I.2 : Tentative de définition de l’"écriture féminine"

I.2.1 Des caractéristiques de forme (le syntaxique et le stylistique) :

Une des erreurs les plus récurrentes du postulat d’ « écriture féminine » est celle de la concordance entre le je textuel, c’est-à-dire celui utilisé dans le texte, et le je auctorial. L’association d’idées et de termes (écriture + « féminine ») amalgame une pratique artistique avec le mythe et la vision symbolique des femmes dans l’ordre du monde. « LA Femme » est une formation imaginaire, vision « différencialiste » qui ignore « ce que la définition dominante doit à la relation historique de domination et à la recherche de la différence qui en est constitutive […] Elle oublie que la différence n’apparaît que lorsqu’on prend sur le dominé le point de vue du dominant » 319 . Il s’agit donc de définir l’« écriture féminine » suivant des caractéristiques formelles, caractéristiques définies suivant trois points : l’identité de l’instance énonciative des œuvres de femmes, c’est-à-dire l’intervention systématique du biographique dans la critique littéraire appliquée aux auteures ; la présence du féminin comme genre grammatical ; et enfin comme genre social, ou symbolique, dans les œuvres de femmes et plus particulièrement dans celle de Louise Labé. Que recouvre la notion de « féminité » en littérature ? Quels sont les traits littéraires ou linguistiques particuliers de l’expression de la « féminité » ?

Le premier constat que nous devons faire est un détail signifiant : la critique dans son ensemble appelle l’auteure des Euvres par son prénom, comme si le sexe de l’écrivante induisait une relation d’intimité. Or, présente-t-on Ronsard par son prénom en précisant que c’est un homme qui écrit ? S’il est absolument nécessaire de se poser la question de l’identité des instances énonciatives dans les Euvres, est-il pour autant judicieux de la différencier de l’ensemble des écrivains de la Renaissance ? La critique biographique, se fondant principalement sur la « légende noire labéenne » va chercher, fouiller, et affirmer avoir trouvé les traces de son existence dans l’expression fictionnelle de ses Euvres. La critique essentialiste prétend qu’il existe une « féminité » des Euvres, donc une manière particulière de s’exprimer pour Labé qui dépend de son sexe, démonstration d’une ontologie de l’expression littéraire.

Notes
319.

Pierre BOURDIEU, La Domination masculine, op. cit., p. 90.