A- De l’opposition à la subversion

Les Euvres se proposent comme une production variée si ce n’est disparate. Ensemble hybride, bigarré, composite, qui sépare dans la typographie de l’édition de 1556, comme cela était l’usage à l ‘époque, la prose (caractères romains) de la poésie (caractères italiques), trois genres aux contours distingués dans le paratexte (Débat, Elégies, Sonnets), les Euvres sont œuvre de la varietas. Cependant, nous avons vu à quel point cette disparité ne joue pas contre mais bien en faveur de l’harmonie poétique du texte labéen. Louise Labé bâtit son œuvre sur cette hybridation générique et tonale pour affirmer sa volonté de subvertir le discours dominant. La contradiction et la complémentarité organisent le discours dans le sens d’une subversion de la doxa. Les figures de l’opposition, comme l’antithèse, sont récurrentes dans les Euvres. La réconciliation passe d’abord par une phase de contradiction qu’illustre au mieux le Débat de Folie et d’Amour. La fin du Débat et le début de la première élégie sont révélateur/trice de cette contradiction qui sous-tend le discours des Euvres. A la fin de la pièce en prose, on peut considérer qu’Amour est « vaincu » puisque Jupiter n’a pas répondu de façon favorable à la demande faite par Apollon d’« ordonner que Folie ne se trouvera pres du lieu ou Amour sera, de cent pas à la ronde » 1396 . Au contraire, la sentence rendue va dans le sens de la plaidoirie de Mercure et oblige Amour à « vivre amiablement ensemble » avec Folie, pour au moins « trois fois, sept fois, neuf siecle » 1397 . Par conséquent, il est contradictoire, devant un tel échec d’Amour, de le prétendre d’hommes et Dieus vainqueur au premier vers de la première élégie. Les trois pièces composant les Euvres étant engagées dans un système d’échos cohérents, on ne peut que lire ces deux positions successives, Amour vaincu/Amour vainqueur comme une opposition. Les quatre titres proposés pour le Débat rendent compte eux-aussi, à leur manière, de ces contradictions inhérentes à la poétique labéenne, les termes s’inversant d’un titre à l’autre, tout comme la présentation des personnages de la pièce en prose ont des rapports entre-croisés. Ils sont présentés ainsi, en majuscules :

FOLIE/AMOUR

VENUS/IUPITER

APOLON/MERCURE

Cependant, Mercure sert Folie et Apollon Amour. Les personnages dans leur ensemble annonçaient d’ailleurs dans le discours III, pivot des cinq parties du Débat, le caractère inapproprié de ce service : « C’est chose bien dure à Mercure moyenner desplaisir à Venus » ; « Encor que lon ait semé par le monde, que la maison d’Apolon et la mienne ne s’acordoient gueres bien… ». Le débat se présente a priori comme une sorte d’avatar de l’exercice favori de la scolastique médiévale, la disputatio pro et contra. Cependant, le texte labéen se distingue de cette tradition par sa composition en cinq discours. Le mot discours insiste sur l’ambiguïté d’un texte qui hésite, nous l’avons vu, sur la source à laquelle il veut être rattaché. Le Débat est à la fois inscrit dans le passé et tourné vers la modernité, ce qui peut sembler une contradiction en soi. Il est composé exclusivement sur le dialogue, c’est-à-dire l’affrontement verbal, et pourtant les arguments d’Apollon et de Mercure ne s’opposent pas forcément (ils sont souvent du même avis mais ne l’expriment pas de la même manière). Autre contradiction du Débat : Folie est depuis toujours liée à Amour, elle le dit assez, ainsi que Mercure, et le dialogue en lui-même n’a d’utilité que son existence poétique, précisément, puisque la sentence est remise à trois fois, sept fois neuf siècles.

