3.3.2. Bilan

Tableau 25 : Fréquence des combinaisons de matrices dans le corpus anglais
Combinaisons % Fréquence « type »
Composition + métaphore 64,5 15
Composition + pseudo-confixation 21,2 6
Composition + siglaison 7,5 6
Composition + métonymie 3,4 8
Composition + apocope 0,6 2
Composition + aphérèse 0,2 1
Composition + préfixation 0,2 1
Composition + suffixation 0,2 1

Le regroupement des combinaisons fait apparaître que la métaphore est de loin la matrice la plus associée à la composition (64,5%). Dans le lexique de la science fiction, une seule matrice (la composition) est à l’origine de la plupart des néologismes 105 et la combinaison composition-métaphore implique au moins quinze lexies, au même titre que composition-emprunt, composition-siglaison et composition-métonymie (Gindre, 1998 : 53). Pourquoi une telle affinité entre la composition et la métaphore dans le domaine d’Internet ? Pourquoi cette affinité se démarque-t-elle autant des autres combinaisons et notamment de la métonymie ?

Tout d’abord, il est utile de préciser que la forte proportion de termes formés à partir de ces deux matrices n’est pas inhabituelle puisque, selon Ayto (1996 : 184), la grande majorité des néologismes anglais de la fin du XX e siècle provient de la composition, de l’affixation et des changements sémantiques. 106 Cependant, la métaphore occupe une place beaucoup plus importante dans le lexique d’Internet que dans l’anglais général et dans d’autres langues de spécialité. Par exemple, selon Brocard (1998 : 17), les termes du lexique du cinéma américain sont souvent formés par métaphore (sixième matrice la plus fréquente avec 39 termes sur 985). Pour répondre aux questions précédentes, nous allons étudier succinctement quelques fonctions de la métaphore. La littérature sur la métaphore étant abondante, nous reprendrons les études de Brolles (2001 ; thèse en cours) 107 qui répertorient les fonctions de la métaphore utiles dans le cadre d’études néologiques :

Les propriétés de la métaphore et de la composition expliquent leur succès en tant que procédés de création terminologique en anglais. La combinaison composition-métaphore confère aux termes des qualités facilitant la compréhension des termes créés. Le fait que la métaphore interfère avec la centricité n’est pas un obstacle à la compréhension des concepts par les locuteurs puisque 94,20% des composés anglais sont endocentriques et que des composés exocentriques peuvent contenir une métaphore didactique (EN Trojan Horse, backdoor, bottleneck). La grande majorité des analogies est perceptible. Dans le domaine d’Internet, les métaphores sont le plus souvent didactiques (EN address bar, chat server, cybercrime, virus attack, etc.). Par ailleurs, plus une dénomination contient d’éléments de nomination, et par là de traits conceptuels, plus elle tend à être transparente, à dévoiler le concept désigné. Grâce à une analogie de forme (EN World Wide Web), de fonction (EN virus writer) ou à son caractère ludique (EN snail mail, hacktivism), un composé métaphorique est peut-être plus facile à mémoriser qu’un composé non métaphorique.

Pour répondre à la deuxième question – pourquoi une si faible représentation de la métonymie (3,4%) par rapport à la métaphore (64,5%) ? – nous nous appuierons sur l’hypothèse de Brolles (2001 : 34). La métonymie, construite à partir d’une association d’idées, serait un processus de nomination moins spontané que la métaphore qui, elle, est basée sur une ressemblance. Un concept a déjà une dénomination avant qu’un rapprochement métonymique ne soit effectué. Brolles (2001 : 35) cite la métonymiedotcom, désignation apparue après startup. Le signifiant renvoie à un concept possédant déjà un signifiant (startup). Les métonymies n’ont peut-être pas eu le temps de se développer parce que le domaine d’Internet est récent.

Quant à la dérivation (préfixation et suffixation), elle figure souvent parmi les processus lexicogéniques les plus fréquents. C’est le cas par exemple dans la terminologie des systèmes experts (Cormier et Rioux, 1991 : 248). Dans notre étude, la très faible fréquence de la préfixation et de la suffixation s’explique par les limites fixées (Sec. 3.2.4.). Cormier et Rioux (ibid. : 261) citent entre autres -ion et -eur comme suffixes fréquents (acquisition de connaissances, capteur d’acquisition des données). Or, pour nous, acquisition et capteur sont des emprunts sémantiques à d’autres domaines puisque les formes existaient avant leur utilisation dans la terminologie de l’intelligence artificielle. La suffixation, n’ayant pas été pensée au moment de l’introduction de ces lexies dans une nouvelle terminologie, n’est pas comptabilisée.

Dans notre classement, le processus lexicogénique de la siglaison occupe la troisième place. Au regard de sa principale caractéristique, la brièveté, l’importance de la siglaison n’est pas inattendue. Mais l’apocope et l’aphérèse, elles aussi des réductions, sont très faiblement représentées (0,8%). Ce chiffre concorde avec ceux de Ayto (ibid. : 184). Les « shortenings » occupent 1,7% des entrées du Barnhart Dictionary of New English 1963-1972 (1973), 2,1% de celles du Second Barnhart Dictionary of New English (1980)et 2,2% de celles du Longman Register of New Words (1989). Nos critères excluent certains raccourcissements : ad (sept occurrences), biz (une occurrence).

Le lexique anglais d’Internet se caractérise par un recours massif à la combinaison composition-métaphore, ce qui le rapproche de la langue parlée – plutôt que des terminologies techniques soutenues. En effet, administrateurs de sites et internautes occasionnels utilisent les mêmes termes. On ne peut pas opérer de distinction langue scientifique - langue populaire dans ce domaine.

Notes
105.

Les deux tiers sont créés par la composition (puis métonymie et préfixation).

106.

Les données de l’auteur proviennent de l’analyse de dictionnaires de néologismes.

107.

Thèse de doctorat sur les métaphores en cours. Informations tirées du chapitre 3 : Les utilisations de la métaphore.

108.

Parmi toutes les fonctions citées, celle-ci est la moins bien admise.