5. … Fréquence

La définition de la collocation de Tournier présente un continuum de la combinaison non attestée à la combinaison nécessaire en passant par la combinaison fortuite et la combinaison fréquente.

Dans les revues d’Internet anglaises, fat ne précèdejamais mail, free détermine quelquefois mail, snail précède fréquemment mail, et back est obligatoirement accolé à door :

‘[…] il est clair que dès l'instant où on parle de fréquence, on ne peut plus prétendre à une opposition tranchée entre le syntagme et le mot composé : c’est encore une fois une question de degré (Boisson, 1980 : 259).’

Étant donné que, dans certains cas, il n’existe aucune différence nette entre un composé et une séquence fortuite fréquente, Tournier parle de « degré d’intégration dans le lexique » (1991a : 66). Un composé a été une combinaison fortuite avant d’être intégré dans le lexique. Sa fréquence d’emploi lui a ensuite permis d’être répertorié. Une séquence avec une fréquence telle que celle de snail mail, 51 généralement non répertoriée, n’est vraisemblablement pas une séquence fortuite mais un composé en voie d’intégration. La fréquence d’emploi des combinaisons détermine leur présence dans les dictionnaires mais d’autres facteurs interviennent aussi : l’ancienneté, la longueur, l’étrangeté des combinaisons, le domaine couvert par le dictionnaire. Le groupement snail mail conjugue deux aspects : nouveauté et étrangeté. Quel rapport y a-t-il entre un courrier et un escargot ? La cooccurrence des deux éléments est rendue possible par la métaphore et l’allitération.

Pour approfondir le critère de fréquence, Boisson confronte des répertoires de mots. Après avoir sélectionné cinquante expressions anglaises ayant une entrée dans le Dictionary of Clichés (Partridge, 1969), il vérifie si elles figurent comme composés ou comme entrées séparées dans dix-huit autres répertoires. Il constate que les assemblages se répartissent dans deux catégories :

  • les associations lexicalisées (carte blanche, good for nothing). Elles possèdent une entrée spéciale dans la plupart des dictionnaires, même peu riches.
  • les combinaisons qui ont un statut confus. Elles forment un continuum de la collocation ou cliché (diabolical skill) à l’expression toute faite (castle in Spain, burden of proof) pour arriver enfin à des assemblages en passe de figurer comme entrée lexicales dans les dictionnaires, et donc susceptibles de se lexicaliser (dead letter, acid test) (1980 : 265).

Boisson établit également une gradation dans la fréquence d’apparition de ces combinaisons dans les ouvrages lexicographiques (ordre décroissant) : mot simple (man), mot historiquement composé devenu complètement opaque (without), mot historiquement composé devenu presque opaque (housewife), mot composé transparent avec altérations sonores minimes (-man), mot composé habituel sans altération sonore, assemblage courant avec hésitation (publicity man), assemblage-phrase souvent absent des dictionnaires malgré sa forte fréquence (see you later).

Le critère de fréquence a des limites. Comme toutes les unités lexicales, un composé peut:

  • ne plus être employé peu de temps après sa création (FR babillard électronique).
  • voir sa fréquence d’emploi variée d’une communauté linguistique à une autre. EN electronic mail a une fréquence d’emploi élevée dans les revues d’informatique/Internet ou chez les jeunes et une fréquence faible dans d’autres types de revues ou chez des personnes plus âgées.
Notes
51.

Dans le jargon des internautes snail mail désigne le courrier postal. Il est assimilé à un escargot car son acheminement est beaucoup plus long que celui de que son équivalent électronique.