Le dialogisme de la pièce en prose des Euvres s’inscrit dans une perspective dialectique : de la présentation sous forme de dialogues d’idées qu’on prête à des personnages, ici mythologiques, à l’ensemble des moyens mis en œuvre dans cette discussion mêmepour emporter l’adhésion à une idée. Labé impose à son dialogue logique, argumentation, raisonnement. Le discours IV et en partie le discours I sont des dialogues maïeutiques quand les second et troisième sont davantage dramatiques et le cinquième rhétorique. Tout fonctionne cependant sur un échange verbal qui nécessite questions et réponses, y compris si l’on juxtapose les deux plaidoyers (de Mercure et d’Apollon) à la sentence de Jupiter. Une demande est faite. Une réponse est donnée, même si elle est ambiguë, non-tranchée, donc pas entièrement satisfaisante. La dialectique est par ailleurs présente dans l’ensemble des Euvres sous la forme récurrente de Donq : on en trouve la première occurrence dans le Débat, au discours II, lorsque Vénus résume la situation d’Amour : « Et donques Folie, la plus miserable chose du monde, ha le pouvoir d’oter à Venus le plus grand plaisir qu’elle ust en ce monde : qui estoit quand son fils Amour la voyoit » 1398 . Il s’agit ici d’introduire un constat qui rabaisse à la fois Vénus et Amour et inverse la hiérarchie logique. La seconde occurrence se trouve à la fin du discours III, servant de constat et d’enchaînement sur le discours suivant : « retirez vous donq un chacun… » 1399 . Autre constat d’importance sur lequel nous reviendrons introduit par Donq/ues, une phrase d’Apollon, dans le discours V, qui met sur le même plan les hommes et les dieux, dans une réécriture de la Genèse : « Donques les hommes sont faits à l’image et semblance de nous » 1400 . C’est sans aucun doute le même donc dialectique qu’on retrouve au tout début du sonnet de Scève des Escriz, établissant un dialogue entre la poésie du maître lyonnais et la prose de Louise Labé.

Le dialogue est un genre à la mode en 1555 en ce qu’il permet l’avènement de la dialectique humaniste : nous verrons quelles sont les sources du dialogue labéen et pourquoi elle s’ingénie à le dissimuler sous le nom médiéval de Débat. Il permet à Labé de placer les Euvres dans une logique de questionnement et de mise en doute de la doxa. Les contradictions, les oppositions, les affirmations et leurs réfutations, se font par l’intermédiaire du personnage de Folie qui vient décrisper le dolorisme possible de la poésie qui va suivre et du lyrisme en général. Le Débat dédramatise les Elégies et les Sonnets, puisqu’il ne faut seulement se plaindre mais « plorer et rire » pour bien chanter. Le lyrisme se trouve donc à la fois annoncé par la prose et comme immédiatement mis en question. Mercure annonce les antithèses pétrarquistes du sonnet VIII, non sans humour : « chante vers, compose, fait s’amie la plus belle qui soit au monde, combien que possible soit laide. Et si de fortune survient quelque jalousie, comme il avient le plus souvent, on ne rit, on ne chante plus : on devient pensif et morne (…) qu’il est impossible qu’il face tant son devoir que nous, qui languissons, mourons, brulons d’Amour. On se pleint, on apelle s’amie cruelle, variable : lon se lamente de son malheur et destinee » 1401 . Entreprise critique de l’élégie labéenne même –l’utilisation du « on », de la gradation hyperbolique, des rimes internes, sont autant de moquerie des vers des élégies, notamment de la seconde : Cruel, cruel, qui te faisoit promettre / Ton brief retrour en ta premiere lettre 1402 –, la prose mercurienne, pragmatique et ancrée dans le réel, vient immédiatement jeter le doute sur la fantasmatique poétique. Le Débat de Folie et d’Amour permet à Labé, par l’introduction du personnage de Folie dans son panthéon, de questionner l’intertexte renaissant lyrique : le texte en prose joue un rôle critique vis-à-vis de la poésie. Elle s’inscrit en cela dans la lignée humaniste, celle de Rabelais ou plus clairement d’Erasme, le premier a avoir fait de Folie une déesse. L’Eloge de la Folie (1511) est un éloge paradoxal puisqu’il joue sur une contradiction fondamentale : Folie est celle qui a la parole, comme dans le Débat, et maîtrise la rhétorique, et rappelle sans cesse son infaillible utilité, amuser dieux et humains. Folie est du côté de la varietas, d’une diversité humaine salutaire, de la reconnaissance des contradictions mais aussi des complémentarités. Le fait qu’elle soit représentée comme une femme dans le texte d’Erasme nous incite à lire dans le Débat un intertexte érasmien assez probant. L’éloge des mariages d’amour est un argument érasmien, tout comme la faculté qu’a la déesse, par sa seule présence joyeuse, de permettre la réussite d’un banquet. Dans la citation du discours de Mercure mentionnée plus haut, le rire est considéré comme un élément moteur et nécessaire. La Folie érasmienne est proche de la Folie labéenne. Le dernier paragraphe de l’éloge a dû sauter aux yeux de Labé : « Si vous trouvez à mon discours trop de pétulance ou de loquacité, songez que je suis la Folie et que j’ai parlé en femme. Souvenez-vous cependant du proverbe grec : “Souvent un fou même raisonne bien”, à moins que vous ne pensiez que ce texte exclue les femmes » 1403 . La Folie labéenne n’est cependant pas femme au sens de représentante du féminin, contrairement à la Folie érasmienne, hystérique.

