B- L’écriture du « dedans »

Hélène Cixous et Xavière Gauthier définissent l’ « écriture féminine » comme une écriture du Dedans 539 . C’est la proximité des femmes avec leur corps et l’intérieur de leur corps qui peut définir, selon la critique essentialiste, leur rapport à l’écriture et à la production littéraire. Pourtant, comme le relève Michèle Le Doeuff 540  : « on se plaît à détailler les différences cognitives supposées exister entre femmes et hommes, sans opérer jamais le retour critique minimal qui s’imposerait : comment connaissons-nous ces différences et les connaissons-nous ? ». Didier pose comme présupposé à sa réflexion linguistique l’hypothèse de l’existence d’une « nature » féminine, non prouvée scientifiquement. Elle développe ce présupposé en affirmant qu’il existe des « traits communs » aux œuvres écrites par des femmes, basés sur un « conflit entre un désir d’écrire, souvent (…) violent chez la femme, et une société qui manifeste à l’égard de ce désir, soit une hostilité systématique, soit cette forme atténuée, mais peut-être plus perfide encore, qu’est l’ironie ou la dépréciation » 541 . Il est étrange de constater cependant que la Renaissance laisse quelque place aux publications d’auteures, dont les noms nous sont aujourd’hui encore connus, de Pernette du Guillet à Marie de Gournay, d’Hélisenne de Crenne à Marguerite de Navarre, sans omettre les Italiennes, Colonna, Stampa, Gambara, Franco. Jean Delumeau estime qu’ « il y eut plus de femmes cultivées au XVIème siècle qu’à nulle autre époque antérieure […]. Si on nous décrit, au début du XVIème siècle, un pays où l’on donne la même instruction aux enfants des deux sexes, ce pays est imaginaire et s’appelle Utopie. Mais la preuve était déjà faite que des femmes d’élite, dont on avait orné l’esprit dans le milieu familial, pouvaient être aussi instruites et posséder autant de sens artistique que les hommes […]. Divers témoignages nous assurent qu’une élite féminine avait maintenant accès à la culture » 542 . Labé obtient un Privilège du Roy daté du treize mars 1554 a.s, pour cinq années consécutives. Le caractère très administratif de ce texte nuance sa portée symbolique mais il nous faut admettre l’exploitation très perspicace de ce Privilège dans l’économie du volume des Euvres. Peut-on estimer que la production labéenne soit une « écriture du dedans » alors qu’elle est tournée vers la reconnaissance de tous par l’intermédiaire d’un Privilège demandé en son nom propre ? Reprenant l’hypothèse émise par Virginia Woolf dans Une Chambre à soi 543 , Béatrice Didier explique qu’il est nécessaire à toute femme de posséder un lieu clos pour pouvoir écrire, sorte de traduction dans l’espace de cette impossibilité d’ordre existentiel. C’est ce que l’on pourrait lire dans les vers de Labé, au sonnet V 544 , dans l’évocation du « lit » :

‘ Et quand je suis quasi toute cassee,’ ‘ Et que me suis mise en mon lit lassee…’

reprise au sonnet IX 545  :

‘ Tout aussi tot que je commence à prendre’ ‘ Dens le mol lit le repos desiré…’

Il convient cependant d’adjoindre à ces deux vers les suivants :

‘ Mon triste esprit hors de moy retiré’ ‘ S’en va vers toy incontinent se rendre…’

