1.3.2. L’enquête par questionnaire

L’enquête par questionnaire est une technique d’observation particulièrement pointue. Comme l’explique L. ALBARELLO, cette méthode de sondage a « pour but de fixer en un moment donné une situation sociale donnée » 65 . Cette démarche s’appuie sur des paramètres particuliers tels que des questionnements adéquats, des procédures d’échantillonnage, des récoltes et traitements adaptés de l’information. L’appréhension de la qualité de vie, pour être pertinente et complète, doit nécessairement s’appuyer sur une enquête non seulement constituée d’une phase qualitative mais également complétée par une approche quantitative. Le recours au questionnaire permet ainsi une inférence statistique pouvant vérifier les hypothèses énoncées et les compléter par des renseignements chiffrés.

Dans un premier temps, il convient de s’assurer que le besoin de connaissance puisse être comblé par l’utilisation d’une méthode de questionnement quantitatif. L’enquête par questionnaire ne peut s’appliquer de manière hasardeuse et nécessite un certain nombre de réflexions préalables. Il faut souligner que cet instrument d’investigation ne s’applique, avec pertinence, qu’aux objets mesurables. Un cadre théorique doit pré-exister afin que l’enquête par questionnaire puisse donner toute satisfaction. Pour résoudre un problème donné, il semble judicieux d’interroger des individus concernés par celui-ci. L’implication des individus et leur compétence pour le traiter sont donc présumées.

C. JAVEAU explique que « des informations intéressantes et significatives peuvent être recueillies auprès de ces individus si on leur pose des questions appropriées, dont ils sont capables de saisir le sens, et auxquelles ils sont aptes à répondre pratiquement sur le champ » 66 . Cette méthode n’est valable que si l’ensemble des individus concernés par le problème peut être représenté par une partie réduite de cet ensemble. Cette « fraction, souvent très faible, (…) appelée échantillon, est choisie en fonction de la distribution statistique d’un nombre limité de critères choisis en raison de leur degré de caractérisation supposé très élevé »112. Après manipulation informatique, le traitement des réponses récoltées met en évidence des tendances majoritaires et « produit une représentation satisfaisante de la position de l’ensemble étudié à l’égard du problème censé le concerner 112». Il apparaît donc indispensable de préalablement considérer la compatibilité entre l’objet de recherche et les contraintes de cette méthode.

L’usage de l’enquête par questionnaire, comme tout instrument d’investigation qui se propose d’éclairer les réalités sociales, soulève des problèmes à la fois éthiques et déontologiques. Un certain nombre de règles doivent ainsi être respectées. Lors de l’administration d’un questionnaire, bien que le parfait anonymat ne puisse être assuré, la confidentialité des répondants doit être garantie. Il est également nécessaire d’expliquer les objectifs réels de l’enquête et de préciser, sans ambiguïté, le commanditaire de la démarche. Il ne faut en aucun cas que les réponses données puissent être détournées du contexte dans lequel elles ont été obtenues car les répondants doivent être informés de la destination réelle de leurs réponses et de l’exploitation qui en résultera. Comme l’explique C. JAVEAU « mentir sur les buts de l’enquête ou sur l’identité du commanditaire, pour autant que ces mensonges puisent induire les répondants en erreur grave et les inciter à une confiance imméritée, voilà qui n’est pas seulement passible de réprobation d’un point de vue déontologique, mais aussi d’un point de vue éthique général » 67 .

La mise en situation d’interview n’est pas sans ambiguïté. Elle demeure, en effet, artificielle et particulière. L’idéal voudrait que l’interview se structure autour de questions posées par l’intervieweur auxquelles répond de manière spontanée l’interviewé. « En principe donc, la relation est purement instrumentale : l’intervieweur est un instrument de questionnement, et l’interviewé, un instrument de la réponse »113. Cette mise en scène sous-entend que les deux protagonistes, emprunts d’une neutralité absolue, demeurent indifférents à la présence de l’autre. Ceci est bien évidemment une relation utopique. En réalité, l’interview met en scène deux individus qui interagissent en fonction de leur propre interprétation de la situation. Tel un rituel, l’intervieweur répète avec habitude sa technique de présentation alors que l’interviewé se réfère à des situations semblables, situation d’examen par exemple, dans lesquelles on exige de lui des réponses. Pour ce faire, il utilise sa propre technique de présentation et de réponse. C. JAVEA113U décrit cette situation comme étant à la fois conflictuelle et empathique :

Il convient alors d’être conscient des biais possibles de cette mise en situation et de ne pas accueillir la réponse d’autrui comme vérité objective. Le caractère standardisé et rigoureux de l’outil ne permet pas, à lui seul, de garantir la fiabilité des résultats obtenus par enquête.

Malgré ces précautions d’usage, les enquêtes par questionnaire sont en mesure de fournir des connaissances précises. Pour C. JAVEAU 68 les données communément mobilisables par les enquêtes par questionnaire peuvent être regroupées en trois catégories. Elles peuvent à la fois renseigner sur :

Le questionnaire, pour recueillir ces différents types de connaissance, utilise des modes de questionnement spécifiques qu’il convient à présent de préciser.

