Introduction

‘« Si les intellectuels pouvaient contribuer un peu moins à relayer les forces sociales dominantes, ce ne serait déjà pas si mal ». 1

Choisir ces propos de Pierre Bourdieu pour ouvrir une étude des E uvres de Louise Labé peut paraître anachronique ou, du moins, anticipé. Pourtant, il semble nécessaire que tout travail de recherche, quel que soit son objet, et ce dès son préambule, s’interroge sur son rôle dans la société. Cette interrogation vaut pour celui ou celle qui s’engage dans la défense et illustration d’une thèse. La domination, et le rapport de la production littéraire aux forces sociales dominantes, est au cœur de notre réflexion sur le corpus que nous avons choisi.

Travailler sur les Euvres de Labé, notamment en cherchant une alternative de réflexion au postulat d’écriture « féminine » qui est celui d’une partie de la critique, c’est s’engager dans une action tant littéraire que politique. Il ne s’agit pas ici d’entreprendre une révolte communautariste, mais de remettre en question l’ordre symbolique qui perdure, dans notre société, comme système d’oppression de certains groupes d’individus « différenciés ». Les femmes sont privées de statut et de capacité juridique au XVIème siècle. Or, la première pièce des Euvres de Louise Labé est précisément un texte en prose basé en grande partie sur une rhétorique judiciaire habilement maîtrisée. Comment ne pas souligner l’audace, voire la témérité, de Louise Labé, attestant et prenant acte, par son œuvre, d’une émancipation sociale et mentale qu’elle prétend, sans doute ironiquement, acquise : « Estant le tems venu, Madamoiselle, que les severes loix des hommes n’empeschent plus les femmes de s’appliquer aus sciences et disciplines… » 2  ?

L’ouvrage est remarquable par rapport à l'ensemble de la production de la première moitié du XVIème siècle. Que l’auteure en soit une femme joue un rôle prépondérant dans la fascination que le texte a exercé et exerce toujours sur la critique. La légende de Louise Labé a été tissée, au cours des siècles, dans les zones de mystère laissées vacantes par la biographie de l’auteure en l'absence de traces historiques. Le texte paraît une première fois en 1555 chez Jean de Tournes, à Lyon, puis une seconde fois, en 1556, chez le même éditeur, mais avec une mention importante : les œuvres sont présentées comme revues et corrigees par ladite dame 3 . « La dite dame », c'est Louise Labé, lyonnaise.

Notes
1.

1 Pierre BOURDIEU, entretien avec Sylvain Bourmeau in Les Inrockuptibles, avril 1997.

2.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, éd. François RIGOLOT, Paris, GF-Flammarion, 1986, p. 41.

3.

Euvres de Louize Labe, lionnoize, édition originale de 1555, publiée chez Ian de Tournes. Fonds Ancien de la Bibliothèque Municipale de Lyon (rés. 335 915) puis Euvres de Louize Labe, lionnoize, revues et corrigees par ladite dame, édition de 1556, publiée chez Ian de Tournes. Fonds Ancien de la Bibliothèque Municipale de Lyon (rés. 335 916).