3.1. Analyse objective de chaque critère : vers la décomposition de la qualité de vie

Cette étape de décomposition de la notion de qualité de vie doit aboutir au renseignement de la base de données pour chacun des critères identifiés lors de l’enquête. Pour chaque critère, il s’agit donc d’identifier la ou les variables les plus pertinentes, de déterminer la fonction de voisinage qui décrit le mieux la relation spatiale entre le phénomène étudié et l’habitant, matérialisé par le bâti ; et enfin de recueillir la donnée source permettant de calculer les indicateurs. L’objectif de ce chapitre n’est pas de préciser les traitements effectués pour chacun des critères mais il s’agit de donner les grands principes d’analyse spatiale mobilisés par ce travail. La quatrième partie du document se propose en effet de détailler chacun des traitements en s’appuyant sur la présentation des résultats cartographiques de l’étude et l’analyse des disparités spatiales des critères de la qualité de vie.

L’échelle à laquelle nous nous situons, induite par le choix du système de référence, implique de mobiliser des données sources d’une très grande précision géographique. Pour mesurer l’impact des phénomènes à l’échelle du bâti, il faut en effet disposer de « données brutes » : l’utilisation de données agrégées induirait l’obtention de résultats qui ne correspondraient plus à notre problématique. Cependant, il n’est pas question pour ce travail de produire de la donnée spécifique. L’étendue et la densité du territoire d’étude ainsi que la variété des champs thématiques impliquent la mobilisation de moyens hors de notre portée. Par ailleurs, la production de données spécifiques nécessite des compétences méthodologiques que nous ne possédons pas. Enfin, les différents services techniques de la Ville et des autres administrations territoriales produisent, pour les besoins de leurs activités propres, une masse considérable de données récentes, spatialisées et d’une très grande précision qu’il est possible de mobiliser.

Plutôt que de produire la donnée, nous optons donc pour une démarche d’identification et localisation de la donnée disponible la plus adaptée à nos besoins, quitte à l’adapter en partenariat avec le service responsable. En effet, cette donnée de gestion n’est pas forcément directement mobilisable à des fins d’analyse spatiale (elle n’a pas été produite pour cet usage), mais elle seule peut fournir un matériau de base pour la création de bases de données spatialisées adaptées à notre usage. Cette étape de « raffinage » passe donc par l’exploration et l’évaluation de la donnée disponible (modes de production, signification) et par sa transcription en une donnée exploitable : extraction de l’information nécessaire, croisement de données de différentes sources pour obtenir une base décrivant au mieux le phénomène observé.

La démarche multicritère et multi-thématique adoptée implique de rapporter un grand nombre de données sources au référentiel unique choisi : c’est la phase d’assignation des variables. Le principe de voisinage adopté peut amener à considérer la relation spatiale entre l’objet porteur de la propriété à assigner et l’objet du référentiel comme une relation « émetteur – récepteur ». Le transfert de la propriété de l’émetteur vers le récepteur doit suivre des lois spécifiques à chaque thématique : c’est ce que nous appellerons la « fonction de voisinage ». Cette fonction de voisinage, propre à chaque thématique, va nous permettre de décrire des phénomènes d’interactions spatiales différentes en lien, par exemple, avec le comportement de l’habitant au sein de son espace de voisinage (disponibilité et attractivité des infrastructures) ou l’atténuation du bruit liée à la circulation automobile. Chaque thème nécessite donc une phase de compréhension des modalités de cette interaction spatiale. Un travail de documentation et de collaboration doit donc être spécifiquement mené conjointement avec les spécialistes de chaque thématique pour évaluer les modalités de cette fonction de voisinage. Il est apparu que la fonction de voisinage peut toujours être abordée selon deux angles qui sont globalement similaires mais dont la mise en œuvre technique peut être plus ou moins complexe. Il est important de garder à l’esprit que la transcription de la fonction de voisinage en terme d’algorithme d’analyse spatiale correspond toujours à une modélisation, à savoir une simplification du fonctionnement réel du phénomène, qu’il est illusoire et inutile de vouloir décrire exhaustivement dans toute sa précision sur toute l’étendue du territoire qui nous intéresse.

Si l’analyse se base sur l’émetteur, c’est-à-dire sur la donnée étudiée, nous pouvons considérer que l’émetteur possède une «aire d’influence» dont les caractéristiques sont définies par la propriété qu’il émet. Il est ainsi possible de modéliser cette influence en assimilant la diffusion de la propriété sur le mode de l’atténuation d’un signal. L’exposition au bruit varie, par exemple, en fonction de l’intensité et de l’éloignement de la source sonore. À partir de la connaissance du phénomène étudié (acoustique, dispersion d’un polluant dans l’atmosphère, mais aussi phénomènes de type attractivité commerciale), il est possible de modéliser la diffusion de la propriété dans l’espace en fonction de l’intensité d’émission, de la distance parcourue, mais aussi en fonction de la structure urbaine (hauteur et enfilement des façades, densité du tissu urbain…).