La confusion de Béatrice Didier est d’ordre « biographique ». Elle identifie Virginia Woolf à ses héroïnes. Cependant, Virginia Woolf et Louise Labé n’ont pas choisi une vie de recluses. Le lieu « à soi » est nécessaire pour créer, il n’est pas consubstantiel à la condition « féminine ». La persona d’amante mise en scène par Labé sort, ne reste pas au lit, même si c’est métaphoriquement, elle part, s’en va, n’est pas celle qui attend mais celle qui parcourt l’espesseur d’un bois au sonnet XIX 546 , celle qui fuit la vile, temples et tous lieus. Elle ne se restreint jamais réellement au dedans, car si le sonnet IX est le sonnet du fantasme ou du « songe » au vers 11, peut-on cependant en conclure qu’il s’agit du sonnet du « dedans » ? Certes, le terme apparaît au vers 5, supposant un enfermement en soi, dans le lit, la chambre, la nuit, mais le déplacement a lieu : l’esprit se retire, « s’en va », se rend (remarquons d’ailleurs que les deux consonnes allitératives sont le « s » de la forme réfléchie et le « t » de la forme de seconde personne du singulier). Le je qui s’exprime dans les sonnets se limite à des lieux qui ont l’apparence d’une claustration : espesseur, fuite des lieux « habités »… mais relevons aussi qu’il s’agit pour le je lyrique du sonnet XVII 547 de :

‘ … hors de moymesme vivre…’

Confinées dans l’espace, les femmes qui écrivent le sont aussi dans le temps, selon Didier : « La femme ressent le temps de l’écriture comme un temps volé à l’homme et éventuellement à l’enfant (…) vocation de la voix, du chant, de la tradition orale qui a été assumée par les femmes ( …) parce que pour l’enfant, fille ou garçon, la première voix est la voix maternelle… » 548 . Affirmer son « identité de femme » obligerait ainsi une auteure à plonger son écriture dans l’autobiographique retrouvant une forme d’« animalité » femelle, afin d’écrire « avec son sexe » (son sexte dit Cixous), d’où une plus grande présence du corps dans les œuvres de femmes, d’où une plus grande « oralitude ». Lorsque Didier affirme que « l’écriture féminine est une écriture du Dedans : l’intérieur du corps, l’intérieur de la maison. Ecriture du retour à ce Dedans, nostalgie de la Mère et de la mer » 549 , elle réinstaure la norme en identifiant les femmes dans leur diversité à leur rôle social de mère, le dedans étant celui du sexe, du ventre, de la maternité primitive. Or, nulle maternité dans les Euvres et au contraire une « saillie » récurrente, sortie de soi nécessaire à l’expression poétique (voir le sonnet XVIII 550 mais aussi l’Epistre qui fonde les Euvres comme une sortie « en publiq » 551 ). Ouvrage pionnier en son temps, le travail de Didier n’est plus cependant recevable en ce qu’il ne permet pas de faire sortir les femmes, et notamment les femmes qui écrivent, du ghetto social forgé par les traditions. Elles sont condamnées, par celles et ceux-là mêmes qui voulaient les libérer, à rester chez elles, et à ne surtout pas s’impliquer dans la vie de la Cité, tissant et retissant le récit anecdotique de leurs amours enfuies. Etres « naturellement » apolitiques, elles ne pensent pas mais développent, par l’intermédiaire de leur corps, une sorte de rapport direct et instinctif aux choses. A lire l’Epistre, on ne peut que s’interroger sur l’application d’une telle théorie aux Euvres : « ne devons nous estre desdaignees pour compagnes tant es affaires domestiques que publiques, de ceus qui gouvernent et se font obéïr » 552 . Christine de Pizan, en 1405 (réédition en 1503, notamment), dans Le Thrésor de la Cité des Dames 553 concevait déjà la « différence » entre hommes et femmes non comme un fait « naturel » mais comme le résultat d’une éducation et de rôles différenciés dans la société. Même si elle faisait ce constat de manière tout à fait conventionnelle, elle trouvait une cause sociologique au « féminin », à l’existence du « féminin ». Louise Labé s’inscrit dans la même perspective lorsqu’elle écrit : « L’honneur que la science nous procurera sera entierement notre (…) je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames d’eslever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenoilles et fuseaus » 554 .

