II.1.2 : Les personae des Euvres

Dans le sonnet liminaire des Escriz à la fin du recueil des Euvres, le poète anonyme, que Rigolot identifie comme Peletier du Mans ou Tournes, prévient les loueurs de Louize Labé Lionnoize :

‘ Vous qui le los de Louïze escrivez,’ ‘ Et qui avez, par gaye fantaisie,’ ‘ Cette beauté, votre suget, choisie,’ ‘ Voyez quel bien pour vous, vous poursuivez… 920

En faisant la louange de Louïze, et la paronymie semble intrinsèque à la proposition (le cœur du vers est occupé par le groupe nominal et nominatif : los de Louïze), le vous présenté ici, groupe d’écrivants ( escri vez) que le lecteur associe presque immédiatement aux auteurs des Escri z, soigne son propre bien, c’est-à-dire sa postérité. Participer à la légende de l’auteure des Euvres, c’est entrer dans la légende littéraire française.

‘ Mieux que par vous par elle vous vivez… 921

Le rapport de symétrie, induit par l’utilisation de la préposition devant le pronom, met en relation ce vous et un elle qui désigne l’auteure des Euvres dans sa dimension légendaire. Passer par ce sonnet permet de s’interroger sur les diverses personae en jeu dans le corpus qui nous occupe. L’entreprise des Euvres est double : elle est à la fois celle de la postérité littéraire d’une auteure (jusqu’à la mythification auctoriale) et celle d’un groupe d’auteurs, sans doute exclusivement des hommes, qui participent de cette glorification. Est-ce l’auteure qui a voulu que ces Escriz soient présents dans son recueil comme justification de sa propre production, dans une perspective de mise en légende d’elle-même ? Sont-ce des hommes, poètes pour la plupart, qui ont eu, à un moment précis de la Renaissance lyonnaise, tout intérêt à ce que Louise Labé existe ? Nous ne pouvons exclure une hypothèse au profit de l’autre. Nous allons essayer au contraire de montrer que les Euvres, leur existence comme leur postérité, dépendent d’une conjonction de volontés.

Si on peut considérer que la plupart des recueils lyriques de la Renaissance sont des œuvres de la variation (ce qui est le cas de Labé si on considère qu’elle a utilisé au moins deux formes d’expression poétiques différentes en plus de la prose), l’unité d’une production, comme c’est le cas des vingt-quatre sonnets du canzoniere labéen, mais aussi de l’ensemble du volume par l’effet d’agencement que l’auteure lui a donné, peut être considérée comme la mise en avant d’une subjectivité savamment dissimulée derrière des représentations de soi. On serait tenté d’y lire une histoire intime à la première personne, celle d’un amour, d’un itinéraire, à la manière du Canzoniere de Pétrarque lui-même. C’est cependant un leurre qui semble viser à la construction réfléchie par un-e- auteur-e- de son propre mythe, de sa propre postérité. Dans une minutieuse mise en scène de sa propre personne, Labé fait son auto-promotion de plusieurs manières. Comme cela est traditionnel à la Renaissance, les Euvres utilisent :

Notes
920.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 141.

921.

Ibid.

922.

Ibid., p.109.