C- Des choix lyonnais ou une lyonnaise de choix

Louise Labé a fait des choix poétiques et politiques, et les uns ne vont pas sans les autres. Son premier choix poétique est celui d’une composition ; son second choix est formel. L’auteure des Euvres choisit le Débat, l’élégie, que nous venons de commenter, et enfin le sonnet pour bâtir un ensemble hétérogène mais cependant harmonieux et cohérent. Lorsqu’on observe la présentation proposée par le Privilège de 1554 1234 , on est surpris par le décalage entre ce qui devait originellement composé le recueil et son contenu de 1556 : « on reconnaît parfaitement le contenu des Œuvres et pourtant un seul genre y est exactement présent comme annoncé » 1235 . C’est le sonnet, puisque le « dialogue » est devenu Débat et le couple « Odes et Epitres » s’est mué en Elégies. « C’est justement à partir des formes poétiques revendiquées que certains choix esthétiques de Louise Labé peuvent être mis au jour » 1236 .

Le sonnet est recommandé dès l’Art Poétique français de Thomas Sébillet qui en reconnaît la paternité au « prince des Poètes Italiens » sans plus de précision, en insistant sur la « gravité du sonnet » auquel la « matière facétieuse est répugnante » 1237 . On voit tout de suite l’écart existant entre cette théorie de 1548 et l’utilisation labéenne du sonnet. Le sonnet II, jouant sur l’ironie burlesque, place la poétique labéenne dans un rapport ambigu par rapport à la proposition de Sébillet, tout comme le sonnet XXI, blason ironique du corps de l’homme détaillé crûment et simplement (notons par ailleurs qu’à ce sonnet XXI correspond l’ode XXI des Escriz, nous y reviendrons). A la simple phrase d’incitation au sonnet de la Deffense de Du Bellay (1549) : « Sonne-moi ces beaux sonnets… » 1238 (rien d’autre n’est précisé sinon que « le sonnet a certains vers réglés et limités », et qu’il faut pour les composer imiter « Pétrarque et quelques modernes italiens » 1239 ), répondent le Quintil horacien de Barthélemy Aneau puis l’Art poétique de Jacques Peletier du Mans. Dans le premier, de 1550, Aneau retourne habilement les arguments souvent « nationalistes » de Du Bellay qui, égaré par la modernité qu’il veut imposer, renie la poésie française médiévale au profit d’une poésie étrangère : « au lieu de défendre et illustrer notre langue (comme tu le promets), tu nous fais grand déshonneur, de nous renvoyer à l’Italien qui a pris la forme de la Poésie des Français… » 1240 . Dans le second, Peletier du Mans 1241 théorise enfin la forme en 1555, forme relativement moderne puisqu’elle n’existe de manière sûre que depuis environ dix-sept ans en France, le premier sonnet connu remontant à 1538, et le premier recueil de sonnets étant celui de Du Bellay (L’Olive, 1549, six ans donc avant la théorie de Peletier). On comprend d’ailleurs mieux pourquoi l’auteur de la Deffense veut absolument en faire la forme reine de la nouvelle poésie française. Louise Labé en 1555-1556 est déjà du côté de Peletier du Mans donc d’une certaine forme de modernité, consacrant au sonnet vingt-quatre pièces, c’est-à-dire pas moins de 336 vers, et le revendiquant dès 1554. Les Escriz viennent cautionner cette modernité labéenne (Marot, Scève, Sébillet, Aneau ne l’utilisent peu ou pas) puisque leur texte liminaire est un sonnet et que les neuf premières pièces de l’ensemble, mis à part, bien entendu, les deux odes, grecque et latine, sont des sonnets, la plupart lyonnais, et les deux derniers italiens. Dans le canzoniere labéen, « le recours au sonnet français régulier est massif : 20 fois sur 24 » 1242 . L’auteure fait alterner forme marotique et forme Peletier. On peut donc dire que « le recours au sonnet, et au sonnet pétrarquiste, marque plutôt l’appartenance de Louise Labé à la nouvelle école » 1243 , celle de la Pléiade. L’auteure est « déjà du côté de la nouveauté » 1244 , même si elle écrit ses sonnets en décasyllabes et jamais en alexandrins (devenu en 1555 le vers du sonnet pétrarquiste français), car c’est là sa manière de se revendiquer lyonnaise : en effet, en 1555, à Lyon, le décasyllabe n’est pas un vers marginal mais courant, et qui nécessite de plus une qualité musicale mathématique qui doit forcément plaire à celle qui a bâti son œuvre tout entière sur l’architecture et les chiffres. Autre fait marquant, l’ode que Peletier dédie à Labé dans son Art poétique atteste de la compatibilité entre les Euvres et ses théories de 1555. Cette louange ne figure pas dans les Escriz de la production labéenne mais dans les Opuscules qui suivent son Art poétique. Peletier « n’aurait pas loué une œuvre qui ne concordait pas avec ce qu’il venait d’énoncer dans les pages précédentes » 1245 et par conséquent il nous faut analyser plus précisément cette ode. Au-delà des vers de la dernière strophe, les plus explicites :