Figure II.13. Exemple de traitement à partir de l’émetteur
Figure II.13. Exemple de traitement à partir de l’émetteur

Source : VINCENT Julien, Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, 2004.

Dans certains cas, des modèles informatiques spécifiques sont mobilisés. Ailleurs, des fonctions d’atténuation plus simples ne faisant intervenir que la distance et l’intensité de la source suffisent. Parfois, la fonction d’atténuation est simplement modélisée en fonction d’un seuil de distance à partir duquel le signal résiduel devient négligeable : nous obtenons une fonction simple de type « présence/absence de signal ». Enfin, cette approche permet facilement de distinguer les sources d’émission et de les considérer de manière séparée afin de mieux traiter les effets de réception cumulés à partir de sources multiples. L’approche par l’émission se justifie dans les cas où la diffusion du signal suit des lois complexes ou dans les cas où les émetteurs comportent des aires d’influences très différentes. Cette approche a par exemple été utilisée pour évaluer la thématique du transport en commun où les arrêts de métro possèdent une aire d’influence supérieure aux arrêts de bus.

Dans le cas de l’approche par le récepteur, nous nous attachons à qualifier le territoire propre à chaque récepteur dans sa composante thématique. Cette méthode est propice dans les cas où la fonction de voisinage décrit un comportement lié à un usage du territoire tel que le temps de trajet ou la distance consentie pour atteindre un équipement (commerce, équipement scolaire). Le caractère de proximité de la notion de qualité de vie au quotidien implique dans un contexte de milieu urbain, que ces trajets soient effectués à pied. La marche à pied demeure en effet le mode de déplacement le plus important au niveau micro-local. Notre approche utilise « la notion de distance de refus » 109 . Elle correspond à la distance que plus de 50% des personnes concernées refusent de parcourir à pied si elles disposent d’un moyen de transport public ou privé. Cette distance varie bien évidement en fonction du motif de déplacement, de la classe d’âge, de la catégorie socioprofessionnelle des individus mais aussi en fonction du climat et surtout de l’agrément de l’environnement. Certaines études montrent que 350 mètres correspondent à la valeur médiane des déplacements piétonniers (dans la mesure où la moitié des trajets à pied sont inférieurs à 350 mètres) alors de 750 mètres est considérée comme une distance au-delà de laquelle le déplacement à pied devient exceptionnel. En deçà de 100 mètres, et dans une limite de temps de 3 à 5 minutes, le déplacement à pied est « spontané ». Entre 100 et 300 mètres, pour des déplacements d’une dizaine de minutes, le choix du mode piétonnier dépend fortement des facteurs d’environnement.

Figure II.14. Exemple de traitement à partir du récepteur
Figure II.14. Exemple de traitement à partir du récepteur

Source : VINCENT Julien, Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, 2004.

Les conditions aptes à satisfaire les déplacements piétonniers dépendent ainsi de l’accessibilité aux services et aux équipements (proximité et répartition spatiales) et de l’agrément de l’environnement. La qualité de traitement de l’espace urbain, sa requalification, le confort climatique des cheminements ainsi que la richesse de la vie sociale et la diversité du développement commercial du quartier participent grandement à cet agrément. La qualité des cheminements s’impose également comme un paramètre essentiel. Pour que le déplacement piétonnier soit naturel, les cheminements doivent être praticables, confortables et sécurisés. La continuité des cheminements doit être conçue comme de véritables réseaux offrant la possibilité de déplacements en circuit. La limitation des obstacles et des effets de coupure comme les bâtiments ou les fortes emprises représente un élément non négligeable d’agrément : « la rue notamment, si elle est traitée comme un axe de circulation automobile, est perçue comme un écran. Plus la densité de la circulation est importante, plus cet écran sera perçu comme infranchissable » 110 . La réduction de la vitesse des véhicules, en lien avec la sécurité des piétons, la régulation du stationnement de surface (« plus l’espace est encombré par des voitures en stationnement, moins les piétons se sentent en sécurité » 190 ), des trottoirs larges et confortables (« atténuation des nuisances du trafic, atténuation du sentiment de vulnérabilité 190»), le choix de revêtement (entretien, propreté) sont des composantes fondamentales de la qualité des cheminements piétonniers.

