1.1. Des qualités et des vies : tout est fonction du système et du cadre de référence

Linguistiquement l’expression de qualité de vie se compose à l’évidence de deux mots-clefs qui sont « qualité » et « vie ». C’est dans cette apparente simplicité que semble résider, dans un premier temps, la complexité du concept. Discuter de la qualité permet d’attribuer des caractéristiques plus ou moins positives et confère ainsi une valeur variable. Le fait de se prononcer sur la qualité d’un objet ou d’une situation s’appuie sur un système d’évaluation. Cette démarche d’attribution de valeur se base sur une échelle de référence particulière à chaque société, à chaque sphère de celle-ci et même à chaque individu.

Ce processus d’évaluation qui concoure à l’expression d’une qualité fait appel, aussi bien, à la perception des attributs environnementaux qu’à l’identification et l’interprétation de ceux-ci en fonction de l’expérience du sujet. Cette évaluation correspond à un processus dynamique se déroulant dans un contexte propre à l’individu qui comporte des aspects, à la fois, perceptifs, cognitifs, affectifs, motivationnels, comportementaux et normatifs. Cette évaluation étroitement liée aux éléments de représentation et d’interprétation des objets, des environnements ou des situations s’effectue souvent à un niveau individuel d’analyse. Cette production de jugements particuliers reste largement influencée par les normes et les valeurs sociales attachées aux éléments évalués. La prise en compte de ces représentations individuelles ne peut donc être déconnectée de la considération des représentations sociales et collectives. La construction subjective singulière abordée au niveau de l’individu dépend ainsi des standards normatifs d’une construction subjective plus globale et collective.

L’attribution qualitative est donc le résultat d’un jugement de valeur construit grâce à un système de référence faisant appel aux acquis, aux représentations, aux vécus, aux expériences et aux sensibilités de chacun. Il n’existe donc pas d’échelle de valeur unanime ou universelle. La qualité est donc le fruit d’une hiérarchisation toute relative et dépend de la subjectivité non immuable (dans l’espace et le temps) portée par les différents groupes sociaux, économiques et culturels.

La notion de « vie » est également à préciser. Dans le cadre d’une recherche, il ne semble pas envisageable d’étudier la qualité de la vie en général. La définition d’un contexte s’impose à l’analyse. Une sélection dans les sphères de l’existence se fait selon les problématiques et les domaines de compétences. Ce choix s’opère sur les cycles de la vie elle-même, sur les domaines ou les spécificités qui la structurent. C’est ainsi que s’organise un découpage chronologique selon les moments de la vie (étude de la qualité de vie des enfants, des adolescents, des personnes âgées,…), une considération contextuelle basée sur la différenciation des modes de vie (étude de la qualité de vie des citadins, des paysans, des malades, des personnes handicapées,…) ou des préférences thématiques, géographiques ou sociales (la qualité de vie au travail, la qualité de vie environnementale, la qualité de vie en Europe, à Singapour, dans les villes françaises, la qualité de vie des femmes indiennes,…). La diversité des ouvrages et articles couvrant le sujet donne une idée de son ampleur. C’est pourquoi nous ne pouvons évoquer la qualité de vie sans faire référence à des « vies » en particulier qui partagent des préoccupations, des besoins, des expériences comparables. Il convient donc pour étudier la qualité de vie de définir clairement les champs de la vie soumis à l’analyse.

De plus, l’appréciation de la qualité de vie dépend du cadre disciplinaire qui se propose de l’étudier et de l’évaluer. La qualité de vie s’impose ainsi comme un concept pluridisciplinaire abordé aussi bien par les économistes, les professionnels de la santé que les chercheurs en sciences sociales (la sociologie, la géographie et plus récemment de la psychologie). À travers l’étude de la qualité de vie, ils se proposent tous de saisir et d’analyser la complexité des systèmes économiques, sociaux, environnementaux ainsi que les dysfonctionnements liés à la société moderne. Les disciplines qui se proposent d’aborder et de mesurer la qualité de vie inscrivent ainsi leur analyse dans un champ scientifique spécifique en fonction d’un cadre conceptuel particulier. Cette diversité des approches, cette manière différente de poser un même problème en fonction d’idéologies, de connaissances, de savoirs-faire et de méthodes dissemblables engendre une diversité enrichissante mais nuisible à la lisibilité de ce concept de qualité de vie.

La qualité de vie semble également dépendre du cadre de référence géographique auquel elle se rapporte. Cette dimension spatiale participe ainsi à la diversité des études de qualité de vie. Bien que celle-ci soit fondée sur des aspirations individuelles, des valeurs personnelles, inspirées des expériences de vie de chacun, le chercheur tente d’exprimer la qualité de vie pour des groupes collectifs tout en localisant ces groupes dans un cadre spatial. « Les études sur la qualité de vie ont toujours un référent spatial et géographique » 4 . L’étude de la qualité de vie doit être conçue à travers « une relation à un contexte physique et social (…), il est donc nécessaire de déterminer les caractéristiques de l’espace » qui peuvent bien évidemment variées d’un territoire à l’autre.

L’environnement au sein duquel nous vivons peut être décrit de différentes manières. La distinction des composantes spatiales en unités territoriales comme la nation, la région, la ville, le quartier, la résidence permet d’identifier des cadres précis d’étude. L’emploi de ces cadres de référence géographique permet d’analyser les similarités et les différences dans les opportunités de qualité de vie. Comme l’explique R.J. ROGERSON 5 , l’échelle et la nature de ces composantes spatiales restent significatives et déterminantes pour l’étude elle-même. La qualité de vie ne s’appréhende pas de manière identique selon les échelons et les structures géographiques des territoires. Lorsque les études font référence à des espaces urbains, intra-urbains, périphériques ou ruraux, elles laissent entrevoir des problématiques et des préoccupations différentes qui ne sont pas sans orienter voire influencer l’approche de la qualité de vie qu‘elles proposent.

Cette difficulté palpable à introduire de manière consensuelle ce concept de qualité de vie ne semble pas se dissiper lorsqu’il s’agit d’entreprendre une analyse précise des champs disciplinaires qui s’intéressent à la qualité de vie. La diversité des approches et des définitions semble en effet conforter le flou conceptuel présagé.

Notes
4.

BONARDI C., GIRANDOLA F., ROUSSIAU N., SOUBIALE N., 2002, Psychologie sociale appliquée. Environnement, santé et qualité de vie. Paris, In Press Editions, 390 pages.

5.

5 ROGERSON R.J., 1998, « Quality of life and the global city ». International Conference on Quality Of Life in Cities – ICQOLC’98 – Volume 1, School of Building and Real Estate National University of Singapore, pages 109-124.