‘ Sus donq, mes vers, louèz cette Louïze :’ ‘ Soièz, ma plume, a la louer soumise… 1246

qui nous rappellent bien étrangement l’épigramme XIII des Escriz 1247 , c’est l’ensemble de l’ode qui est bâtie en écho direct avec la poétique labéenne. C’est non seulement l’auteure des Euvres qui est convoquée dans l’ode de Peletier mais sa ville :

‘ Mon eur voulût qu’un iour lion ie visse,’ ‘ A fin qu a plein mon desir i’assouvisse,’ ‘ Altere du renom :’ ‘ I’è vù le lieu ou l’impetueus Ròne’ ‘ Dedans son sein prenant la calme Sòne,’ ‘ Lui fèt perdre son nom.1248

Echo au sonnet italien 1249 occupant la dixième place des Escriz, ces vers nous rappellent la qualité exceptionnelle de Lyon dans le royaume de France en 1555, qualité mythique, évoquée dans l’ode XIX (attribuée à Magny) 1250 , et reprise dans l’ode XXIV :

‘ Un peu plus haut que la plaine,’ ‘ Ou le Rone impetueus’ ‘ Embrasse la Sone humeine’ ‘ De ses grans bras tortueus…1251

Que doit-on alors en conclure ? La poétique labéenne est lyonnaise : c’est sans doute sur ce point que l’ensemble de ces vers insistent. L’ode de Peletier donne certaines clés d’analyse du mystère des Escriz et plus largement des Euvres. Le recueil de Louise Labé concerne Lyon, dans sa dimension cosmopolite et harmonieuse. Peletier en fait la ville de la soee fine e perle oriantale 1252 (doit-on lire ici un lien entre texte et tissu, mots de même étymologie que l’humaniste averti associe aisément et un rappel de l’orientalité de Sémiramis). Il évoque aussi l’ecrin dans lequel les Roes peuvent puiser, rappel sans doute de l’entrée triomphale d’Henri II. Lyon est une ville exemplaire pour le Royaume – ce que tendent à nous dire toutes les pièces du paratexte – mais aussi les Damoeseles e dames 1253 . Représentante de sa ville, bourgeoise appartenant à l’aristocratie intellectuelle, Labé vient témoigner, la plume à la main, qu’il est possible et bénéfique d’éduquer les femmes, et que l’essor culturel de sa ville est aussi un progrès politique. A travers sa propre louange, elle est bien à ses loueurs, cause de leur gloire 1254 . Le caractère féministe de la poétique lyonnaise, et notamment labéenne, est peut-être alors évoqué.

