2.2. Entre exigences scientifiques et contraintes géographiques : recherche heuristique d’un système de référence géographique

La démarche de travail consiste, à partir des éléments de constat précédemment énoncés sur la nécessaire évolution des échelles d’analyse, d’entreprendre une méthode de recherche fondée sur l’approche et la résolution progressive de la problématique posée. L’enjeu de la démarche est d’ancrer notre étude sur un territoire ayant du sens pour ceux qui l’habitent tout en répondant aux exigences de la contrainte statistique imposée par le diagnostic objectif.

Grâce à cette recherche d’évaluation de la qualité de vie menée sur l’ensemble de la ville de Lyon, l’enjeu est d’entrer dans la ville et d’asseoir l’analyse urbaine sur des territoires pertinents. Le problème est alors d’utiliser un découpage territorial permettant la complémentarité entre la disponibilité statistique, indéniablement nécessaire à l’analyse urbaine et la pertinence des unités spatiales utilisées. Les limites territoriales évoluent selon la perception des habitants mais aussi en fonction des choix et des priorités des analystes qui se penchent sur ces territoires. Rares sont ceux qui montrent « un intérêt pour le système de découpage qu’ils utilisent. Très naturellement, ils préfèrent se concentrer sur les aspects plus substantiels de l’étude spatiale que sur le processus apparemment trivial et terre-à-terre du dessin des unités spatiales qu’ils manipulent » 107 . Il semble néanmoins nécessaire, avant de vouloir analyser l’urbain, de s’interroger sur les découpages utilisés et leurs conséquences sur l’analyse spatiale elle-même.

Pour mener à bien notre étude sur la qualité de vie quotidienne, nous avons eu recours à différentes approches pour aboutir à un espace de compromis. Comme le montre la figure II.3., nous avons testé différents découpages et diverses méthodes d’analyse comme les découpages statistiques traditionnels (îlots et IRIS de l’INSEE) et la méthode du carroyage pour construire enfin un terrain d’étude structuré autour du référentiel bâti et de son unité de voisinage. Le but est alors de répondre aux préoccupations et aux fondements de la problématique de la qualité de vie quotidienne et de travailler sur des terrains d’étude sensés, cohérents et statistiquement viables. C’est pourquoi il convient de construire un espace de compromis capable de prendre en compte la complémentarité des méthodes d’analyse et les exigences de la problématique.

Figure II.3. Méthodes comparées d’échelle d’analyse
Figure II.3. Méthodes comparées d’échelle d’analyse

Le découpage qui s’impose souvent et de manière presque naturelle à l’analyse urbaine correspond d’abord à la délimitation statistique mise en place par l’INSEE. Ces unités de récolement statistique, qu’il s’agisse de l’arrondissement, de l’IRIS ou de l’îlot, répondent au rôle de dénombrement quantitatif qui lui est conféré. Comme l’illustre la figure II.4., même si celles-ci tentent de plus en plus à être intégrées au processus de délimitation, la contrainte statistique impose ce découpage spécifique au détriment des composantes spatiales et sociales de la notion de quartier et d’espace vécu. La juxtaposition des îlots INSEE et le plan de zonage POS illustre bine le décalage entre le découpage statistique du territoire et la réalité de sa morphologie. En effet, les îlots ne correspondent pas à la délimitation du centre urbain (zone UC) établie par le POS.

Figure II.4. Exemple de l’hétérogénéité du découpage des îlots INSEE
Figure II.4. Exemple de l’hétérogénéité du découpage des îlots INSEE

Cette unité de référence spatiale s’impose cependant comme un vivier de données statistiques dont l’analyse urbaine peut difficilement se passer. L’exhaustivité, la richesse et la finesse des données disponibles à cette échelle font de ce découpage un outil indéniablement performant pour les connaissances et les réflexions intra-urbaines. Seulement son usage doit être adapté à la problématique abordée. L’évaluation de la qualité de vie quotidienne ne peut se faire sur des délimitations imposées par la loi statistique qui tient peu compte des structures sociales et spatiales des territoires. Ce découpage statistique largement déterminé par l’approche démographique semble inadapté aux enjeux de proximité. Il ne permet pas de prendre en considération les problématiques de la vie quotidienne comme le commerce, le bruit, les équipements scolaires ou les transports en commun.

