3.5. La qualité de vie et la notion de tranquillité

L’analyse discursive des programmes électoraux met en évidence une considération généralisée pour la sécurité. Tous les acteurs font le constat d’une augmentation de la délinquance, des actes d’incivisme et de vandalisme. Ils évoquent le mal-être de la population et le sentiment symptomatique d’insécurité. Certaines listes en ont fait un véritable « cheval de campagne ». À la lecture détaillée du programme de la liste « M.I.L.L.O.N. pour Lyon », la notion de qualité de vie est assimilée à la tranquillité. Lorsque la qualité de vie est évoquée, il apparaît en filigrane la notion de « tranquillité publique ». Il s’agit d’assurer aux habitants la possibilité de « vivre en paix ». L’énoncé du discours se structure autour du « droit à la tranquillité publique » pour tous et du devoir de garantir ce droit. On se base ici sur les fondements du rôle du politique. Pour sensibiliser davantage sur le caractère incontournable de cet engagement, le discours n’hésite pas à se reporter à des textes fondateurs. Il fait en effet référence à l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme (« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propreté, la sûreté et la résistance à l’oppression ») et cite l’article 1er de la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 (« La sécurité est un droit fondamentale et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives »).

Le discours commence par faire l’état des devoirs du politique en matière de « tranquillité publique ». Envisagé comme le pilier du projet pour la cité, le maintien de la « tranquillité publique » est « le premier devoir du Maire » en assumant sa responsabilité d’autorité de police administrative. Le lexique utilisé est très spécifique et renvoie à la responsabilité, au droit, au devoir, à l’obligation, l’autorité… Selon le programme, le maire incarne l’autorité de police générale. La loi lui confère donc l’obligation d’assurer la sécurité publique (prévention des accidents, sécurité des biens et des personnes), la tranquillité publique (lutte contre « les gênes de la vie en commun ») et la salubrité publique (hygiène, santé publique, propreté). C’est en assumant ses responsabilités que le politique œuvre en faveur de la qualité de vie.

La notion de « tranquillité publique » est transversale à l’action proposée. Il est ainsi souhaité d’intégrer les objectifs de « tranquillité publique » dans la politique sociale en direction de l’enfant et de la famille afin de prévenir la délinquance. Constatant la dégradation de l’environnement urbain « du fait d’une forte poussée des actes d’incivilités », les objectifs de « tranquillité publique » devront être intégrés à la politique de propreté et de préservation du patrimoine. Il s’agit de se mettre à l’écoute des revendications des habitants en ce qui concerne la propreté, l’éclairage, les graffitis, la détérioration du mobilier urbain. Lorsqu’un préjudice est identifié, l’organisation de l’action publique doit permettre par une réactivité rapide et une intervention immédiate de nettoyer, réparer, remplacer pour pallier les dommages occasionnés. Les objectifs de « tranquillité publique » ont également leur place dans la politique d’urbanisme et d’habitat. Parallèlement à la valorisation du cadre de vie par la lutte contre le bruit, l’éclairage publique ou la proposition de logements décents, la municipalité se propose de mener une politique d’accession à la propriété considérant que l’on respecte plus ce que l’on possède. Elle s’oriente également vers la généralisation des gardiens d’immeubles et le développement de convention avec des sociétés de gardiennage. Il est envisagé d’orienter l’action publique vers une politique de sécurité accrue dans les bâtiments polarisants, publics ou non, comme les cinémas, les bars, les restaurants, les hôtels, les discothèques, les stades mais aussi les écoles, les hôpitaux et les maisons de retraite. Il est également prévu de rendre compétente la police municipale en matière de police de circulation afin d’intervenir sur le stationnement, les excès de vitesse, l’alcoolémie et le plan de circulation.

Ce projet fait la proposition d’offrir aux lyonnais la « tranquillité publique » en concentrant son action sur le déploiement de la présence policière. Celle-ci se présente dans les textes comme une véritable promesse faite, non pas par une structure administrative, mais faite au nom d’un homme : le maire. Cet engagement presque personnel confère au discours une dimension particulière. Cette façon de parler de l’engagement lui donne l’apparence d’un serment. En s’inscrivant dans le respect de la loi, le candidat à la mairie se propose « d’assumer sa responsabilité d’officier de police ». Responsable de la prévention, il doit être « acteur de la sanction ». En menant une politique de tolérance zéro, le maire doit combattre « le fléau de l’insécurité » tout en restaurant « un sentiment de responsabilité individuelle et collective ». L’application de cette tolérance zéro suppose le contrôle de l’exécution de la sanction. La syntaxe et le vocabulaire utilisés révèlent la volonté du prétendant à la mairie de se placer en acteur incontournable. En se proclamant le garant de la sécurité, de l’ordre, de la loi et de son application, le maire ne substitue-t-il pas, en partie, à l’état et à la justice ?