La grande nouveauté que propose le Débat est la « création » d’Amour par Folie, ou du moins sa transformation, sa mutation : elle l’aveugle, lui bande les yeux, lui met des ailes, et transforme donc Amour, « vraye ame de tout l’univers » en Cupidon. Daniel Martin 1404 revient sur l’origine du motif de l’amour aveugle, « dont l’histoire a été retracée par Panofsky » : l’apparition du motif est tardive et liée à une interprétation moralisatrice que l’on retrouve chez Properce notamment, puis dans l’Ovide moralisé, « vaste interprétation allégorique d’Ovide dans une perspective chrétienne » 1405 , et la somme de Boccace, Genealogia Deorum. Cette interprétation est la suivante : Amour est aveugle parce qu’il ne sait où il va, touche indifféremment riches et pauvres, beaux et laids… ce que l’on retrouve dans le Débat au discours II, lorsqu’Amour lui-même fait le constat de son nouvel handicap 1406 . Dans la perspective d’une poétique paradoxale, ou contradictoire, cet aveuglement d’Amour, sur lequel insiste le texte labéen (un bandeau inamovible est ajouté par Folie à la cécité d’Amour), n’est pas forcément un mal : il permet le refus de l’exclusion. Pourquoi seul-e-s les jeunes, beaux/belles et riches auraient droit à Amour ? Folie ne révèle-t-elle pas à Amour sa véritable identité en l’aveuglant ? L’Amour fou et aveugle ne permet-il pas aux humains de se dépasser, comme l’explique Mercure 1407  ? d’autre part, on perçoit l’influence d’un Lucien qui fait dire à Raison, l’un de ses personnages, dans son traité Hermotimus : « Il est nécessaire d’employer à cet examen un temps considérable, de nous placer tout sous les yeux, et de ne faire notre choix qu’après avoir beaucoup hésité, balancé, examiné, sans égard pour l’âge, l’extérieur, la réputation de sagesse de ceux qui parlent, mais comme font les juges de l’Aréopage, où les procès n’ont lieu que la nuit, dans les ténèbres, afin que l’on ne considère pas les orateurs, mais leurs discours : alors seulement il te sera permis, après un choix solide, de philosopher » 1408 . Les parallèles avec les Euvres, notamment le Débat, sont troublants. Folie réclame elle aussi, comme Raison, contradiction humoristique suprême, qu’on considère la « verité du fait » et non la « qualité des personnes ».

Le texte labéen joue du paradoxe (dans le sens rhétorique, qui consiste à unir deux idées a priori inconciliables) et des contradictions dans une visée subversive, c’est-à-dire dans une perspective de bouleversement et de renversement des idées et valeurs reçues et établies (ordre dominant). C’est pourquoi, de façon déstabilisante, Apollon défend Amour/Vénus – alors que leurs maisons « ne s’accordoient gueres bien » 1409  – et Mercure défend Folie – alors que le messager des dieux est « des grans amis de Venus » 1410 –. L’ironie est sensible dès lors, puisque le propos de Folie vient euphémiser une situation que tous connaissent : Mercure a été l’amant de Vénus. C’est pourquoi aussi la philosophie néoplatonicienne, qui considère le sens de la vue comme perception privilégiée de l’expérience amoureuse, est défendue par Apollon contre l’acte de Folie et le discours de Mercure, pleins de bon sens et de pragmatisme. La clairvoyance passe par l’aveuglement, la philosophie par le rire, l’humanisme par l’ironie burlesque. On glisse donc aisément, dans le texte labéen, de la contradiction à la subversion, par l’intermédiaire du personnage de Folie. Il est introduit pour contredire Amour, ce que l’on voit dès le discours I, sa maîtrise de l’éloquence devenant rapidement agaçante pour le jeune ignorant : « Je croy que tu veus me faire perdre patience… » 1411 , et la ruse dont il veut user contre elle est sans effet. Si Folie s’oppose à Amour, en tant qu’élément de subversion, c’est pour le révéler et faire advenir un nouvel Amour, plus conscient de lui-même : « Et à fin que tu me reconnoisses d’orenavant, et que me saches gré quand je te meneray ou conduiray… » 1412 . Folie, subversive, ne peut qu’être servie par le rire, arme de contestation des idéologies officielles et des hiérarchies. Mercure oppose de façon récurrente l’ennui et l’immobilisme des sages au plaisir et au rire suscités par les fous 1413 (le mot contentement est utilisé, dont on trouve écho dans les sonnets XIII et XVIII), ce que l’on trouve déjà au chapitre XXXVI de l’Eloge de la Folie 1414 . Si Apollon insiste sur le « desordre » 1415 qu’amènera l’avènement de Folie, le danger qu’elle fait courir à l’ordre établi, Mercure le revendique comme une étape nécessaire à la construction du progrès 1416  : la critique, et notamment celle des topoï néoplatoniciens et pétrarquistes, permise par l’expression de Folie, doit amener un nouveau discours, simplifié et progressiste. Finalement, Folie, par son ironie burlesque, est un facteur positif de renouvellement de l’humanité, expression d’une véritable sagesse. Dans ses Dialogues des Dieux, Lucien place quant à lui Mercure du côté du rire et Apollon du côté de la plainte, comme le fait Labé par les discours qu’elle fait tenir aux personnages de son Débat : « D’où te vient cet air triste, Apollon » ; «  Pourquoi ris-tu, Mercure ? » 1417 .