La problématique de la qualité de vie quotidienne ne peut ainsi être contenue dans des projections territoriales contraintes et réductrices. Pour mener à bien cette évaluation, nous avons refusé l’utilisation de cette délimitation prédéfinie. En effet, celle-ci ne semble pas capable de restituer la complexité des pratiques urbaines et des usages quotidiens, la variabilité et l’imbrication des échelles intra-urbaines pouvant donner corps à la notion de qualité de vie quotidienne. L’usage de ce découpage statistique proposé par les îlots ou les IRIS 2000 (quartiers INSEE) s’avère ainsi inadapté à l’approche de la qualité de vie quotidienne et peut même constituer une gêne à l’analyse de cette problématique. C’est pourquoi ces limites n’ont pas été retenues. Cet abandon consenti implique alors une recherche de solutions satisfaisantes et adaptées.

Cette volonté de nous affranchir d’un découpage classique afin d’éviter les risques de voir apparaître des effets liés à la conception des limites administratives ou des unités statistiques prédéfinies, nous a conduit à tester l’utilisation d’un référentiel maillé. La méthode du carroyage correspond à un découpage neutre et arbitraire en maille dont la forme peut variée. La plus simple est le carré mais le triangle, le losange ou l’hexagone peuvent éventuellement être utilisés. L’espace est ainsi découpé de manière abstraite suivant une grille orthonormée dont le pas est défini en fonction de la problématique et des objectifs du traitement. Cette solution propose une abstraction complète du territoire. Ce maillage permet de s’affranchir de certains effets induits par les découpages statistiques comme la non adaptation du découpage à la problématique, l’absence de choix du terrain d’étude ou le lissage de l’information.

Figure II.5. Un exemple de maille sur la ville de Lyon
Figure II.5. Un exemple de maille sur la ville de Lyon

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004. Cette figure illustre la juxtaposition du découpage en IRIS de INSEE et le découpage en maille de 100 mètres.

Cependant cette méthode pose un certain nombre de problèmes qui ont été jugés rédhibitoires. Tout d’abord, la définition de la maille reste un élément à la fois déterminant et problématique dans l’étude de la répartition d’un phénomène dans l’espace. La figure II.6. illustre, à travers l’exemple du nombre de commerces et de services de proximité, cette uniformisation de l’information en fonction de la taille du maillage. En effet, si la maille est trop étendue, indépendamment de sa forme, on observe un aplanissement généralisé des données. La maille de 33 mètres présente une répartition précise et détaillée de la donnée commerciale mais fournit une lecture du territoire peu propice à l’analyse. La maille de 100 mètres permet un lissage de l’information, alors que la maille de 200 mètres présente une telle uniformisation de la donnée qu’elle devient à la fois peu exploitable et discriminante. Même si la perte d’information semble inévitable, elle est maximale si le nombre de maille est égal à 1 et décroît linéairement avec l’augmentation du nombre de maille. La difficulté réside donc dans le choix du nombre de mailles. Celui-ci doit alors être le plus adapté au phénomène étudié pour ainsi minimiser la perte d’information.

Figure II.6. Aplanissement des données en fonction de la taille de la maille
Figure II.6. Aplanissement des données en fonction de la taille de la maille

Ainsi, comme nous venons de le voir, pour rendre les phénomènes comparables, ce système de maillage implique un pas fixe pour l’ensemble des thèmes abordés. Cependant, l’évaluation de la qualité de vie implique le traitement de critères à la fois nombreux et variés. Cette contrainte de « pas fixe » implique donc une rigidité de traitement et d’analyse peu acceptable. En effet, en terme de qualité de vie quotidienne, la proximité d’un espace vert ne s’évalue pas sur la même échelle que la proximité d’une boulangerie ou d’un arrêt de bus. Il est ainsi impossible de choisir un pas unique compatible avec l’ensemble des thèmes abordés par l’étude.

L’influence de la localisation du maillage n’est, de plus, pas sans conséquence pour l’analyse des phénomènes. Comme l’illustre la figure II.7., selon l’origine du maillage, la distribution des éléments peut largement variée.

Figure II.7. Influence de la localisation du maillage
Figure II.7. Influence de la localisation du maillage

Source : LAJOIE G., 1992.