. La « féminité » est pour Le Rire de la Méduse de Cixous, texte polémique publié dans L’Arc (n°61) en 1975, ontologique, une évidence « naturelle » due à la différence physiologique existant entre les hommes et les femmes. Le genre n’existe pas pour elle et les individus sont confondus avec leur sexe, déterminés par leur sexe, leur corps, et le biologique est la cause des différences de comportements en société. Toute thématique « féminine » est maternelle : « C’est tout entière qu’elle passe dans sa voix, c’est avec son corps qu’elle soutient vitalement la logique de son discours : sa chair dit vrai. Elle s’expose. En vérité, elle matérialise charnellement ce qu’elle pense, elle le signifie avec son corps. D’une certaine manière, elle inscrit ce qu’elle dit, parce qu’elle ne se refuse pas à la pulsion… » 555 . Les essentialistes érigent la maternité comme un instrument de domination des mâles par les femelles (quand il s’agit d’une instrumentalisation d’individus par d’autres individus pour se perpétuer). Maîtriser la maternité, de façon naturelle, semble permettre aux femmes d’être les véritables dominantes de l’espèce. « Dans la femme, il y a toujours plus ou moins de la mère qui répare et alimente, et résiste à une séparation… » 556 . Pour Cixous, une femme qui écrit est toujours une « femme enceinte », investie d’une puissance qui échappe aux mâles dominants (là où Bourdieu montrera qu’il s’agit d’une Domination masculine, c’est-à-dire sociologique), et produit des « sextes » : le néologisme résume à lui-seul l’hypothèse avancée par l’auteure-critique pour prouver l’existence de l’ « écriture féminine » et d’une thématique qui n’appartiendrait « naturellement » qu’aux femmes.

Citant les ouvrages de Pic de la Mirandole, de Montaigne ou de Boaistuau, qui posent la question du statut de l’humain dans la création, et en particulier de son éventuelle supériorité sur l’animal, Gisèle Mathieu-Castellani 557 s’interroge sur la place laissée aux femmes dans l’organisation sociale. « A la Renaissance, il est en effet impossible de répondre à la question du statut et de la qualité du sexe féminin sans prendre en compte le cadre conceptuel qui organise la vision du monde… ». L’Ordo Mundi s’organise autour des rapports de sexes, entre le mâle et la femelle, entre l’homme et la femme (c’est-à-dire les genres associés abusivement aux sexes biologiques existant) : « la question de la différence sexuelle s’inscrit très précisément à l’intérieur du système qui organise le monde, ses quatre éléments, et ses quatre propriétés fondamentales selon un schéma différentiel ».

Eau Terre Feu Air

Humide Sec Chaud Chaud

Froid Froid Sec humide

La Théorie des Humeurs se calque sur ce raisonnement ontologique. C’est de cette pensée que va naître non pas la différence des sexes, qui est un fait biologique, mais la création différentielle de genres ; c’est en cela que la critique se trompe, en ne posant pas la confusion sexe/genre mais en définissant les individus par leur sexe : « La différence des sexes est l’exact reflet de cette structure. L’Homme est un composé de sec et de chaud, comme le feu et la flamme ; la femme un composé de froid et d’humide, comme l’eau…» 558 . Ce à quoi on peut ajouter : bas, gauche, intérieur, pour les femmes ; haut, droit, extérieur, pour les hommes. Mais pourquoi Mathieu-Castellani utilise-t-elle la majuscule pour Homme et la minuscule pour femme ?

