La géographie s’est particulièrement intéressée à la question de la qualité de vie. Cependant, au sein même des approches géographiques, le consensus disciplinaire n’existe pas. La notion de qualité de vie est ainsi abordée soit directement par l’analyse quantitative et la spatialisation des caractéristiques des territoires soit par l’analyse de la géographie sociale de ces territoires. Certains géographes accordent ainsi une place de plus en plus importante à l’observation des phénomènes sociaux, en étudiant la manière dont le corps social évolue dans son milieu de vie tout en considérant comment il perçoit cet environnement. Investissant davantage la manière dont le groupe social vit et perçoit une situation, les problématiques mises en avant par la géographie sont, de plus en plus, liées à l’évolution de la vie sociale et aux préoccupations de la population qui se sont tournées vers la recherche d’une meilleure qualité de vie. Cette quête passe par l’exigence d’un meilleur cadre de vie et des conditions d’existence plus agréables. Les orientations de recherches en géographie sont ainsi passées de domaines d’observation spatiaux à des domaines d’observation plus sociaux.
Pour C. TOBELEM-ZANIN 19 , le concept de qualité de vie se structure autour d’une approche subjective qui s’axe sur l’étude du bien-être et une approche objective qui s’axe sur les conditions matérielles de vie. Sans nier cette constitution bi-dimensionnelle de la qualité de vie, l’auteur structure son analyse sur l’évaluation objective des conditions de vie et non sur celle plus personnelle du bien-être. Dans ce cas, l’évaluation de la qualité de vie des villes implique le choix de critères objectifs capables de mettre en évidence les disparités spatiales des conditions de vies. Ces dernières sont définies comme les potentialités de l’espace offertes aux citadins. Elles prennent en considération les caractéristiques du milieu urbain et de l’environnement, des éléments économiques et des critères sociodémographiques. Trois sous-ensembles d’étude sont ainsi identifiés. Le cadre de vie permet l’étude de l’espace du quotidien. Il comprend l’analyse des caractéristiques de l’environnement, de l’espace bâti, des aménagements et des équipements urbains. L’étude du cadre de vie se structure autour de différents thèmes comme le climat, les nuisances, les pollutions, les causes d’attractivité, les caractéristiques de l’habitat, les déplacements urbains, les équipements publics, le tourisme ou l’insécurité. Les conditions de vie offertes aux citadins dépendent ensuite du niveau de vie. Celui-ci permet d’appréhender une « capacité de ressources »31 tant pour les ménages que pour la ville. La disparité des niveaux de vie des individus détermine les besoins, les désirs, les modes d’appropriation et d’utilisation de l’espace. Les richesses municipales permettent quant à elles d’appréhender « les potentialités réelles de chaque ville pour créer, équiper, entretenir, gérer le cadre de vie 31». Les modes de vie correspondent enfin à la mise en relief de profils sociaux et démographiques à partir de critères comme la structure démographique, le type de ménage, les catégories professionnelles, les niveaux de formation. Ces profils conditionnent des appropriations, des exigences et des pratiques spatiales spécifiques. Ces trois domaines « objectivables » de la vie restent interdépendants. Cette approche permet d’apprécier la qualité de la vie à travers l’évaluation des conditions matérielles de la vie sans en négliger la structure sociale. Par une approche quantitative, cette définition fonctionnelle permet de hiérarchiser les conditions d’existence des urbains français et propose l’analyse des disparités inter-urbaines de la qualité de vie.
À côté de ces approches quantitatives qui abordent la qualité de vie à travers les caractéristiques objectives des territoires, certains géographes préfèrent analyser sa dimension subjective. J.B. RACINE 20 travaille ainsi sur la manière dont la qualité de vie est perçue et vécue par les habitants. S’interroger sur la perception des conditions de vie constitue pour lui la seule approche pertinente de la qualité de vie. Ce ne sont pas les conditions matérielles de la vie qui importent mais les jugements portés sur ces conditions. Les indicateurs subjectifs obtenus par sondage auprès de la population permettent ainsi directement d’évaluer la qualité de vie.
A.S. BAILLY 21 s’inscrit également dans cette voie. Il consacre son travail à l’étude des phénomènes de cognition, de perception et de représentation. Il définit ainsi la qualité de vie en fonction du bien-être. Dans sa « Géographie du bien-être »32, il explique que la qualité de vie ne fournit que des moyens numériques, l’image d’un état. Seule la satisfaction de la population à l’égard de cet état demeure réellement importante. « Le but fondamental de la recherche du bien-être est de mieux comprendre ce qu’ARISTOTE a appelé le moteur des actions humaines 32». Le bien-être correspond au résultat « d’une relation entre une personne et/ou un groupe et un état ou un bien 32 ». Il s’agit d’une interprétation subjective du monde structurée par la qualité de la relation entre l’homme et son environnement spatial et social. Cette sensation médiatisée par les représentations individuelles et sociales résulte ainsi de la capacité de chacun à satisfaire un certain nombre de besoins et de désirs. À notre sens, l’appréciation géographique de la qualité de vie et la compréhension spatiale des caractéristiques qui la conditionnent ne peuvent se réduire à l’une ou l’autre de ces approches. Il convient au contraire de tendre vers un positionnement qui intègre la complémentarité de ces deux démarches. C’est en tout cas l’enjeu de notre travail.
Les succinctes descriptions de ces différentes approches disciplinaires démontrent l’absence de consensus et de références normées dans la construction du concept, les méthodes d’analyse et les instruments de mesure de la qualité de vie. Il semble pourtant nécessaire de saisir l’ensemble des processus qui structure le concept de qualité de vie. Il est admit que la maîtrise des phénomènes dépend de leur compréhension, c’est pourquoi il convient préalablement à la démarche d’analyse de qualité de vie de s’imposer une connaissance précise des possibles en la matière. Cette retranscription doit permettre de synthétiser les différentes approches et les modes d’évaluation de la qualité de vie. Cette analyse doit servir à la fois de référence et de tremplin à la production d’une approche méthodologique spécifique correspondant aux exigences pragmatique, fonctionnelle et évolutive du travail proposé.
TOBELEM-ZANIN C., 1995, La qualité de vie dans les villes françaises. Rouen, Publication de l’Université de Rouen, N°208, 288 pages.
RACINE J.B., 1987, Qualité de vie, bien être et changement social : vers une nouvelle géographie des espaces vécus et des rapports de l’homme au territoire, cité par C. TOBELEM-ZANIN, 1995, La qualité de vie dans les villes françaises. Rouen, Publication de l’Université de Rouen, N°208, 288 pages.
BAILLY A.S., 1981, La géographie du bien-être. Paris, Presses Universitaires de France, 239 pages.