La distance que les individus sont susceptibles de parcourir à pied est également liée à la fréquence des déplacements. Certains sont fréquents et quasi-quotidiens comme par exemples les achats alimentaires, les accompagnements scolaires ou les trajets vers un transport en commun alors que d’autres sont hebdomadaires voire mensuels et sont davantage liés aux loisirs comme par exemple les déplacements vers des équipements culturels et sportifs. En moyenne, il est admis que les déplacements journaliers oscillent entre 100 et 300 mètres dans une limite de temps de 3 à 10 minutes et les déplacements hebdomadaires entre 300 et 500 mètres. Dans le cadre de notre étude d’évaluation de la qualité de vie quotidienne, le rayon de voisinage sera donc adapté aux spécificités de chaque thème : des références détaillées ultérieurement (cf. la quatrième partie de ce travail), sur les pratiques du déplacement piétonnier serviront de base pour l’évaluation d’une distance consentie pour chaque thème. Par ailleurs, des contraintes spécifiques à l’accessibilité pourront être prises en compte : par exemple, les découpages scolaires pour les écoles. Lorsqu’elles sont présentes, ces contraintes spécifiques peuvent être facilement intégrées à l’analyse spatiale à partir du récepteur en limitant le territoire de chaque récepteur selon les contraintes spécifiques qui s’y appliquent. Cependant, nous avons choisi de ne pas prendre en compte les contraintes d’accessibilité liées à l’armature urbaine : voiries, fleuves, zones industrielles, voies ferrées… En effet, la prise en compte de ce type de rupture est rendue extrêmement difficile en raison de leur diversité et de leurs conséquences méconnues sur les pratiques du déplacement piétonnier. Enfin, les distances consenties sont généralement de l’ordre de la centaine de mètre et dépassent rarement les 500 mètres. Ces distances relativement faibles limitent généralement l’impact des ruptures urbaines sur le déplacement.

Dans l’approche à partir de l’émetteur, les méthodes d’analyse sont indépendantes du type de données source puisqu’il s’agit de reconstituer l’intensité de signaux de même nature (bruit, attractivité…) émis par différentes sources. Dans l’approche à partir du récepteur où l’objectif est de qualifier un territoire de voisinage, les données sources peuvent être de nature et de forme différentes (variables ponctuelles, linéaires ou surfaciques ; variables qualitatives ou quantitatives). La méthode d’assignation dépend des différents types de données sources et du type d’indice recherché (comptages d’individus ou de types, somme, moyenne pondérée ou non, valeur minimale ou maximale ou encore combinaison de plusieurs solutions). Le principe du référentiel bâti et son unité de voisinage permettent de faire face à toutes les combinaisons de situations par la mise en place d’algorithmes de reconnaissance du voisinage spécifique.

Que l’analyse se base sur l’émetteur ou le récepteur du phénomène, celle-ci a pour objectif de produire des indicateurs de qualité de vie capables de rendre compte des disparités spatiales caractérisant le territoire de la ville de Lyon. Cette analyse objective des potentialités et des carences territoriales se doit de restituer le plus fidèlement possible les critères d’évaluation issus des représentations individuelles.

L’exploitation cartographique des résultats s’est effectuée en deux phases. La première phase s’imprègne d’une démarche purement quantitative qui s’axe sur la répartition et la mesure du phénomène étudié sur l’ensemble du territoire communal. Les critères sont ainsi représentés sur l’ensemble des 42 750 bâtiments de la ville de Lyon. La deuxième phase s’inscrit dans une démarche plus qualitative. Il s’agit à partir de cette connaissance quantitative, de qualifier le territoire de la ville de Lyon en fonction du phénomène étudié. La charte graphique est identique pour chacun des critères d’étude et prévoit une répartition en cinq classes hiérarchisant les unités de voisinage en fonction de leurs qualités. Ils s’inscrivent ainsi dans une répartition des environnements : très préservés / très dégradés ou en termes de potentialités / carences. Afin d’améliorer la restitution cartographique de l’information et d’optimiser son analyse, les critères sont uniquement représentés sur les bâtiments habités de la ville de Lyon. Cette deuxième phase permet donc d’opérer un lien direct entre l’exploitation cartographique et la problématique de l’étude. L’évaluation de la qualité de vie quotidienne, en lien direct avec l’habitant, gagne en signification sur cette échelle restreinte, cohérente et systématique de représentation.

Notes
109.

DIDIER N., TROCHE J-P., 2001, Les cahiers de l’aménagement urbain. Eléments pour une meilleure gestion des déplacements dans les opérations d’aménagement. Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie, 133 pages.

110.

DIDIER N., TROCHE J-P., 2001, Les cahiers de l’aménagement urbain. Eléments pour une meilleure gestion des déplacements dans les opérations d’aménagement. Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie, 133 pages.