Nous avons vu l’influence décisive d’Erasme sur le texte labéen : cet intertexte révèle l’ampleur humaniste des Euvres. L’utilisation de l’ironie, du burlesque, de la critique, de la satire, évoque une autre source possible – que Labé semble vouloir dissimuler – celle de Lucien. Le choix fait par Labé de nommer sa prose Débat et non dialogue s’inscrit dans une entreprise de dissimulation de l’influence lucianique : le mot évoquait, sans doute un peu trop pour 1555 et pour l’œuvre d’une femme, les célèbres Dialogues des Dieux. Livre de chevet de la plupart des humanistes, ces dialogues satiriques et humoristiques font passer sous le fouet de leurs moqueries l’ensemble du panthéon gréco-latin. Dès les notes des éditions Cochard et Bréghot Du Lut est évoquée cette influence lucianique. Christiane Lauvergnat-Gagnière l’a quant à elle observée plus attentivement et a révélé les accointances du Débat et des Dialogues des Dieux. Mise à part la situation proposée par le Débat, sans doute prise à l’Icaroménippe de Lucien qui raconte un banquet des dieux sur l’Olympe, les discours d’Apollon et de Mercure « font allusion à des anecdotes ou des détails qu’ils ont lus chez Lucien » 1418 . L’Olympe n’est qu’une scène burlesque à l’image de celle proposée par Labé dans le discours I de son Débat. En 1550, utiliser le mot dialogue c’est être affilié-e- à Lucien : Labé l’utilise et ne l’utilise pas. Le titre choisi écarte délibérément le soupçon d’intertexte lucianique, mais les Escriz et le Privilège le conservent, comme si ce n’était pas l’auteure mais son entourage qui aurait perçu (et reconnu) cette influence. Se réclamer, même implicitement, de Lucien, c’est être subversif/ve. La poétique labéenne est transgressive par exemple lorsque, à l’imitation de Lucien, elle se moque des dieux :

Amour est un « garsonneau » ignorant et rusé au discours I du Débat. Chez Lucien, au dialogue II des Dialogues des Dieux, il se présente comme « un enfant » qui n’a pas encore l’âge de raison. Ce à quoi Jupiter lui répond qu’il est « un vieillard malin » 1419 .

Jupiter doit sans cesse se métamorphoser pour plaire aux femmes car c’est Amour qui se joue de lui, dans le Débat 1420 . Chez Lucien, Jupiter se plaint des « formes » que lui a fait prendre Amour : « Il n’y a pas de formes que tu ne m’aies fait prendre, satyre, taureau, or, cygne, aigle… » 1421 .

Jupiter est « l’esclave et le jouet de l’Amour », selon Junon, et Lucien rappelle sans cesse la nécessité qu’il a de se transformer et de se cacher pour se faire aimer 1422 . Or, à la fin du discours IV, alors qu’Amour prend conscience de qui il est, il permet, de façon dialogique, à Jupiter de prendre aussi conscience de son identité et lui conseille d’abandonner son pouvoir (« laisse ici ta couronne et ton sceptre et ne dis qui tu es » 1423 ) pour tester sa capacité à être aimable. Apollon avait raison : sous l’emprise de Folie, Amour perturbe la hiérarchie même de l’univers. Le renversement des valeurs et des hiérarchies va loin : le ciel est « en desordre » 1424 puisque l’on peut se moquer des dieux qui se querellent « comme des hommes » 1425 , chez Lucien, ce à quoi répond le Jupiter du Débat labéen : « Je pensois qu’il n’y ust plus debats et noises qu’entre les hommes » 1426 (et l’on insiste sur la qualité des mots utilisés, métatextuels : debats et noises) ; puisque l’on peut aussi, « d’un homme faire un Dieu » 1427 . On voit les échos possibles avec les vers labéens, notamment ceux de la seconde élégie :

