II. 2. 3. De l’écriture contradictoire à la poétique apaisée

Les Euvres de Louise Labé sont un manifeste poétique dans leur globalité. Nous entendons par poétique un traité, un exposé, un recueil, une théorie de la création littéraire qui soit particulière à l’auteure. Les Euvres de Louise Labé développent une esthétique qui leur est propre. Si la pluralité et l’hétérogénéité de l’ensemble trahissent a priori un désordre et un cloisonnement entre les diverses formes, voire une opposition entre rhétorique et poésie, l’étude menée jusqu’à présent a montré que la variété de la production de Louise Labé n’est en rien incompatible avec une démonstration d’unité et d’harmonie. Pourtant, la poétique labéenne s’inscrit au premier abord dans une contradiction, une opposition, une antinomie, celle de la prose et de la poésie étant la plus évidente. L’ironie qui traverse tant le Débat que les Elégies et les Sonnets, fondatrice dans l’Epistre, est un des procédés principaux de cette poétique qui se questionne, invitant les lecteurs/trices dans un décalage constant entre ce qui est dit et la prise en charge du discours par l’émetteur/trice. Il s’agit de se questionner sur l’humanité et sur la littérature (sous toutes ses formes) pour rassembler les différences. La vision politique de Labé contamine son discours poétique : la collaboration des hommes et des femmes en vue du progrès social est envisagée dans la même perspective que l’alliance de la prose et de la poésie en faveur d’une modernité littéraire. Amour le dit au discours IV du Débat : « plorer, rire, chanter » 1394 sont les trois actions préconisées (la juxtaposition renforce la mise sur le même plan des infinitifs). On retrouve ces mêmes actions dans les derniers vers du chant élégiaque :

‘ Mais si tu veus que j’ayme jusqu’au bout,’ ‘ Fay que celui que j’estime mon tout,’ ‘ Qui seul me peut faire plorer et rire ’ ‘ Et pour lequel si souvent je soupire… 1395

Le mot rire utilisé dans le cadre de la plainte élégiaque, coordonné à son antonyme plorer met en évidence le caractère tout d’abord contradictoire de la poétique labéenne. La contradiction fonctionne sur la contestation, l’objection, l’opposition, la réfutation. Elle définit la relation existant entre deux termes qui l’un affirme et l’autre nie le même élément de connaissance. Elle est en cela synonyme d’antinomie et s’associe au caractère de ce qui unit deux éléments incompatibles. Par conséquent, elle entraîne nécessairement une rhétorique subversive fondée sur l’utilisation du dialogisme (en tant que système de représentation, par des dialogues, d’idées, mais aussi comme reprise possible de la dialectique platonicienne), de la folie comme élément de contestation de la norme, et de l’ironie. Les Euvres peuvent alors être considérées comme un manifeste poétique : culte, théorisation et modernité de l’écriture s’y conjuguent harmonieusement. Le mélange des genres apportés par les Euvres en font une pièce poétique majeure de l’histoire littéraire dans la perspective politique d’une auteure consciente de son œuvre.

Notes
1394.

Ibid., p. 63.

1395.

Ibid., p. 118.