Dès lors le sujet de notre étude est double : il s’agit d’une part d’opposer le féminisme des textes au postulat d’écriture féminine dont on les a trop souvent affublées ; d’autre part de s’interroger sur la poétique développée dans les Euvres, en tant qu’ensemble de principes créateurs reconnaissables, au travers de l’observation de l’utilisation humaniste que Louise Labé fait de la lyrique. Notre étude des Euvres s’articule autour de la manière dont se met en place, dans l'ensemble de la production de Louise Labé, un processus d’intégration et de revendication de l’Humanisme renaissant, ou comment les Euvres développent une lyrique humaniste, affirmation d’une politique et d’une poétique.
L’ouvrage, du fait même peut-être du mélange volontaire des « genres » et des formes d’expression littéraire, « totalité saisie dans la pluralité de ses constituants » 25 , développe un humanisme propre à leur auteure en ce qu’il révèle de sa part un véritable projet à la fois poétique (notamment par la mise sur le même plan de la prose et des vers) et politique. Les Euvres sont un projet humaniste, un discours féministe, tenu le plus souvent au féminin, et non pas une expression de la « féminité ». Nous tenterons dans notre étude de ne pas « relayer les forces sociales dominantes », en tenant compte par exemple des schémas intégrés dénoncés par Bourdieu 26 , et affirmant par là la nécessité absolue d’un travail de fond qui secoue un peu les institutions contribuant à éterniser la subordination des femmes et de leurs écrits dans l’histoire de la littérature. Si la littérature peut changer le monde, s’impliquer et s’appliquer à débattre dans la polis, la critique littéraire, dans une perspective interdisciplinaire en accord avec le sujet choisi, ne doit-elle pas s’inscrire, pour servir la société, dans une interrogation des normes et de l’ordre établi ?
Ibid., p. 24.
Pierre BOURDIEU, La Domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998.