Une des erreurs les plus récurrentes du postulat d’ « écriture féminine » est celle de la concordance entre le je textuel, c’est-à-dire celui utilisé dans le texte, et le je auctorial. L’association d’idées et de termes (écriture + « féminine ») amalgame une pratique artistique avec le mythe et la vision symbolique des femmes dans l’ordre du monde. « LA Femme » est une formation imaginaire, vision « différencialiste » qui ignore « ce que la définition dominante doit à la relation historique de domination et à la recherche de la différence qui en est constitutive […] Elle oublie que la différence n’apparaît que lorsqu’on prend sur le dominé le point de vue du dominant » 319 . Il s’agit donc de définir l’« écriture féminine » suivant des caractéristiques formelles, caractéristiques définies suivant trois points : l’identité de l’instance énonciative des œuvres de femmes, c’est-à-dire l’intervention systématique du biographique dans la critique littéraire appliquée aux auteures ; la présence du féminin comme genre grammatical ; et enfin comme genre social, ou symbolique, dans les œuvres de femmes et plus particulièrement dans celle de Louise Labé. Que recouvre la notion de « féminité » en littérature ? Quels sont les traits littéraires ou linguistiques particuliers de l’expression de la « féminité » ?
Le premier constat que nous devons faire est un détail signifiant : la critique dans son ensemble appelle l’auteure des Euvres par son prénom, comme si le sexe de l’écrivante induisait une relation d’intimité. Or, présente-t-on Ronsard par son prénom en précisant que c’est un homme qui écrit ? S’il est absolument nécessaire de se poser la question de l’identité des instances énonciatives dans les Euvres, est-il pour autant judicieux de la différencier de l’ensemble des écrivains de la Renaissance ? La critique biographique, se fondant principalement sur la « légende noire labéenne » va chercher, fouiller, et affirmer avoir trouvé les traces de son existence dans l’expression fictionnelle de ses Euvres. La critique essentialiste prétend qu’il existe une « féminité » des Euvres, donc une manière particulière de s’exprimer pour Labé qui dépend de son sexe, démonstration d’une ontologie de l’expression littéraire.
Pierre BOURDIEU, La Domination masculine, op. cit., p. 90.