La nécessaire conjugaison du mâle et de la femelle, du masculin et du féminin, du chaud et de l’humide, pour créer la vie et perpétuer l’espèce, vient conforter cette pensée archaïque. La doxa contemporaine relaie la pensée médiévale qui estime qu’une femme enceinte qui porte son fœtus en bas à gauche est enceinte d’une fille, le garçon se portant en haut, à droite. On imagine quelles couleuvres sont cachées dans des propos aussi apparemment innocents. Si les femmes sont, par définition, en bas, à gauche et dedans, elles doivent y rester. C’est sortir de leur sexe que de se piquer de politique, de philosophie, d’humour, de voyage, domaines réservés aux hommes. C’est un « réseau d’oppositions paradigmatiques entre le féminin et le masculin, que chaque sexe ne saurait bouleverser sans perdre son identité » 559 . La quenouille peut alors être perçue, et c’est ce que relève Mathieu-Castellani sans vraiment le contester, comme une représentation symbolique de La Femme, voire sa métonymie. La critique dénie à Labé la maîtrise rhétorique, la captatio et l’ironie lorsqu’elle prétend que son discours, manifestement féministe, de l’Epistre Dedicatoire est une « revendication modérée, où l’acceptation d’une nature fragile (…) rencontre une ambition modeste, celle d’accompagner les hommes dans l’exercice de leur pouvoir » 560 , là où nous lisons une subtile manipulation de l’auteure pour n’être point censurée, d’une part, et la marque de son goût pour l’ironie (sorte de moquerie de la « virilité »). Le terme de nature fragile ontologise une posture sociale. « En dépit des formules de politesse dictées par les lois du discours préfaciel, il apparaît que la publication du volume des Euvres est ressentie par la poétesse comme un titre de gloire » nous dit Martin 561 . La quenouille est un labeur spécifiquement « féminin », une « occupation mulièbre ». Les femmes sont cantonnées à trois activités : écouter, pleurer, filer. « Aux oppositions du bas et du haut, de la terre et du ciel, du corps et de l’esprit, s’ajoutent ainsi les oppositions du dedans et du dehors, de la maison et de la société, du foyer et du monde ou de la cour » 562 . Selon Mathieu-Castellani, si le temps vécu est appréhendé autrement par la femme – ou par la polarité féminine de l’homme – c’est parce qu’il est en effet perceptible hors de l’événement, ressaisi par le désir ; ce temps est vécu par un corps qui structure à sa façon l’espace et la durée, par ce « corps féminin qui connaît le retour du cycle biologique, et se connaît dans ses métamorphoses. Un corps qui ne peut ignorer la perte, la dépense, et connaît aussi le retour, le recommencement » 563 . La « polarité féminine » serait soumise à un « cycle biologique » qu’elle invoque est une référence à la « nature » physiologique différente des femmes qui leur donnerait un autre rapport au temps. La critique prend en exemple le sonnet liminaire des Euvres, en italien et consacré à la figure mythique d’Ulysse 564 . Ulysse est « l’homme du retour, la figure emblématique du temps et de la patrie perdus et retrouvés », et ce sonnet met forcément en jeu les motifs de la perte et/ou de la dépense (perte et dépense qu’on retrouve dans le sujet même de tout canzoniere pétrarquiste qui pourrait être considéré comme la réécriture du deuil orphique). Pourtant, le sonnet I des Euvres est d’abord une réécriture du motif ovidien de l’amour-poison et de l’amour-remède, au second quatrain notamment :

‘ Che rimedio non v’è si tu n’el dai… 565

Le je lyrique est frappé du venin d’un scorpion qui est en même temps le seul à pouvoir le guérir. Ulysse est au centre de ce texte : mythe du voyageur rusé, de celui qui erre, de celui qui vogue, mais aussi de celui qui réfléchit souvent avant d’agir, de celui qui a été puni pour avoir offensé les dieux, de celui qui ne vieillit pas. Labé utilise peut-être ce mythe, à l’ouverture de son recueil – thème qui sera repris dans le quatrième texte des Escriz, pour signifier son « immortalité » littéraire, pour assurer sa gloire. Elle pourrait le faire aussi dans la première élégie en évoquant Sappho, et dans le Débat en citant les autorités littéraires reconnues de la Renaissance. Ulysse est en effet celui qui ne vieillit pas, celui que son voyage a préservé du temps :

‘ Che mancar non potrà ch’i’ non mi muoia. ’

C’est bien la mort qui est évoquée dans le dernier vers du sonnet liminaire, une mort à laquelle Ulysse a échappé bien des fois, une mort que la gloire littéraire permet en partie d’éviter : « pouvoir mettre ses concepcions par escrit, le faire songneusement et non dédaigner la gloire… » 566 .

