2.1. Institutionnalisation de la notion de qualité de vie

On passe ainsi des revendications collectives à une prise en compte politique du concept de qualité de vie. Les préoccupations étatiques sans modifier radicalement leurs orientations tendent à intégrer aussi bien dans les discours que dans les programmes d’action, les revendications chères à l’opinion publique. L’entrée en politique du concept de qualité de vie semble au départ faire référence aux notions d’environnement et d’écologie. La qualité de la vie est replacée dans le système vaste qui lie l’homme à son environnement proche et lointain. La valeur environnementale des milieux n’apparaît plus comme négligeable. On prend conscience que l’environnement peut subir des dommages irréversibles, que ses richesses ne sont ni immuables, ni infiniment renouvelables et que les activités anthropiques peuvent considérablement endommager ce capital universel. L’environnement s’impose comme un bien à préserver à l’échelle locale, nationale et internationale. Cette responsabilité incombe à la génération actuelle par respect pour les générations futures. Cette sensibilisation à la préservation de l’environnement, à la protection de la nature et des équilibres écologiques permet de placer la qualité de vie dans un système global où l’homme et la société sont responsables de leurs actions et de leurs conséquences sur l’ensemble des milieux du globe.

Parallèlement, l’Etat considère la nécessité de rétablir la qualité des milieux urbains en luttant contre les nuisances et le sentiment de « mal de vivre » qui s’étend. En 1971, le Ministère de Protection de la Nature et de l’Environnement est créé. Sous la direction de R. POUJADE, ce ministère s’inscrit dans la logique de la politique du Président de la République à savoir répondre aux vœux d’une grande partie de l’opinion excédée par les pollutions. Cette instance a pour mission d’assurer la protection des sites et paysages, de contribuer à l’amélioration de l’environnement et du cadre de vie, de prévenir et limiter les pollutions et les nuisances principalement urbaines. La notion d’environnement auparavant défendue par des groupes de pression écologiques s’institutionnalise. Ce ministère ne se limite pas à la seule protection de la nature mais s’attribue des domaines d’intervention diversifiés et un pouvoir de gestion large qui s’impose dans le développement industriel, l’agriculture, les affaires culturelles, les transports et l’aménagement du territoire. Il est ainsi chargé de la gestion des établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Il est responsable des activités de chasse, de pêche et des parcs naturels. La protection des monuments et des sites à caractère naturel ainsi que la gestion de l’eau lui incombent. Cette orientation politique en faveur de l’environnement et de la qualité de vie va se modifier dans sa forme tout en perdurant dans son fond. Cette volonté affichée d’intégrer la qualité de vie et la protection de l’environnement aux institutions étatiques prendrons des formes successivement différentes mais demeurerons sur le devant de la scène et perdurerons même au delà des clivages politiques.

Avec l’arrivée au gouvernement de J. CHIRAC en 1974, le Ministère de l’Environnement laisse place au Ministère de la Qualité de Vie. Ce ministère conserve les attributions concernant la protection de la nature et de l’environnement tout en bénéficiant de celles relatives aux relations avec la jeunesse, aux sports, aux loisirs et au tourisme. Le rôle et les pouvoirs de cette instance ne vont cesser d’augmenter. Au détriment d’autres ministères, il se voit octroyer la gestion des eaux souterraines et celle des cours d’eau, la réglementation des prélèvements d’eau et des déversements dans les cours d’eau, la navigation intérieure ainsi que la prévention et la répression des pollutions maritimes tout en étant responsable du programme national de lutte contre les nuisances sonores. De 1974 à 1977, trois hommes se sont succédés à la tête de ce ministère : A. JARROT, A. FOSSET et V. ANSQUER. En mars 1977, la forme de ce Ministère de la Qualité de Vie disparaît avec la passation de pouvoir du gouvernement.

Le second gouvernement de R. BARRE lui préfère la mise en place d’un Ministère de la Culture et de l’Environnement dirigé par M. D’ORNANO. Au sein de cette administration se crée en 1978 la Délégation à la Qualité de la vie chargée d’étudier, de proposer et de mettre en application des mesures visant l’amélioration de la qualité de vie. La protection et l’amélioration de l’environnement et du cadre de vie qu’il soit urbain ou rural restent des priorités. La volonté d’axer les efforts étatiques sur la sociabilité se fait également sentir (diversification des possibilités de loisirs, développement de la vie associative). L‘aménagement des espaces naturels, la mise en valeur des espaces urbains, la préservation des paysages, des sites et des monuments ainsi que le suivi des études socio-économiques et la préparation du Plan incombent à cette structure interne du ministère chargé de l’Environnement.

