Connaissances sur le monde matériel

En sciences, on étudie généralement un phénomène dans le cadre d’une ou de plusieurs situations expérimentales. Dans les activités expérimentales d’une classe de physique (niveau 1ère), généralement les élèves agissent sur des objets sensibles de nature différente. Nous y trouvons, tout d’abord, des objets expérimentaux (montages techniques, appareils de mesure etc.). L’expérimentation consiste à intervenir sur ces objets par un système d’actions transformatrices, un ensemble coordonné de procédures qui constitue la pratique expérimentale. A côté de ces objets expérimentaux, nous trouvons d’autres objets que les élèves ne peuvent ni voir ni toucher (électrons, lumière, etc.) mais sur lesquels ils peuvent agir et dont ils peuvent observer les effets. Ces objets sont également constitutifs du phénomène. Halbwachs (1974) les désigne sous le terme d’objets physiques.

Face à une situation expérimentale, l’élève peut mobiliser ses connaissances des objets expérimentaux, de leur structure, de leur fonctionnement, de leur relation nécessaire avec d’autres objets et ses connaissances des événements. En ce qui concerne, les relations entre les objets, elles peuvent être qualitatives ou quantitatives. En général, l’étude expérimentale d’une situation physique ne se limite pas à des considérations qualitatives sur les objets et sur leurs transformations. L’étude quantitative des phénomènes fait appel à la mesure. Ces connaissances sur les objets expérimentaux physiques ou expérimentaux, peuvent être aussi bien quotidiennes que de la physique au sens acquise au cours d’expériences scolaires.

Face à une situation expérimentale, la mobilisation de connaissances sur les objets et les événements est une nécessité de l’acte de perception. Percevoir permet de prendre connaissance de l’environnement et d’interagir avec lui ou d’agir sur lui. La perception s’inscrit dans l’instantané. C’est un acte immédiat. La connaissance que l’on a de l’environnement repose sur une multiplicité de perceptions qui se sont succédées dans le temps et qu’on a mémorisées. Réciproquement, la manière dont on perçoit à un instant donné une zone déterminée de l’environnement influencée par les perceptions antérieures et la connaissance générale qu’on possède de ce monde. Les connaissances sur le monde matériel ne sont qu’une partie de ces connaissances. La distinction sensation/perception repose sur l’idée que les perceptions réfèrent toujours à des objets externes tandis que les sensations sont des expériences personnelles intimes des sujets. Si la perception s’appuie sur nos sensations, elle ne se réduit pas à elles.

Dans cette optique, face à une situation expérimentale, on peut dire que l’élève agit, en quelque sorte, sur une réalité reconstruite par la pensée. Guillaud (1998) dans sa thèse distingue « fait brut » et « fait scientifique ». Il définit le terme « fait brut » comme la perception du monde des objets et événements dans le cadre théorique de la connaissance quotidienne, et le « fait scientifique » comme la perception du monde des objets et événements dans un cadre théorique scientifique (p.71). Buty (2000) dans sa thèse distingue « mondes objets et des événements », « objets perçus simplement », « objets perçus épistémiquement » et « objets pris en compte » (p.22). Il les explique comme « la terminologie, « perception simple/perception épistémique » empruntée à Dretske. Un objet ou un événement est « perçu simplement » quand des informations parviennent de l’objet aux organes sensoriels de l’individu mais ne donnent pas lieu à une conceptualisation de sa part. Lorsque cette conceptualisation a lieu, et que l’individu fait intervenir ses connaissances et modes de raisonnement antérieurement acquis pour interpréter ces informations, Dretske parle de « perception épistémique ». Au-delà de cette distinction entre simplement perçu et conceptualisé, l’élève peut décider de ne pas tenir compte de tel ou tel élément de la situation matérielle, parce qu’il pense que cet élément n’a pas d’importance ou ne rentre pas dans ce qu’on lui demande. Au contraire, il peut prendre en compte et chercher à expliquer des phénomènes qui ne font pas partie du dispositif expérimental prévu par l’enseignant ». Roth (1997) dans son article distingue « looking at », « observing » et « seeing as » (p.119). Pour lui, il s’agit de « looking at », quand les élèves ne s'engagent pas dans la structuration de l'activité. C'est-à-dire il n'y a aucune intention de partager le monde dans des choses avec des aspects spécifiques. Il s’agit de « observing », quand la recherche de possibilités de tailler le monde dans des choses (des phénomènes) caractérisés par des aspects spécifiques et des propriétés. L'observation est l'ordre actif et ainsi la structuration de monde. Il s’agit de « seeing as », l’interprétation d’un objet-événement dans une structure spécifique et la reconnaissance d'un objet/événement comme quelque chose qui fait partie du monde partagé, reconnaissant l'objet comme tel. Ce développement vise à montre que les connaissances sur le monde matériel sont en fait diverses. Dans notre travail, nous ne distinguons pas systématiquement ces connaissances même si nous discutons nos résultats à la lumière du rôle de la perception.