Cette « attente ardente », qui définirait selon Mathieu-Castellani et les critiques essentialistes, la thématique « féminine », la « féminitude », se signalerait donc par un « tempo féminin, à la fois discontinu et continu, régulièrement irrégulier, rythmé par les plus jamais et les encore » 567  : « Inscrit dans le corps féminin qui voit d’abord le cycle reprendre, mais qui fait aussi l’épreuve du début et de la fin d’un cycle, le temps de polarité féminine est rythmé par la répétition qui installe le continu dans le discontinu : plus sensible aux métamorphoses, plus avertie aussi des menaces, s’inquiétant de la disparition des cycles et redoutant le retour à l’inanimé, à l’inorganique, la moitié féminine de l’être vit dans le battement de deux temps » 568 . Ainsi, les femmes sont « naturellement » plus proches de la nuit (univers spatio-temporel des sorcières et des prostituées, ce que nous retrouvons dans le très misogyne ouvrage, La Louenge des femmes, « le naturel des femmes estoit figuré par la Lune, & en autres choses, & en ceste, Qu’elles se meussent, elles se dissimulent, & contraingnent en la veüe & presence de leurs maris : iceux absents elles prennent leur advantage, elles se donnent du bon temps : vaguent, trottent, deposent leur hypocrisie, & se declairent…» 569 ). La Quenouille et la lyre affirme que 570  : « la femme » entretient sans doute « un rapport avec les grandes figures maternelles qui veillent dans l’univers » (Didier évoquait quant à elle le « retour féminin » à la « Mère-Nature »). La critique évoque alors le sonnet V 571  :

‘ J’endure mal tant que le Soleil luit…’

qui s’achève sur l’évocation de la nuit, temps privilégié d’expression de la plainte lyrique :

‘ Crier me faut mon mal toute la nuit.’

pour justifier son propos, mais en omettant le sonnet suivant 572  :

‘ Deus ou trois fois bienheureus le retour’ ‘ De ce cler astre, et plus heureus encore’ ‘ Ce que son œil de regarder honore.’ ‘ Que celle là recevroit un bon jour,’ ‘ Qu’elle pourroit se vanter d’un bon tour’ ‘ Qui baiseroit le plus beau don de Flore,’ ‘ Le mieus sentant que jamais vid Aurore,’ ‘ Et y feroit sus ses levres sejour !’

Le ton badin et exclamatif du sonnet laisse imaginer que la situation comble le je lyrique. Le sonnet IX 573 cite de nouveau le temps de la nuit dans le premier tercet. L’auteure mythifie le tu du sonnet X 574 sous les traits d’Apollon, mais aussi de Pétrarque ou d’Orphée, par la référence au « laurier » :

‘ Quand j’aperçoy ton blond chef couronné’ ‘ D’un laurier verd…’

Les « nocturnes de Louise Labé » qu’évoque Mathieu-Castellani omettent le caractère éminemment topique du propos, à la fois celui de la reprise ovidienne de la métaphore nocturne comme lieu et temps privilégiés de la plainte lyrique, et celui de la primavera (reverdie médiévale), symbole une fois encore de la Renaissance, au sonnet XV 575  :

‘ Pour le retour du Soleil honorer…’

Et le sonnet suivant 576 vient conforter cette idée, héritée de la topique humaniste, d’un temps nouveau, d’une renaissance, d’un nouveau jour :

‘ Le beau jour vient, de lueur revétu…’

Le mythe « féminin » associé à la Nuit est souvent celui de la chaste et cruelle Diane, évoquée à plusieurs reprises dans les sonnets, notamment le sonnet XIX 577  :

‘ Diane estant en l’espesseur d’un bois…’

Mais on ne peut considérer que ce soit cependant le seul mythe utilisé par Labé. Vénus aussi est évoquée dans les sonnets :

‘ Clere Venus, qui erres par les Cieus…’

au sonnet V 578 , et Apollon, Mercure, Jupiter et bien d’autres dans le Débat 579 . Les références à Vénus ou Apollon, motifs pour le moins solaires et diurnes, sont au moins au nombre de six dans les Sonnets. Il y a une volontaire égalité des mythes évoqués, égalité que souligne le sonnet XXII sans doute davantage qu’un autre :

