Présentation

L’existence, la date de naissance (qu’on situe approximativement entre 1515 et 1526) et même l’orthographe du nom de l’auteure des Euvres restent, aujourd’hui encore, énigmatiques. Madeleine Lazard 4 a récemment fait le point sur les connaissances en la matière, permettant de distinguer les faits avérés des fantasmes. Le nom de Labé serait celui de son père, cordier remarié qui aurait pris le nom de sa première épouse pour maintenir la clientèle de son florissant commerce. L'emploi du conditionnel est rendu obligatoire par l’indigence des sources, qui se limitent aux Euvres et au Testament – en considérant l'écart qui existe toujours entre la réalité et la mise en scène nécessaire à tout mythe personnel – ainsi qu’à quelques brefs témoignages de contemporains, souvent calomnieux, que l'on trouve dans l'édition produite par François Rigolot. Le père de Labé, probablement un négociant – pas simplement un artisan besogneux – était réputé à Lyon pour son commerce de cordes. Est-ce de là qu'elle fut nommée la « Belle Cordière » sous l’influence conjuguée du métier de son père puis de son mari, cordier lui aussi ? Pierre Charly, dit Labé, donne à sa fille un époux nommé Ennemond Perrin. L'auteure choisit ainsi son nom de plume dans l'héritage familial, un nom auquel elle tient au point de le faire figurer cinq fois dans la présentation de ses Euvres, sans compter les nombreuses reprises de l’expression Louïze Labé Lionnoize, et qui prend force de locution, dans le corpus des Escriz adjoint à sa propre production. Daniel Martin, qui a récemment montré la cohérence et la volonté architecturale des Euvres dans son étude de leur agencement 5 , relève le caractère quasi obsessionnel de la répétition de ce nom dans l’ensemble du paratexte, cette signature figurant en des points « stratégiques : page de titre, fin de l’épître dédicatoire, titre du Débat de Folie et d’Amour, fin des poèmes, titre du sonnet liminaire des Escriz… » 6 . D’où lui vient ce surnom de Belle-Cordière qui l’a tant poursuivie et la poursuit encore ? Il est troublant de noter que le plan scénographique de la ville de Lyon, conservé aux Archives Municipales et que l'on date généralement de 1550 7 , atteste l’existence d’une rue Belle-Cordière : la rue du Bourchanin, qui prolongeait le pont du Rhône puis bifurquait dans l’actuelle rue Belle-Cordière, en direction de l’Hôtel-Dieu (alors Hôpital du Pont-du-Rhône), était à la fois parallèle au fleuve et à une impasse déjà alors nommée Belle-Cordière. En 1868, le plan Pointet, qui recense les propriétaires des parcelles de ce quartier de la fin du XIVème siècle jusqu’au XVIIIème siècle, donne le nom de rue Impériale à ce court passage bientôt englobé dans l’actuelle rue de la République. Cela semble signifier qu’il existait une rue longeant la propriété des Perrin-Labé (sur le plan Pointet, Ennemond Perrin est désigné comme propriétaire d’une parcelle attribuée aux Labé en 1528, date qui atteste de l’écart d’âge existant probablement entre l’auteure et son époux), dont l’entrée se situait, et se situe toujours, au 28 de l’actuelle rue Confort (alors rue Notre-Dame de Confort). Cette petite rue portait le nom de Belle-Cordière. L’actuelle rue Belle-Cordière, nommée ainsi sur le plan Pointet de 1868, était l’ancienne rue Bourchanin, perpendiculaire à la rue Confort. L’impasse a-t-elle porté ce nom pour l'auteure, hypothèse improbable, ou l'auteure fut-elle surnommée ainsi pour la proximité de la ruelle ?

La formation de Labé et la façon dont elle a pu acquérir un savoir et une culture, tout en étant une bourgeoise aisée mais issue d’un milieu probablement illettré, sont elles aussi un mystère qui se prête aux plus incroyables hypothèses. En plus de la maîtrise de la prosodie et de la rhétorique françaises, on peut estimer qu’elle connaît certainement l’italien, puisqu’elle ouvre son recueil (sonnet I) dans la langue de Pétrarque, ainsi que des notions de latin, qui lui permettent un accès aux textes philosophiques et poétiques de référence de la Renaissance européenne. Elle semble avoir profité des toutes nouvelles théories sur l’éducation des enfants – celles de Rabelais et d’Erasme – et de ce que Montaigne appellera plus tard la « culture du corps », mais cette hypothèse demeure invérifiable. Devons-nous cependant nous fier à l’Epistre Dédicatoire en forme de manifeste ou à la troisième élégie qui se présente comme une autobiographie fictive à la manière des Héroïdes ovidiennes ? Nous ne pouvons suivre les allégations de Karine Berriot 8 qui affirme non seulement que Pierre Charly, le père de Labé, aurait été l’un des fondateurs du Collège de la Trinité, mais encore que ce collège aurait été mixte et aurait pu accueillir la poète. Le règlement du collège, rédigé par Barthélemy Aneau 9 , insiste lourdement sur l’interdit fait aux femmes de pénétrer dans l’enceinte de la Trinité : « N’y aura poinct de femmes, car c’est une peste en ung colliege ». Est-ce alors Antoine Fumée, humaniste qui signe probablement de ses initiales le vingt-troisième texte des Escriz, qui joua un rôle de mentor auprès d’une jeune fille que le contexte lyonnais lui aurait permis de croiser et dont il aurait perçu les qualités intellectuelles, comme il est écrit au dernier tercet de cette pièce d’hommage adjointe aux Euvres ? La ville de Lyon semble receler le secret de l’énigmatique formation intellectuelle labéenne. L’auteure marque, dès le titre de son œuvre, son attachement à sa ville.

Notes
4.

Madeleine LAZARD, Louise Labé, Paris, Fayard, 2004.

5.

Daniel MARTIN, Signe(s) d’Amante, l’agencement des Euvres de Louïze Labé Lionnoize, Paris, Champion, 1999.

6.

Ibid., p. 45.

7.

Voir, pour ces plans scénographiques, le travail effectué par Luc VAN BRABANT, in Les Baisers littéraires et le salon de Dame Louïze Labé, Coxyde (Belgique), édition de la Belle Sans Sy, 1968, pp. 9 à 36 .

8.

Ibid., p. 42.

9.

Barthélemy ANEAU, Formulaire et institution du collège de la Trinité de Lyon, daté du 4 mai 1540, in Brigitte BIOT, Barthélemy Aneau, régent de la Renaissance lyonnaise, Annexe, p. 460.