Claude de Taillemont et ses Champs faëz donnent la mesure du féminisme lyonnais et des accointances cultivées avec le discours labéen. Dans la première édition des Champs, on trouve ce quatrain intéressant :

‘ Si voz verts meritent loz avoir’ ‘ Et du futur atteindre la memoire,’ ‘ Voyez ici, Dames, pour vostre gloire,’ ‘ Le traict du vif qui fait DEVOIR DE VOIR. 1255

Fondée sur une rime couronnée pourtant bannie par Du Bellay, la devise de Taillemont permet de lui attribuer plusieurs sonnets des Escriz. Ces quatre vers, suivis d’un Sonnet aux Dames 1256 , nous rappellent vaguement mais sûrement ceux du poème liminaire de ces mêmes Escriz (loz, gloire), mais aussi les adresses aux Dames effectuées par Labé elle-même dans ses Elégies et sonnets, notamment le dernier de son canzoniere (la mise en évidence, dans le rythme du décasyllabe, des Dames, rappelle les vers labéens d’adresse aux dames lyonnaises construits sur le même schéma). Plus troublante est la coïncidence entre l’utilisation du chiffre 3, récurrente dans les Champs faëz selon Jean-Claude Arnould 1257 , correspondant à une thématique féérique morganienne mais aussi à une influence des arts architecturaux. On retrouve cette influence dans la description que fait Taillemont du jardin des Champs faëz, constitué d’un enchevêtrement de triangles. Les mots utilisés par l’auteur pour effectuer cette description sont clairs : « ordre », « ouvrage », « a distance egale », « pomme faicte en forme de sphère », « triangle », quadrangle » 1258 . La fontaine trônant au centre du jardin est composée d’une sculpture des 3 Grâces 1259 . Enfin, ne pourrait-on lire dans le parallélisme des devises d’Eumathe et de Philaste 1260 un écho de l’obsession symétrique labéenne ? Texte à clés revendiqué comme tel par leur auteur, les Champs faëz ont en commun, avec le corpus labéen, la mathématique architecturale. Lyon se trouve aux avant-postes du vitruvisme dont de nombreuses études et éditions existent en 1550. L’architecture a une valeur bien lus qu’ornementale dans l’ouvrage de Taillemont comme dans celui de Labé. C’est une manière de « situer d’emblée l’œuvre dans une lignée esthétique » 1261 , mais aussi symbolique. Il s’agit de fuir la ville pour se réfugier dans une nature artificielle car entièrement architecturée, ce qui nous rappelle le sonnet XVII des Euvres :

‘ Je fuis la vile, et temples, et tous lieus… 1262

où la persona lyrique cherche refuge dans une nature faussement réelle. Les jardins de Taillemont sont bâtis comme des temples ou demeures italiennes, puisque « bucolisme et esthétisme visent à produire dans les Champs faëz un enchantement d’ordre divin » 1263 . Les chiffres sont eux-aussi divins : le 3 (du tercet) et le 4 (du quatrain)composent le sept, chiffre divin et moitié parfaite du 14, nombre de vers nécessaires au sonnet.

L’autre choix formel opéré par Louise Labé et que l’on peut tirer de la comparaison entre les propos du Privilège et les genres utilisés dans les Euvres, est celui du Débat, substitué au « dialogue » de 1554. Le Privilège n’est pas le seul texte à souligner ce changement de nom : le sonnet de Scève dans les Escriz (signé de sa devise, NON SI NON LA), porte en suscription « En Grace du dialogue d’Amour et de Folie, Euvre de D. Louïze Labé Lionnoize » 1264 . Le texte en prose des Euvres devait donc originellement s’appeler « dialogue » en 1554, moment où Scève l’aurait eu, sous forme manuscrite, entre les mains. Notons l’inversion entre les termes Amour et Folie, devenu Folie et Amour dans le Débat, inversion qui se retrouve par ailleurs à la fin de ce même débat dans l’édition de 1556. On trouve en tout quatre noms différents, répartis ainsi :

Débat de Folie et d’Amour (titre de la pièce)

Débat d’Amour et de Folie (fin de la pièce)

Dialogue d’Amour et de Folie (sonnet de Scève)

Dialogue de Folie et d’Amour (Privilège)

la dernière pièce se trouvant être la plus ancienne (1554). Mise à part une illustration de plus du goût aigu de Labé pour la construction symétrique et l’agencement en chiasme, qui semble vouloir signifier le caractère interchangeable des protagonistes-idées Amour et Folie, cette variation du nom de la prose des Euvres mérite qu’on s’interroge au préalable sur la définition des mots dialogue et débat.