Par définition, un questionnaire est un outil rigoureusement normalisé et ordonné par des questions structurées. Il s’agit d’un instrument d’investigation quantitatif standardisé à la fois dans sa construction, la formulation des questions qui le constituent et ses modes d’administration. La fiabilité des résultats chiffrés du questionnaire dépend de son immuable reproductibilité. L’ambiguïté, les aménagements de langage et les compléments d’information ne peuvent trouver leur place dans cette démarche puisque « pour assurer la comparabilité des réponses de tous les sujets, il est absolument indispensable que chaque question soit posée à chaque sujet de la même façon, sans adaptation, ni explications complémentaires, laissées à l’initiative de l’enquêteur » 69 . Comme l’explique J. FREYSSINET-DOMINJON, « cette standardisation de la situation est un gage d’homogénéité des informations collectées au regard de l’exigence scientifique de fidélité de l’instrument, propriété selon laquelle les résultats ne changent pas quand celui-ci est manipulé par des personnes différentes » 70 . Cela suppose que les questions soient parfaitement formulées et qu’elles fassent preuve d’une grande intelligibilité. Compte tenu de ces exigences, la rédaction d’un questionnaire nécessite un savoir-faire particulier. Il convient ainsi de préciser quelques principes de base permettant de mener à bien l’élaboration d’une enquête par questionnaire.

L’ensemble des questions qui façonnent le questionnaire doit nécessairement être compréhensible et explicite. Elles ne sont cependant pas indépendantes les unes des autres. Il convient, en effet, de prendre conscience qu’elles s’inscrivent dans un tout qu’elles structurent, le questionnaire, qui lui même en retour conditionne leur appréciation et donc les réponses qu’elles susciteront. Chaque question doit être interprétée en fonction de sa position dans le questionnaire. Pour mieux comprendre cet emboîtement structurel et les conséquences qu’il peut produire sur les résultats d’enquête, nous pouvons citer l’exemple d’une étude :

« Au cours d’une enquête menée dans le cadre d’une étude de motivation sur les caméras d’amateur, on a, par inadvertance, posé la même question tout au début du questionnaire, et à la fin. C’était la question « envisagez-vous au cours des prochaines années d’acheter une caméra ? » (question posée à ceux qui n’en possédaient pas). À la fin d’un questionnaire de 30 minutes environ, le nombre des réponses positives à cette même question avait presque doublé. C’est que, entre temps, on les avait fait parler de vacances, envisager des utilisations possibles de la caméra, etc. ; ce qui n’était qu’une possibilité lointaine au début, était devenu familier après une demi-heure »115.

Le questionnaire doit également soigner la structure de ces questions et trouver une harmonie entre le cloisonnement des réponses induit par des questions fermées et l’expression libre induit par les questions ouvertes. La constitution des questions conditionne en effet l’implication de l’enquêté dans les réponses qu’il donne. L’introduction du questionnaire par des questions fermées risque d’orienter l’enquêté vers des réponses brèves et non détaillées. Cette impression de cadre pré-établi peut appauvrir les réponses spontanées lorsqu’elles seront souhaitées. Les questions initiales doivent être particulièrement soignées dans la mesure où elles doivent susciter l’intérêt de l’enquêté et lui donner envie de répondre.

L’enchaînement et la fluidité des questions conditionnent également la qualité générale du questionnaire. Le contenu des questions et la succession des thèmes abordés permettent d’assurer la cohérence de l’ensemble. Cela ne doit pas exclure la variété des formulations qui permet de rompre la monotonie pouvant mettre en péril l’administration de longs questionnaires. La durée acceptable d’un questionnaire dépend surtout de l’intérêt porté au sujet, de la manière dont les thèmes sont abordés et des conditions de passation. Il faut construire un questionnaire avec réalisme, sans oublier qu’il faudra l’administrer et l’exploiter. Cette phase d’exploitation des données doit être anticipée afin d’optimiser le questionnaire. Il faut que chaque question posée corresponde à un but précis d’avancement de la connaissance. Pour cela, il convient de vérifier la bonne compréhension des questions, s’assurer que certaines ne fassent pas double emploi, limiter les questions ou les formulations qui pourraient irriter l’enquêté,… Tous ces principes de construction font du questionnaire un outil difficile à élaborer ou tout doit être préalablement pensé, envisagé et testé. De la qualité de ces phases de construction dépend la qualité de l’enquête elle-même et des résultats obtenus.

L’ensemble des étapes de construction de l’approche subjective des représentations citadines, les outils utilisés, les modes d’administration et de traitement de l’information ont été largement développés. Avant d’entrer davantage dans le détail de l’instrumentalisation de la recherche, il semble nécessaire de déterminer les acteurs qui façonnent cette démarche d’évaluation de la qualité de vie.

Notes
65.

ALBARELLO L., DIGNEFFE F., HIERNAUX J-P., MAROY C., RUQUOY D., De SAINT-GEORGES P., 1995, Pratiques et méthodes de recherche en sciences sociales. Paris, Armand Colin, 179 pages.

66.

JAVEAU C., 1988, L’enquête par questionnaire. Manuel à l’usage du praticien. Bruxelles, 3ème édition, Collections de l’Institut de Sociologie, Etudes de méthodologie, Editions de l’Université de Bruxelles, 138 pages.

67.

JAVEAU C., 1988, L’enquête par questionnaire. Manuel à l’usage du praticien. Bruxelles, 3ème édition, Collections de l’Institut de Sociologie, Etudes de méthodologie, Editions de l’Université de Bruxelles, 138 pages.

68.

JAVEAU C., 1988, L’enquête par questionnaire. Manuel à l’usage du praticien. Bruxelles, 3ème édition, Collections de l’Institut de Sociologie, Etudes de méthodologie, Editions de l’Université de Bruxelles, 138 pages.

69.

GHIGLIONE R., MATALON B., 1992, Les enquêtes sociologiques – Théories et pratique. Paris, Armand Colin Editeur, quatrième édition, troisième tirage, 301 pages.

70.

FREYSSINET-DOMINJON J., 1997, Méthodes de recherche en sciences sociales. Paris, Montchrestein, Collection administration économique et sociale, 356 pages.