‘ Luisant Soleil, que tu es bien heureus’ ‘ De voir tousjours de t’Amie la face :’ ‘ Et toy, sa seur, qu’Endimion embrasse,’ ‘ Tant te repais de miel amoureus…580

La quête d’harmonie défendue dans ces vers, où soleil et lune se rejoignent, où Mars voit Venus, où finalement se lient ceux qu’on oppose généralement, contredit l’argument avancé d’ « écriture féminine ». Les mots du bonheur (Luisant, heureus, tousjours, repais) sont importants et insistent sur le contentement. « La différence des sexes, prise pour une donnée de nature, apparaît comme une construction discursive, relevant d’intérêts sociaux et de représentations culturelles qui évoluent avec le temps. En étudiant son inscription dans les différentes langues, on touche de façon particulièrement nette à la relativité et à la variation de catégories supposées universelles et invariantes, mais on voit en même temps comment se construisent les illusions du naturel (…) Si les signes linguistiques relèvent de l’arbitraire, les locuteurs projettent dans les catégories formelles tout un imaginaire. C’est l’exemple classique du genre des substantifs, variable d’une langue à une autre : soleil et lune ne sont pas du même genre en français et en allemand, mais dans chaque langue, le genre de ces mots supporte toute une vision mythologique et symbolique » 581 qui n’ont donc aucun rapport avec une quelconque idée de « nature ».

Notes
539.

Hélène CIXOUS, Dedans, op. cit.

540.

Michèle LE DOEUFF, Le Sexe du Savoir, op. cit., p. 33.

541.

Béatrice DIDIER, L’Ecriture Femme, op. cit., p. 11.

542.

Jean DELUMEAU, La Civilisation de la Renaissance (l’éducation, la femme et l’humanisme). Paris, Arthaud, 1967, p. 435 et suivantes. Voir aussi Evelyne BERRIOT-SALVADORE, Les Femmes dans la Société Française de la Renaissance. Genève, Droz, 1990.

543.

Virginia WOOLF, Une Chambre à soi, op. cit.

544.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 124.

545.

Ibid., p. 125.

546.

Ibid., p. 131.

547.

Ibid.

548.

Béatrice DIDIER, L’Ecriture-Femme, op. cit., p. 17.

549.

Ibid., p. 37.

550.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 131.

551.

Ibid., p. 43.

552.

Ibid., p. 42.

553.

Christine de PIZAN, Le Thrésor de la cité des dames, Paris, Lenoir, 1503 : édition consultée.

554.

Ibid., pp. 41 et 42.

555.

Hélène CIXOUS, « Le Rire de la Méduse » in L’Arc 61, op. cit., p. 41.

556.

Ibid.

557.

Pour toutes les citations de la page, voir Gisèle MATHIEU-CASTELLANI, La Quenouille et la Lyre, op. cit., pp. 23 et 24.

558.

Ibid., p. 25.

559.

Gisèle MATHIEU-CASTELLANI, La Quenouille et la Lyre, op. cit., p. 42.

560.

Ibid., p. 40.

561.

Daniel MARTIN, Signe(s) d’Amante, op. cit., p. 37.

562.

Ibid., p. 43.

563.

Ibid., p. 180.

564.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, sonnet I, op. cit., p. 121.

565.

Ibid.

566.

Ibid., Epistre Dedicatoire, p. 41.

567.

Gisèle MATHIEU-CASTELLANI, La Quenouille et la Lyre, op. cit., p. 181.

568.

Ibid., pp. 184 et 185.

569.

La Louenge des femmes, op. cit., p. 6.

570.

Ibid.

571.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 123.

572.

Ibid., p. 124.

573.

Ibid., p. 125.

574.

Ibid.

575.

Ibid., p. 129.

576.

Ibid.

577.

Ibid., p. 131.

578.

Ibid., p. 123.

579.

Ibid., pp. 47 à 103.

580.

Ibid., p. 133.

581.

Préface de Merete STISTRUP JENSEN in Nature, Langue, Discours. Cahiers Masculin-Féminin, sous la direction de Merete STISTRUP JENSEN, op. cit., première page.