Le mot débat entre dans la langue au XIIIème siècle : c’est l’action qui consiste à discuter d’une question entre plusieurs interlocuteurs qui allèguent de leurs raisons. Le débat nécessite et entraîne la dialectique rhétorique. Le débat peut aussi être un procès se déroulant devant un tribunal. C’est bien ce qu’expose Louise Labé : d’abord il s’agit pour Mercure (avocat) de défendre Folie, laquelle est accusée par Apollon (procureur) d’avoir blessé Amour, mais ensuite on constate qu’il s’agit aussi pour Mercure d’accuser Cupidon de voie de faits sur Folie à l’entrée du banquet des Dieux. Les plaidoiries sont des réquisitoires de façon croisée ou interchangeable.

Le mot dialogue existe quant à lui dès le XIIème siècle en français mais ne semble guère courant avant le XVIème siècle. Il s’agit d’abord de nommer la conversation à deux ou plusieurs personnes, par exemple dans une pièce de théâtre. Le dialogue désigne plus certainement dans le cas de son utilisation par Labé et Scève (Privilège et sonnet des Escriz) la dispute philosophique de type platonicienne. En effet, comme le souligne Michèle Clément, « le dialogue a des sens très différents selon les usages ; il est encore souvent ressenti en France comme un hyperonyme de formes médiévales (surtout au XVème siècle dialoguées et versifiées, alors que c’est un genre humaniste très usité en prose en Italie dans la première moitié du XVIème siècle » 1265 . Sébillet l’évoque en 1548 de façon assez floue, et donne pour exemple le « Jugement de Minos » de Marot. Ambigu, le mot pourrait évoquer une pratique médiévale ancienne mais désigne plus certainement une forme humaniste très récente, sous l’influence de Lucien. Tout dépend donc de la perspective dans laquelle on se place, puisque le mot dialogue est ambivalent. Il nous faut relever la fausse hésitation de Labé entre les deux termes, entre les deux dénominations, entre débat et dialogue, les deux mots revenant à égalité dans la globalité du recueil des Euvres. Pour Emmanuel Buron 1266 , le dialogue serait davantage théâtral que le débat, plus oratoire et judiciaire (l’hypothèse s’appuie en partie sur Sébillet qui tire le dialogue tant bien que mal du côté du théâtre). Les agrammaticalités de genre qu’on peut trouver dans les Euvres (soulignées par Rigolot comme la marque d’un estrangement, c’est-à-dire pratiquement d’une schizophrénie de l’auteure et de ses personae)s’expliqueraient donc par la réécriture d’un dialogue en débat. Auquel cas, Folie n’aurait pas donné à Mercure le soin de la défendre mais ce serait alors défendue seule en s’exprimant directement à la première personne 1267 . Le débat nécessite une dépersonnalisation du discours qui doit cesser d’être affectif et devenir le fait de la raison, du raisonnement. Le texte a-t-il donc changé de nom au moment d’entrer dans les Euvres ou bien pour entrer dans les Euvres ? Emmanuel Buron ne tranche pas. Il insiste cependant, comme Michèle Clément, sur la qualité médiévale du terme débat. C’est un titre qui fait référence aux rhétoriqueurs de la poésie française du début du XVIème siècle, aux « episseries » tant décriées par Du Bellay et la Pléiade. « On le trouve chez Villon, Guillaume Cretin, Guillaume Coquillart et dans beaucoup de textes anonymes du XVème siècle, souvent pour faire débattre deux entités plus ou moins animées, plus ou moins abstraites » 1268 , alors que le dialogue humaniste concerne davantage des textes comme le Dialogue de l’orthographe et prononciation françoese de Jacques Peletier du Mans, datant de 1550 et réédité chez Tournes en 1555. Le dialogue humaniste est un genre moderne qui fait basculer du côté d’une influence lucianique dont Labé semble vouloir se cacher : « Louise Labé n’a pas voulu se mettre de manière trop visible sous cette tutelle » 1269 . Le Débat de Folie et d’Amour, puisqu’il faut choisir de le nommer selon son titre principal, est, selon Emmanuel Buron, un texte qui appartient à un genre médiéval, de la génération qui précède Louise Labé, où deux interlocuteurs incarnant deux causes opposées, deux positions intellectuelles contradictoires, débattent en se servant d’une parole rhétorique et doctrinale. L’enjeu n’est donc pas heuristique mais poétique. Les joutes verbales du Débat sont celles de Folie et Amour (disc.I) puis d’Apollon et Mercure (disc.V). Les trois autres discours ont fonction et vertu de transition entre les deux affrontements oratoires. Les personnages principaux, Amour et Folie, sont en partie les débatteurs mais aussi les sujets principaux du débat, débat qui n’a, au fond, pas vraiment d’enjeu puisque Folie, en aveuglant Amour, a fait preuve de l’ascendant qu’elle a toujours eu sur lui. La nouveauté du Débat labéen est le caractère volontairement facétieux et satirique donné par l’auteure, que l’on retrouve dans la sentence finale où tout est remis à dans 18900 ans, mais aussi dans le compagnonnage imposé d’Amour et de Folie, qui marque la reconnaissance par Jupiter de la nécessité du rire.

