somme, près des 9/10 des composés N + N sont gauches.
  • A + N / N + A. Il représente 20% des noms composés et les composés A + N sont les plus fréquents. Ces juxtapositions ressemblent aux séquences fortuites nominales (même accentuation) et les frontières entre ces deux types de regroupement sont moins précises que pour le type N + N. Sur les 1 546 composés, 1 046 (68%, abstract noun, comic opera, black coffee) sont droits et 500 (32%, freelance, redskin) sont gauches (1980 : 480). Environ les 2/3 des A + N sont des composés droits. Boisson constate que les adjectifs polysyllabiques favorisent la droiterie alors que la spécialisation du sens et la non-compositionnalité favorisent la gaucherie (1980 : 497), comme dans hardware (10), software (10). Si le déterminé a un sens général, le composé a tendance à être gauche (yellowbird, redfish, deadwood) et si le déterminé est un terme scientifique, le composé est généralement droit (carbonic acid, atomic energy) (1980 : 496).

Boisson fait également le lien entre le plan sémantique et le plan phonétique en énonçant le « principe de Forrest » qui est valable pour le mot, le groupe phonologique mais pas pour la séquence fortuite, une entité syntaxique sans intérêt phonologique :

‘Les termes sémantiquement plus spécifiques tendent à attirer l’accent plus facilement que les termes sémantiquement moins spécifiques […]. Dans le cas des composés, cela signifie que l’accentuation dépend de l’ordre de modification. Dans les langues à ordre modifiant-modifié, l’accent tombe sur l’élément de gauche. Dans les langues à ordre modifié-modifiant, l’accent tombe sur l’élément de droite (1980 : 253).

En conclusion, le critère de l’accentuation est peu satisfaisant et les règles d’accentuation appartiennent au domaine de la probabilité. L’analyse de l’accentuation doit tenir compte de la graphie, de la fréquence, de la longueur, de la date d’apparition des composés, de l’hétérogénéité de la communauté linguistique et de l’irrégularité du comportement linguistique des locuteurs (Boisson, 1980). Ce critère n’est ni nécessaire, ni suffisant. Seule une tendance peut être dégagée à cause des variations individuelles. Par exemple, dans le domaine d’Internet, hypertext comporte un accent principal sur l’élément de gauche et un accent secondaire sur celui de droite (102) dans le MWOD. En revanche, il comporte un seul accent principal à gauche (100) en anglais britannique et en anglais américain selon le CALDO. 44

Notes
41.

Les composés sont alors appelés « composés gauches » ou « composés droits » et Boisson parle de gaucherie ou de droiterie.

42.

Les composés sont tirés du Oxford Advanced Learner’s Dictionary of Current English (Hornby : 1974).

43.

Les trois dictionnaires britanniques Longman Dictionary of Contemporary English (1978), Penguin English Dictionary (1969) et English Pronouncing Dictionary (Jones, 1977) n’accentuent pas tous les composés sur les mêmes syllabes.

44.

Sources : www.m-w.comet www.dictionary.cambridge.org