3.2. Une prise en compte différenciée

À la lecture des différents supports de communication, on remarque que les propagandistes n’intègrent pas la notion de qualité de vie de manière identique. Un certain nombre d’entre eux ne l’évoque pas, d’autres y font discrètement référence alors que certains lui donnent une place fondamentale.

Dans le discours des listes de « Civisme à Lyon » et de « Lyon Fait Front », la notion de qualité de vie n’apparaît pas en tant que telle. L’expression « qualité de vie » n’est pas explicitement évoquée mais elle est remplacée par d’autres notions qui lui sont corrélées. La liste « Civisme à Lyon » substitue par exemple la qualité de vie à l’écologie urbaine en faisant référence à la notion de « village urbain ». Leur projet est fondé sur l’ancrage territorial et le rapport de proximité. Dans leur conception, le rôle du politique est de faire « entrer tout ou partie d’une ville dans des cercles vertueux en matière de santé de la population, d’animation de la vie de quartier et de convivialité entre les habitants ». Il se doit donc d’adapter la proximité aux besoins de chacun afin que les citadins puissent se l’approprier. À l’inverse des modes de vie actuellement observés, la liste « Civisme à Lyon » suggère l’immobilisme et l’enracinement spatial par le biais de l’aménagement de véritables villages urbains. On peut lire par exemple qu’en « permettant à des habitants de rester dans leur quartier durant la semaine pour y exercer une partie de leurs tâches professionnelles, on diminue les problèmes de transport, on augmente les activités commerciales, on permet une présence parentale plus assidue auprès des enfants, on multiplie les occasions de se connaître et de se rencontrer, et on permet à des projets culturels et sociaux de prendre forme ». C’est en ces termes que cette liste indépendante envisage ce qu’elle appèle « la véritable écologie urbaine » à savoir une écologie « qui ne se contente pas de préserver l’environnement mais qui anticipe et imagine de façon créative les mesures à prendre pour faire en sorte que les habitants se sentent mieux dans leur ville, s’y attachent et aient du plaisir à vivre ensemble ».

À l’inverse de cette démarche de substitution, la liste « Lyon Fait Front» base son discours sur la négative. Le but étant de fédérer les mécontents et les insatisfaits, le Front National tente de sensibiliser au « mal-vivre ». Le discours met ainsi l’accent sur les déséquilibres sociaux, les clivages économiques et les dysfonctionnements urbains.

Certaines listes comme « A Gauche Autrement » et « D’abord les Lyonnais » se placent en situation intermédiaire par rapport à la considération et à l’usage de la qualité de vie. Elle est dans ce cas explicitement intégrée aux projets. La qualité de vie sert de support à la communication et permet de légitimer l’intentionnalité des acteurs. Les discours font état de la nécessité d’améliorer la qualité de vie des lyonnais. Même si cette volonté de participer à l’agrément du quotidien de chacun ne s’exprime pas de façon identique (aussi bien dans les sujets évoqués qu’à travers les mots utilisés), elle reste un des points essentiels de ces programmes électoraux.

Les listes « En avant Lyon » et « M.I.L.L.O.N. pour Lyon » intègrent la notion de qualité de vie d’une manière plus prégnante. L’amélioration de la qualité de vie n’est pas considérée comme un des éléments du projet. Le discours ne se contente pas qu’évoquer la qualité de vie, il se structure davantage autour d’elle. Elle semble ainsi justifier la démarche même du projet. L'emploi de la notion de qualité de vie est donc récurrent et permet de justifier l’intentionnalité et l’action globale des acteurs. L’analyse des discours renseigne moins sur les projections d’action que sur les acteurs eux-mêmes. Cette différenciation dans l’intégration et l’usage de la qualité de vie permet donc de retranscrire la perception des différents groupes d’acteurs.

