1.2. Vers un modèle de compréhension de la qualité de vie au quotidien

L’individualisme méthodologique permet de comprendre et d’expliquer les phénomènes sociaux en montrant qu’ils sont la conséquence de perceptions, de représentations, de motivations ou de comportements individuels. La méthode individualiste doit cependant permettre, à travers l’approche des singularités et des complexités individuelles, de fournir les clefs d’une compréhension plus globale et générale des phénomènes sociaux. Ce changement d’échelle dans le discernement du social suppose un effort de « modélisation » 91 des perceptions individuelles. Les sciences sociales individualistes, à l’image des sciences naturelles, doivent conduire à adopter une démarche synthétique et « composite »163 prenant appui sur la connaissance de la signification subjective des pensées et des actions individuelles telle qu’elle transparaît en particulier dans le discours.

Cette méthode permet de construire, sous la forme d’un modèle abstrait, la motivation des individus concernés par le phénomène étudié et d’analyser celui-ci comme le produit agrégé de ces micro-perceptions. La modélisation est donc une procédure indispensable de simplification face à la multitude des cas de figures singuliers. Il s’agit ainsi de construire une représentation simplifiée et abstraire d’un phénomène à partir des régularités de représentations ou d’actions individuelles. « Parce qu’il n’est pas possible de prendre en compte toutes les actions et toutes les motivations qui contribuent à l’émergence d’un phénomène social, on ne retiendra que quelques catégories d’acteurs auxquels on attribuera des logiques de comportement simplifiées, et on ne prendra en compte parmi l’ensemble des caractéristiques du système social que celles qui paraissent suffire à l’explication » 92 . L’élaboration de cette simplification et de cette abstraction donne donc naissance à un modèle. Dans cette opération de modélisation, « ce sont les conceptions et les opinions individuelles qui nous sont directement connues et forment les éléments à partir desquels nous devons construire (…) les phénomènes plus complexes (…). Les attitudes individuelles sont des éléments familiers et nous essayons par leur combinaison de reproduire des phénomènes complexes (…), cette démarche conduit souvent à découvrir dans des phénomènes complexes des principes de cohérence structurelle qui n’avaient pas été, et sans doute ne pouvaient être, établis par l’observation directe » 93 .

Cette opération de simplification rend possible la construction de modèles par la recomposition d’hypothèses formulées à partir des éléments obtenus individuellement. La modélisation des phénomènes s’avère opérante et fiable dans la mesure où « il n’y a aucun doute que l’analyse de toute situation sociale est rendue extrêmement difficile par sa complexité » 94 . Cela n’interdit pas de donner une représentation « approximative » 95 proposant une interprétation schématique de cette complexité. C’est la complexité relative des situations sociales qui exige une telle démarche, et ce sont justement les propriétés singulières des individus agissant rationnellement qui rendent possible cette représentation. La complexité sociale est alors appréhendée, comprise et décomposée à partir des singularités individuelles, pour ensuite être recomposées, schématisées, simplifiées afin de restituer une part des réalités sociales. Cette étude d’évaluation se base ainsi sur cette procédure de simplification et d’abstraction pour construire sa propre modélisation de la qualité de vie.

Ainsi l’ambition de notre démarche géographique est l’élaboration d’une méthode « ouverte » de décomposition/recomposition de cette notion complexe de la qualité de vie. Compte tenu de la démarche approfondie de mobilisation de connaissances lors de l’approche sociologique de la qualité de vie, il semble indispensable de baser le diagnostic urbain sur la préservation de la richesse des matériaux obtenus. Cette volonté de tendre vers une restitution optimale des éléments jugés nécessaires à l’évaluation de la qualité de vie suppose une méthode d’analyse spécifique. Comme le montre la figure II.2., nous avons élaboré une méthode spécifique basée sur la décomposition de la notion de qualité de vie.

Figure II.2 Une méthode composite d’analyse pour un diagnostic urbain recomposé
Figure II.2 Une méthode composite d’analyse pour un diagnostic urbain recomposé

Les résultats d’enquête par questionnaire préalablement analysés et hiérarchisés permettent d’aboutir à un guide de travail pour l’analyse géographique : le sujet lui-même fait part de sa perception des critères nécessaires à l’évaluation de la qualité de vie quotidienne. La décomposition du système complexe de la qualité de vie en thèmes organisés entre eux a pour objectif d’aboutir à une série de critères quantifiables. Cette phase de décomposition permet de maintenir la complexité de la notion par une réflexion sur l’organisation des thèmes entre eux.

À partir de cette vision thématique, l’évaluation spatialisée de chacun des thèmes peut être envisagée. Cette phase d’analyse spatiale nécessite la collecte d’informations, leur intégration raisonnée dans une base de données et la construction d’indicateurs. Cette phase de travail permet l’analyse de la notion de qualité de vie conduisant à une évaluation objective, systématisée et compatible avec les autres thèmes.

La recomposition du système complexe de la qualité de vie s’effectue par combinaison de différents indices permettant ainsi de caractériser les territoires urbains. Cette recomposition du complexe, basée sur les résultats de l’analyse spatiale, s’effectue par une démarche comparative des indicateurs et si possible cumulative. Cette construction d’indices diversifiés permet de proposer une, voire plusieurs évaluations de la qualité de vie quotidienne.

Cette méthode de diagnostic objectif se propose ainsi de qualifier le cadre de vie des citadins. La démarche de travail consiste alors à considérer l’offre ou la qualité de l’offre disponible sur l’ensemble du territoire. Cette qualification objective nous oblige à ne tenir compte que de la nature des cadres de vie et d’en établir les disparités spatiales. Cette orientation de travail exclue, dans un premier temps, le lien entre les disponibilités territoriales et la population résidente. Cette considération, à la fois du « contenant » et du « contenu » permettant de qualifier les correspondances entre « l’offre » et « la demande » fera, dans un second temps, l’objet d’une analyse spécifique.

Après avoir identifié les fondements méthodologiques de notre recherche, il s’agit à présent d’identifier le terrain d’étude correspondant au modèle d’analyse proposé. Celui-ci ne doit pas être choisi et utilisé par dépit mais se doit au contraire de fournir au diagnostic urbain un espace opérationnel adapté à la problématique de la qualité de vie quotidienne. Pour se faire, il convient, dans un premier temps, de discuter des territoires d’analyse intra-urbaine, de commenter les tests inhérents à la recherche d’un référentiel géographique opérant, pour enfin expliquer la construction spécifique de l’empreinte territoriale de notre problématique.

Notes
91.

LAURENT A., 1994, L’individualisme méthodologique. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France, 127 pages.

92.

DERIVRY D., L’individualisme méthodologique. www.mapage.noos.fr , 2 pages.

93.

HAYEK F., 1941-1944, cité par LAURENT A., 1994, L’individualisme méthodologique. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France, page 59.

94.

POPPER K., 1944-1945, cité par LAURENT A., 1994, L’individualisme méthodologique. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France, page 78.

95.

LAURENT A., 1994, L’individualisme méthodologique. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France, 127 pages.