La question de la sécurité n’est pas abordée de façon identique par la liste « En avant Lyon ». Le discours ne fait pas l’apologie du « tout sécuritaire ». Il se structure sur un enchaînement d’idées relativement simple : afin de tendre vers un développement urbain en faveur de la qualité de vie des habitants, il convient de satisfaire les exigences des « nouveaux citadins ». Le discours identifie ainsi un certain nombre de qualités dont la ville doit être pourvue. Elle doit à la fois être hospitalière, généreuse, douce à vivre, permettre l’épanouissement et l’accomplissement citoyen. Pour reprendre les termes du programme, une ville hospitalière se doit d’assurer à tous la tranquillité et la sécurité. Le discours est ici plus nuancé et cherche des solutions aux causes profondes de l’insécurité. Sans tomber dans la « phobie sécuritaire », les acteurs considèrent la sécurité comme le premier défi à relever. Le projet prévoit d’agir « sur les causes globales de la montée de la violence » en s’attaquant aux fondements du « mal vivre, de la violence, de la criminalité ». La démarche souhaitée se veut globale et transversale.

Au-delà des politiques de sécurité, il convient de considérer l’ensemble des phénomènes qui sont à l’origine de cette dégradation de la société. Ainsi tous les aspects des politiques de la ville sont concernés. Les actions sociales, culturelles, scolaires, l’aménagement urbain, les politiques de déplacement doivent lutter contre « les ghettos sociaux » et rechercher la justice sociale et l’égalité des chances. Les causes des violences urbaines sont cherchées dans la crise économique, le chômage, la mondialisation, la ségrégation urbaine, la crise de l’autorité parentale, l’évolution des structures familiales, les difficultés rencontrées par l’école dans la prise en charge des enfants, … Les raisons évoquées sont variées et dépassent parfois les compétences municipales. Par conséquent, les réponses à apporter sont forcément complexes et nécessitent une intervention sur « tous les terrains ». C’est pourquoi les acteurs refusent l’approche sécuritaire qu’ils jugent trop simpliste et réductrice. Ils préfèrent adopter une position intermédiaire à mi-chemin entre le travail de fond et la répression. Envisager l’absence de réponses répressives « serait faire preuve d’angélisme coupable » envers les victimes de ces violences urbaines.

Le projet élaboré afin de répondre à l’exigence de tranquillité des lyonnais propose la mise en place d’une politique de prévention et de sécurité, la résorption de « la fracture sociale » et le combat pour l’intégration et l’insertion économique. Il est ainsi souhaité de mieux gérer les forces de police nationale dont la mission prioritaire doit être la lutte contre la délinquance. La redéfinition des tâches de la police municipale devra lui permettre de sortir de son rôle de « simple agent de verbalisation du stationnement » afin de participer activement à la lutte contre la violence et de conjuguer les atouts de chacun. « Cette coopération nouvelle entre police nationale et police municipale doit permettre de ventiler au bon endroit et au bon moment les forces disponibles ». Le choix de la complémentarité et de la concertation est clairement affiché. Celle-ci doit permettre par conséquent une meilleure couverture de l’espace. Il est également envisagé de renforcer les moyens de la justice et de la prévention grâce au développement des équipes qui assurent le suivi judiciaire. Ce programme prévoit ainsi la création d’une nouvelle Maison de Justice afin de désengorger les tribunaux, l’installation de commissions de suivi de la délinquance afin d’éviter que se développe un sentiment d’impunité totale et l’augmentation des moyens alloués aux équipes de lutte contre les stupéfiants. La proposition est faite de repenser la ville en terme de sécurisation des espaces. En portant une attention plus grande à l’agencement spatial, à la végétalisation, à l’éclairage et aux usages possibles des espaces, il est envisagé de développer la « prévention situationnelle » afin de limiter le sentiment d’insécurité.

Parallèlement à ces mesures sécuritaires basées davantage sur la prévention que sur la répression, la liste « En avant Lyon » structure son discours sur la nécessité de rétablir les équilibres socioéconomiques. Afin de pallier les phénomènes de ségrégation urbaine, de ghettoïsation en périphérie, de péri-urbanisation, voir de rurbanisation, la municipalité se doit de mener une politique diversifiée du logement et d’organiser la « reconquête sociologique » des territoires de la première couronne et des quartiers sensibles de Lyon. L’enjeu est de mener une véritable politique de « renouvellement urbain ». L’insécurité est décrite comme le résultat de la dégradation de l’environnement social. La nouvelle croissance économique et la réouverture du marché de l’emploi sont présentées comme des atouts que la municipalité doit saisir afin de favoriser l’insertion et de réduire le chômage. C’est à travers des actions et des réformes qui prévoient de rétablir les équilibres économiques, de réduire les disparités territoriales et de tendre vers l’équité sociale, que ce projet se propose de réduire, parfois indirectement, l’insécurité. L’usage de la qualité de vie en référence à la tranquillité cache ainsi des représentations et des schémas d’intention bien différents d’un projet à l’autre.