Comme l’explique G. LAJOIE 108 , le maillage de départ (origine 0, 0) présente une distribution concentrée du semis de points. La fréquence de maille vide est très importante (10 mailles sur un total de 16). Les 17 points du semis sont ainsi regroupés sur six mailles avec deux concentrations majeures de 4 et 5 points. Si le maillage est décalé d’une demi-case (origine 0.5, 0), cette concentration disparaît. La fréquence des mailles vides est presque moitié moins importante (6 mailles sur un total de 16). Les mailles de fréquence 1 apparaissent massivement alors que les deux regroupements majeurs identifiés ultérieurement disparaissent « au profit de concentrations secondaires de 3 points par maille ». Cette variabilité des résultats produite par le carroyage peut donner lieu à l’analyse de deux distributions bien différenciées sinon opposées. La première distribution (origine 0, 0) semble ainsi concentrée alors que la seconde (origine 0.5, 0) présente une distribution plus diffuse, « tendant vers une distribution aléatoire 179».

Cette méthode du carroyage comporte une faiblesse supplémentaire pour l’étude des distributions qui « pose à elle seule le problème de fond quant à l’utilisation de ces techniques dans l’analyse géographique, stricto sensu, d’un phénomène précis »179. Comme le montre la figure II.8., il s’avère que le maillage met à disposition de l’analyste une distribution de fréquences d’un semis de point sans pour autant renseigner sur la distribution géographique des phénomènes.

Figure II.8. Distribution géographique et distribution statistique
Figure II.8. Distribution géographique et distribution statistique

Source : LAJOIE G., 1992.

La figure II.8. démontre que deux semis de points possédant une distribution de fréquences strictement identique peut donner lieu à deux distributions spatiales quasiment opposées. Malgré une distribution statistique semblable, le semi 1 présente une concentration unique au centre du maillage alors que les points du semi 2 sont au contraire groupés en plusieurs concentrations distribuées spatialement de manière aléatoire.

Enfin, comme le montre la figure II.9., les rendus cartographiques produits grâce au carroyage ont été jugés trop abstraits pour une analyse fine de la ville : la structure urbaine n’est plus reconnaissable, ce qui rend l’interprétation visuelle des phénomènes difficile. L’exemple présenté ci-dessous correspond à une cartographie du nombre de commerces comptabilisé sur une maille de 100 mètres. Cette représentation cartographique ne facilite pas l’analyse urbaine. L’abstraction territoriale induite par la méthode du carroyage limite l’ancrage du phénomène dans l’armature urbaine et nuit donc à l’interprétation de l’information à une échelle fine.

Figure II.9. Abstraction territoriale et difficultés d’interprétation des phénomènes
Figure II.9. Abstraction territoriale et difficultés d’interprétation des phénomènes

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Cette alternative méthodologique du carroyage a donc des limites pénalisantes pour la problématique d’évaluation de la qualité de vie quotidienne. Sans pour autant contester l’intérêt de son usage qui peut être adapté à certaines échelles d’analyse territoriale ou à certaines problématiques, il semble néanmoins que la maille ne puisse répondre aux exigences de notre approche spécifique de la qualité de vie intra-urbaine. Il nous a donc fallu réfléchir à la construction d’un terrain d’étude spécifique. C’est pourquoi, nous avons cherché une unité géographique compatible avec notre problématique. La notion de qualité de vie s’exprime en effet sur un territoire tant social que spatial: c’est l’échelle de l’individu et du foyer, du temps court et du quotidien, c’est l’échelle du lieu de vie, du territoire vécu, habité. Il s’agit donc de trouver un territoire évolutif, à géométrie variable pouvant optimiser l’analyse urbaine. Une échelle permettant de mener à bien des analyses multicritères tout en préservant une lecture satisfaisante de la structure urbaine doit ainsi être trouvée. L’enjeu est alors de produire une analyse urbaine sur des territoires pertinents permettant la complémentarité des sources statistiques et des données d’évaluation du cadre de vie.

Notes
107.

OPENSAHAW S., 1981, Le problème de l’agrégation spatiale en géographie. Traduit de l’anglais par PUMAIN D., L’Espace Géographique, Tome X, n°1, Doin, pages 15-24, cité par LAJOIE G., 1992, Le carroyage des informations urbaines. Rouen, Publications de l’université de Rouen, Collection Nouvelles Donnes en Géographie, N°177, 238 pages.

108.

LAJOIE G., 1992, Le carroyage des informations urbaines. Une nouvelle forme de banque de données sur l’environnement de Grand Rouen. Rouen, Publications de l’université de Rouen, Collection Nouvelles Donnes en Géographie, N°177, 238 pages.