‘ J’ay de tout tems vescu en son service,’ ‘ Sans me sentir coulpable d’autre vice’ ‘Que de t’avoir bien souvent en son lieu’ ‘D’amour forcé, adoré comme Dieu. 1428

La persona élégiaque fait montre d’une hétérodoxie inquiétante, puisque l’amant a pris la place de Dieu, l’ordre religieux étant alors absolument subverti. Les humains sont des dieux dans le texte labéen, mis sur le même plan, toujours par le même procédé de coordination des termes que les « autres Dieus, Demidieus, Faunes, Satires, Silvains, Deesses, Nynfes, Hommes et Femmes » 1429 , qui plus est sans aucune distinction de sexes.

Les œuvres de Lucien sont une source fondamentale des Euvres de Labé. Christiane Lauvergnat-Gagnière l’a déjà évoqué, ainsi que Daniel Martin. Subversion de l’ordre dominant, le texte labéen comme le texte lucianique fonctionne sur l’ironie. L’ironie des Euvres, et nous parlons ici de l’ensemble de la production, y compris poétique – certains sonnets ne manquent pas d’humour – insiste sur la qualité polyphonique du texte, dans une perspective critique et subversive. Ce procédé implique un décalage ambigu entre ce qui est dit et l’identité de l’émetteur/trice. Ainsi, le portrait de la vieille à la fin de la première élégie 1430 est-elle sans doute influencée par le dialogue entre Vénus et l’Amour, de Lucien, où Vénus reproche à son fils (d’ailleurs comme dans le second dialogue du Débat de Labé) d’avoir inspiré à Rhéa, « cette vieille déesse, cette mère de tant de dieux, un tendre amour pour un enfant, une vive passion pour ce jeune garçon de la Phrygie » 1431 . L’intelligence du rire permet une mise en doute constante, une remise en question permanente, de l’ordre dominant. Cette alliance entre la prose satirique et la maîtrise poétique, cette insertion de l’ironie et du burlesque dans la poésie, comme du lyrique dans la prose, de façon réciproque, sert la contestation politique mais permet aussi le développement d’une poétique proprement labéenne.

Notes
1396.

Ibid., p. 68.

1397.

Ibid., p. 103.

1398.

Ibid., p. 58.

1399.

Ibid., p. 61.

1400.

Ibid., p. 68.

1401.

Ibid., pp. 95 et 98.

1402.

Ibid., p. 111.

1403.

ERASME, Eloge de la Folie, op. cit., p. 94.

1404.

Daniel MARTIN, Louise Labé, op. cit., pp. 62-63.

1405.

Ibid.

1406.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., pp. 56-57.

1407.

Ibid., pp. 101-102.

1408.

LUCIEN DE SAMOSATE, Œuvres complètes, trad. Eugène TALBOT, Paris, Hachette, 1912 : la citation est extraite de l’introduction de Talbot, pp. VII et VIII.

1409.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 61.

1410.

Ibid., p. 60.

1411.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 51.

1412.

Ibid., p. 54.

1413.

Ibid., pp. 89-90.

1414.

ERASME, Eloge de la Folie, op. cit., pp. 44-45.

1415.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 68.

1416.

Ibid., p. 92.

1417.

LUCIEN DE SAMOSATE, Œuvres complètes, op. cit., pp. 81 et 84, dialogues 14 (Mercure et Apollon) et 17 (Apollon et Mercure).

1418.

Christiane LAUVERGNAT-GAGNIÈRE, « La rhétorique dans le débat de Folie et d’Amour » in Louise Labé 2005, op. cit., p. 237. La critique évoque entre autres textes Toxaris et Les Amours.

1419.

LUCIEN DE SAMOSATE, Œuvres complètes, op. cit., p. 53.

1420.

Ibid.

1421.

Ibid., p. 64.

1422.

Ibid., p. 71.

1423.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 64.

1424.

Ibid., p. 65.

1425.

LUCIEN DE SAMOSATE, Œuvres complètes, op. cit., p. 79.

1426.

Louise LABÉ, Œuvres complètes, op. cit., p. 59.

1427.

Ibid., p. 69.

1428.

Ibid., p. 112.

1429.

Ibid., p. 67.

1430.

Ibid., pp. 109-110.

1431.

LUCIEN DE SAMOSATE, Œuvres complètes, op. cit., p. 79.