L’emploi de l’expression « qualité de vie » évolue également selon les supports de communication. Lorsque le discours s’adresse à l’ensemble des lyonnais, l’évocation de la qualité de vie s’efforce d’être globalisante. Le message évoque la qualité de la vie du « lyonnais » en général. Le discours reste ainsi très superficiel et fédérateur. On parle de nuisances, de pollutions, de cadres de vie, de développement durable, de transports. Puis le discours évolue en même temps que sa « cible ». Lorsque le public se restreint, le niveau de langage évolue et la référence à la qualité de vie se renforce. Les thèmes généraux des différents programmes sont ainsi déclinés à une échelle locale. Cette démarche permet de personnaliser le message en évoquant le quotidien des habitants et l’amélioration qui peut lui être portée. Plus le discours est précis, argumenté par le vécu de chacun, plus l’évocation de la qualité de vie semble structurante. Les référents sont ainsi plus « individualisés » et permettent à chacun de se sentir davantage concerné par les propos des prétendants à la mairie de Lyon. Cette volonté d’adaptation dialectique tente un rapprochement symbolique entre le politique et l’habitant. Il s’agit de montrer que les hommes politiques sont des hommes de terrain dotés d’une connaissance précise des préoccupations locales. Elle souligne également la nécessité de parler un langage commun susceptible de sensibiliser au projet en garantissant que les préoccupations de chacun fassent partie d’une démarche globale. La référence au quotidien et à la proximité donne tout son sens à la qualité de vie puisque le politique évoque la vie de quartier, le « bien-vivre ensemble», la place de chacun et son bien-être. Cette démarche s’inscrit bien dans le jeu de « séduction-attraction » qui tente de produire un discours fédérateur consensuel et proche du citoyen.

Il apparaît également intéressant de considérer la manière dont le politique se positionne par rapport à la « mission de qualité de vie ». Si la majorité des propagandistes évoque la qualité de vie comme étant une priorité incontournable, certains poussent le raisonnement plus loin et assimilent l’amélioration de la qualité de vie à une véritable mission politique. Les listes « M.I.L.L.O.N. pour Lyon » et « En avant Lyon » développent ainsi l’idée que la qualité de vie dépend de l’action publique et reste à la charge de la municipalité. Cette perception s’appuie sur un des principes de base de la démocratie qui confère au politique le devoir de privilégier l’intérêt général au détriment des intérêts individuels. L’intentionnalité et l’action publique trouvent ainsi leur légitimité dans l’œuvre collective. Dans ces deux programmes, la qualité de vie s’apparente à une mission et correspond à un devoir que l’élu se doit d’accomplir au profit de ses administrés.

Pour la liste « M.I.L.L.O.N. pour Lyon » par exemple, « la qualité de vie dépend de la maîtrise et de la régulation politique ». En s’appuyant sur le thème des déplacements lyonnais, l’idée est de réguler les mobilités individuelles au profit de la préservation du cadre de vie du plus grand nombre. Cette valorisation du collectif permet à la notion de qualité de vie de prendre une valeur subjective très forte dans la mesure où elle se décline également à une échelle locale. Ce projet insiste également sur la mise en place d’une « politique de l’habitat qui privilégie la qualité de vie des lyonnais ». L’objectif affiché est l’instauration d’une réglementation favorisant « l’identité architecturale des quartiers en évitant l’uniformité et en favorisant l’animation et l’intégration sociale ». Derrière l’utilisation de ces mots consensuels et « génériques » se dessine l’idée que la qualité de vie est du ressort du politique. Dans cette conception, la qualité de vie des individus s’obtient grâce à une volonté et une régulation politique. Par son jeu de décision et d’action, il se place en générateur de qualité de vie. Cette perception permet de valoriser le rôle du politique et de légitimer ses actions dans la mesure où il agit pour améliorer le quotidien du plus grand nombre.

La liste « En avant Lyon » se place également dans cette perspective d’obligation publique. Même si la démarche diffère en se voulant plus volontariste, le politique doit avoir le souci de la qualité de vie et celle-ci doit s’imposer comme une de ces priorités. La qualité de vie correspond à un enjeu pour la ville mais également pour ceux qui la gèrent. Le projet prévoit d’inscrire la ville dans une logique de « développement durable en termes de protection des ressources rares, de maîtrise de la péri-urbanisation, de cohésion sociale et plus généralement de qualité de vie ». Ces engagements peuvent être respectés en particulier grâce à « une bonne gestion publique de proximité ». La qualité de vie dépend donc d’une volonté publique, elle résulte des choix des décideurs et trouve sa réalisation en partie à travers le politique.

Après avoir identifier la manière dont la notion de qualité de vie est globalement évoquée dans le discours électoral, il semble nécessaire d’entrer davantage dans le détail. Pour comprendre ce qu’évoque la qualité de vie, il convient de prendre connaissance des référents auxquels le discours fait appel. La notion de qualité de vie est rarement utilisée seule. Un certain nombre de notions et concepts lui sont corrélés et permettent de lui donner corps. L’analyse du discours se propose ainsi de mettre en évidence les phénomènes de rapprochement et d’assimilation qui permettent de comprendre ce qui structure aujourd’hui la qualité de la vie dans les énoncés.