Pour Béatrice Perigot 1270 , le dialogue est un genre constitué à la Renaissance, genre qui procède de la dialectique. Les deux questions posées par Scève dans les quatrains de son sonnet des Escriz 1271 viennent signifier la problématique globale du Débat labéen et le placent du côté du Dialogue humaniste à la manière de Lucien. La dénomination utilisée par Labé est donc paradoxale, comme en contradiction avec le contenu de la pièce en prose rhétorique, organisée en discours (en référence à Taillemont ?), et recourant à un intertexte et une influence humanistes (Lucien, Platon, Erasme, Ficin, Léon l’Hébreu). La solution est que Labé ne choisit pas mais joue des paradoxes. Elle concilie les termes dialogue et débat dans son œuvre pour signifier son refus de trancher la tête au passé ou au contraire de s’y réfugier aveuglément. La fonction symétrique des quatre dénominations relevées pour une seule pièce s’ajoute à la volonté de l’auteure des Euvres de s’inscrire dans une continuité, par rapport à Marot par exemple et plus généralement avec l’ensemble des poètes qui l’ont précédée, tout en étant résolument tournée vers l’avenir. C’est en partie une volonté lyonnaise qui sert une rhétorique féministe.

Les archives municipales et la cohérence profonde de l’ensemble des écrits labéens prouvent assez que Louise Labé n’a pas été inventée par le milieu lettré et humaniste lyonnais qui avait déjà su inventer Jeanne Flore quelques années plus tôt. Nous pensons cependant qu’un groupe d’hommes a eu tout intérêt à faire de Labé la porte-parole d’une perspective poétique et politique lyonnaise. Son œuvre est très lyonnaise et très marquée en faveur des femmes, comme si elle jouait le rôle exemplaire d’une arme implacable face à la Pléiade, très masculine et très centralisatrice. Emancipée de ce contexte, Labé affirme aussi une poétique personnelle, jamais en rupture ou en opposition, mais procédant d’un « dous stile » (évoqué par Peletier du Mans 1272 dans son ode), à la fois novateur et reconnaissant des générations passées. Le mot « quenoille » 1273 que Labé utilise dans son Epistre ne désigne pas seulement l’instrument définitionnel du rôle social assigné aux femmes qui se doivent de tisser et coudre dans le silence. Etymologiquement, le mot vient d’une racine indo-européenne, la même que cercle et cylindre, signifiant « tourner en rond », répéter, redoubler. Par conséquent, « prier les vertueuses Dames d’eslever un peu leurs esprits par-dessus » 1274 quenouilles et fuseaux signifie aussi la volonté progressiste d’un changement, d’une avancée. Il s’agit de ne plus tourner en rond, de ne plus stagner, mais bien de progresser. Il faut garder ce ressassement comme une force poétique, force qui concerne tous les écrivants : « le passé nous resjouit et sert plus que le present ». Le plaisir du souvenir est important dans la construction poétique (ne devons-nous pas y lire une attaque en règle contre le mépris insolent des jeunes gens de la Pléiade pour leurs aînés ?), mais il doit être sublimé par la littérature (nécessité de mettre « par escrit nos concepcions »). Il s’agit bien d’ « inciter » les Dames au progrès politique et la poétique à la modernité, une modernité souvent paradoxale qui s’accompagne dans les Euvres d’un humanisme harmonieux basé sur la réconciliation des contraires.