L’arrivée à la présidence de V. GISCARD D’ESTAING marque le début de profondes modifications des institutions étatiques. Dès 1978, on évoque une « révolution administrative » dans la mesure où on assiste au démantèlement partiel du Ministère de la Culture, à l’éclatement du Ministère de l’Equipement et à la constitution d’un grand Ministère des Transports. Le gouvernement décide de rassembler, sous une autorité ministérielle unique, les compétences de l’Etat en matière d’aménagement, d’architecture, de construction, d’urbanisme et d’environnement et crée ainsi le Ministère de l’Environnement et du Cadre de Vie. Celui-ci se compose de la Délégation à l’Architecture et à la Construction et de la Délégation à la Qualité de la Vie. La prise en compte environnementale perdure. Les objectifs de la politique de l’environnement restent la préservation du milieu, du patrimoine naturel, la lutte contre les pollutions et les nuisances. L’originalité de ce ministère est de mettre l’accent sur le volet « cadre de vie » et de proposer la mise à disposition de moyens administratifs et financiers sans précédents. Afin de promouvoir une politique qualitative des cadres de vie, le gouvernement souhaite remédier à la dispersion des services pour tendre vers des collaborations et des réalisations efficientes. Le but de cette initiative est de donner sens et cohérence à une institution qui veut éviter les oppositions entre les règles d’urbanisme et les différentes mesures de protection. « Le gouvernement désire que l’idée de protection soit prise en compte dès l’élaboration des documents d’urbanisme et souhaite promouvoir la qualité architecturale des constructions privées et publiques. Il s’agit de mettre fin à l’opposition entre "aménageurs" et "protecteurs" et de réconcilier "les bâtisseurs" et "les environneurs" » 36 . La pertinence de cette initiative est de lutter contre l’antagonisme réflexe existant entre ceux qui conçoivent, réalisent, aménagent et ceux qui protègent alors que tous visent une même cause : le mieux-vivre de la collectivité.

En 1981, le changement de majorité amène F. MITTERAND à la présidence. Les préoccupations et les orientations ministérielles perdurent dans leurs fondements (défense du milieu naturel, lutte contre les pollutions et les nuisances, préservation du cadre de vie et promotion d’un urbanisme plus qualitatif) mais l’expression de la politique de l’environnement et du cadre de vie évolue dans sa forme. La politique générale du gouvernement socialiste marquée par une conception particulière des relations entre l’état et les collectivités locales base ses idéaux sur la décentralisation, l’interventionnisme et la participation de la sphère publique et associative au projet politique. Remettant en cause le Ministère de l’Environnement et du Cadre de Vie, le premier gouvernement socialiste opte pour la mise en place d’un Ministère de l’Environnement plus autonome. Dès l’automne 1981, les élus locaux et les associations militant pour la défense de l’environnement ont été sollicités par le gouvernement. Pour chaque région, cette vaste consultation permet la rédaction d’un livre blanc de l’environnement. Cette initiative a permis l’ébauche d’une collaboration entre les élus et les associations. Les dialogues ainsi amorcés donnent naissance à une réflexion plus consensuelle sur les notions de préservation de l’environnement et d’amélioration des cadres de vie. Parallèlement à cette administration est créé le Ministère du Logement qui se transforme en 1982 en Ministère de l’Urbanisme et du Logement. Au sein de cette instance, la délégation à la Qualité de la Vie perdure. Elle se doit d’étudier, d’initier et d’élaborer des mesures en faveur de la qualité de la vie. Elle est également chargée de la protection de l’environnement, de l’amélioration du cadre de vie et du développement de la vie associative. Bien que ces deux ministères soient autonomes, ils sont en étroite collaboration et leur travail reste complémentaire.

Lors de l’élection de J. CHIRAC à la présidence, le Ministère de l’Environnement perdure dans son appellation mais subit quelques modifications structurelles. Les préoccupations pour la protection de la nature, de l’environnement et les engagements pour lutter contre les nuisances, les pollutions et les risques naturels ou anthropiques subsistent. La Délégation à la Qualité de la Vie n’existe plus en tant qu’instance administrative mais ces compétences ont été rattachées à la Direction Générale de l’Administration et du Développement. On ne note donc pas un changement radical d’orientation, ce ministère est davantage marqué par la continuité de la prise en considération et de l’intervention en faveur de l’environnement et de la qualité de la vie.

On observe grâce à ce rapide survol de l’institutionnalisation de la qualité de la vie et de l’environnement que l’intention d’améliorer les cadres de vie, de protéger et de valoriser notre capital environnemental ainsi que la volonté de tendre vers une vie toujours meilleure dépassent les clivages politiques et les débats d’opinion. Les gouvernements de droite comme de gauche s’inscrivent dans la même logique. Par la succession des ministères, ils matérialisent leurs engagements pour un quotidien plus agréable où pollutions, nuisances et contraintes sont identifiées, maîtrisées et limitées. Afin de préciser et d’illustrer davantage nos propos, il est possible d’analyser la manière dont les institutions actuelles prennent en considération ces notions.

Notes
36.

TOBELEM-ZANIN C., 1995, La qualité de vie dans les villes françaises. Rouen, Publication de l’Université de Rouen, N°208, 288 pages.