D’après une étude diachronique de cyber- (Raus 2001), ce pseudo-confixe a été utilisé pour la première fois en 1834 dans le néologisme français cybernétique signifiant ‘science du gouvernement’. Au XX e siècle, ce néologisme est introduit aux États-Unis où il acquiert un nouveau sens, celui de ‘branche de la robotique relative aux théories de la communication et à la régulation de l’être vivant et de la machine’ (ibid. : 74). En 1984, le romancier américain Gibson crée le néologisme cyberspaced’après cyber- employé en robotique (ibid. : 75). Le pseudo-confixe retient de son emploi dans cybernetics le sens ‘d’espace d’interaction entre l’homme et la machine’. Cyberspace renvoie au « monde des ordinateurs connectés et la société fonctionnant autour » (Newton, 2000 :183). Cette dernière acception a fait le succès du mot et du pseudo-confixe. Gibson a produit la lexiecyberpunk qui caractérise les sociétés « hautement technicisées, déshumanisées et déclinantes, peuplées de personnages anticonformistes utilisant l’informatique pour mener de véritables guerres de rébellion » (Colombain, 1998 : 64). Mais selon Newton (2000 : 183), la lexie cyberpunk a été créée par Katie Hafner et John Markoff dans le livre Cyberpunk : Outlaws and Hackers on the Computer Frontierpublié en 1992. Newton semble faire référence au sens utilisé dans le cadre d’Internet puisque le livre d’Hafner et Markoff présente le cyberpunk comme un hacker (une personne qui pénètre dans les systèmes informatiques d’autrui).
Depuis la création de cyberspace, le pseudo-confixecyber- a pris le sens de ‘réalité virtuelle’. Dans le domaine d’Internet, le sens de cyber- évolue encore. Une activité du monde réel est possible grâce à ce nouveau support média qu’est Internet (seule exception : EN cybercafé qui désigne un lieu réel).
Pseudo-confixe | Base | Champ sémantique | Base | Champ sémantique |
cyber | activity | Sé | merchant | C |
album | Sé | monitoring | S | |
attack | S | protection | S | |
brand | C | punk | S | |
café | Sé | recruitment | Sé | |
conference | Sé | referendum | Sé | |
conflict | Sé | sex | Sé | |
cop | S | shop | C | |
crime | S | soldier | S | |
criminal | S | space | Sé | |
criminality | S | squatter | S | |
debate | Sé | squatting | S | |
delinquency | S | stress | Sé | |
delinquent | S | supermarket | C | |
directory | N/A | terrorism | S | |
editor | Sé | terrorist | S | |
ethics | Sé | univers | Sé | |
flirt | Sé | visitor | N | |
frontier | Sé | world | Sé | |
grocer | C | |||
hacking | S | |||
language | Sé | |||
law | S | |||
love | Sé | |||
market | C | |||
Légende : C = commerce, N = navigation, S = sécurité relative au cyberespace, Sé = société |
Quarante-quatre composés du corpus anglais contiennent cyber-. En ce qui concerne leur morphosyntaxe, le tableau 16 montre que cyber- a toujours une position préfixale et que l’ordre des éléments des composés est toujours déterminant/déterminé. Les composés avec cyber- respectent donc les règles de construction des composés anglais.
Sémantiquement, la réduction cyber- sert principalement à modifier le sens traditionnel de la lexie à laquelle il est accolé pour que l’assemblage s’applique au Réseau. Tout comme un address book est un type de book, un cyberalbum est un album ; ces deux composés sont endocentriques. Des termes comme cyber-crime, cyber-grocer montrent bien que cyber- signifie ‘relatif à Internet’. Le domaine d’Internet s’est approprié ce formant qui a un sens autre que celui du confixe cyber- (voir supra pp. 156-157). Les ouvrages lexicographiques attestent de la nouvelle vie de cyber-. Dans le Merriam Webster Online Dictionary (MWOD) et le Cambridge Advanced Learner’s Dictionary online (CALDO), cyber- est défini de la manière suivante :
À la lecture de ces définitions deux remarques s’imposent. Le MWOD définit cyber- comme une « combining form » et le CALDO comme un préfixe. Les lexicographes anglophones utilisent le termecombining form pour désigner des éléments du lexique qui se combinent avec d’autres (Tournier, 1991b : 151-152). Ils différent des affixes car, contrairement à ces derniers, ils se combinent généralement entre eux et peuvent se placer à droite ou à gauche. Ne figure dans les deux ouvrages que l’acception informatique/Internet.
Le tableau 16 montre que les termes construits avec cyber- se regroupent en quatre thèmes (ordre décroissant de fréquence) :
Notre classification confirme l’observation de Brolles (2001) : cyber- fait référence à des activités, des choses et des personnes existant dans le monde réel et reproduites sur Internet. Colombain (1998 : 60) va même jusqu’à dire que cyber- « s’utilise à toutes les sauces ». Aucun des termes du tableau 16 ne désigne un intervenant direct du Réseau ou un utilisateur (excepté cybernaut, terme absent de notre corpus, dont la fréquence est bien inférieure à celle de internaut). Certains termes comme cyberpunk, cybersquatter, cybermerchant, cyberterrorist, cybervisitor, cyberdelinquent désignent des personnes qui utilisent le Net à des fins plus ou moins légales et bien intentionnées mais aucun de ces personnages ne participe au développement du Net (contrairement à un webdesigner). Il faut également noter que cyber- a une telle fréquence que certaines lexies resteront des hapax ou quasi-hapax : cyberrestaurant, cybersandwicherie (lexies exclues de notre corpus car non attestées).
Les termes des tableaux écrits en majuscules et caractères gras sont les plus fréquents (nombre d’occurrences supérieur à 5 000 000 sur Google.com au 14-01-04). Les termes en majuscules sont très fréquents (entre 1 000 000 et 4 999 999 occurrences), ceux en caractères gras sont fréquents (entre 100 000 et 999 999) et ceux en italique ont un nombre d’occurrences compris entre 10 000 et 99 999. Les trois orthographes (en un bloc, en deux mots ou reliés par un trait d’union) sont comptabilisées.