Notes
1234.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 37.

1235.

Michèle CLÉMENT, « Louise Labé et les arts poétiques », art. cit., p.65.

1236.

Ibid.

1237.

Thomas SÉBILLET, Art Poétique français, in Traités de Poétique et de Rhétorique de la Renaissance, op. cit., p. 108.

1238.

Joachim DU BELLAY, Deffense et Illustration de la Langue françoise, in Les Regrets, op. cit., p. 239.

1239.

Ibid.

1240.

Barthélemy ANEAU, Le Quintil horacien in Traités de Poétique et de Rhétorique de la Renaissance, op. cit., p. 215.

1241.

Jacques PELETIER DU MANS, Art Poétique, in Traités de Poétique et de Rhétorique de la Renaissance, op. cit., pp. 293-295.

1242.

Michèle CLÉMENT, « Louise Labé et les arts poétiques », art. cit., p. 71.

1243.

Ibid.

1244.

Ibid.

1245.

Ibid.

1246.

On trouve le texte reproduit dans l’édition donnée par François RIGOLOT des Œuvres complètes, op. cit., p. 234, dans une partie intitulée « Regards sur Louise Labé ».

1247.

Et notamment le dernier vers de la pièce :

Et si ne puis assez louer Louïze.

Les rappels sont thématiques et orthographiques. Voir in Louise LABE, Œuvres complètes, op. cit, p. 160.

1248.

Ibid., p. 234.

1249.

Les deux premiers vers sont les plus explicites :

Qui dove in braccio al Rodano si vede

Girne la Sona queta…

Les rapprochements sont ici thématiques et lexicaux : le Rodano (Rhône) et la Sona (Saône) sont qualifiés par la force pour l’un (in braccio, dans les bras) et le calme pour l’autre (queta, tranquille), Ibid., p. 154.

1250.

Ibid., p. 170.

1251.

Ibid., p. 184.

1252.

Ibid., p. 234.

1253.

Ibid., p. 135.

1254.

Ibid., p. 141.

1255.

Claude de TAILLEMONT, Discours des Champs faëz, à l’honneur et exaltation de l’Amour et des Dames, op. cit., p. 46.

1256.

Ibid., p. 47.

1257.

Ibid., en introduction pp. 18-19.

1258.

Ibid., p. 82.

1259.

Ibid., pp. 84-85. Emprunt au Songe de Poliphile.

1260.

Ibid., p. 90.

1261.

Claude de TAILLEMONT, Discours des Champs faëz, à l’honneur et exaltation de l’Amour et des Dames, op. cit., p. 28.

1262.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 130.

1263.

Comme l’écrit Jean-Claude ARNOULD dans l’introduction à son édition de Claude de TAILLEMONT, Discours des Champs faëz, à l’honneur et exaltation de l’Amour et des Dames, op. cit., p. 27.

1264.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 145.

1265.

Michèle CLÉMENT, «Louise Labé et les arts poétiques», art. cit., pp. 65-66.

1266.

Emmanuel BURON, Le Débat et la chanson, archéologie du discours de Louise Labé, communication de la journée d’étude pour l’agrégation sur Louise Labé, op. cit.

1267.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 98 : « Reconnois donq, ingrat Amour, quel tu es, et de combien de biens je te suis cause ? Je te fay grand : je te fay eslever ton nom… ». C’est normalement Mercure qui s’exprime ici. L’adresse semble cependant avoir pour émettrice Folie et destinataire Amour.

1268.

Michèle CLÉMENT, «Louise Labé et les arts poétiques», art. cit., p. 66.

1269.

Ibid.

1270.

Béatrice PERRIGOT, Le Débat de Folie et d’Amour, et le dialogue à la Renaissance, communication de la journée d’étude pour l’agrégation sur Louise Labé, op. cit.

1271.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 145.

1272.

Ibid., p. 235.

1273.

Ibid., p. 42.

1274.

Ibid.