1.1. Les préalables à la définition et à l’évaluation de qualité de vie

L’analyse discursive qui a procédé par regroupement sémantique et thématique des trente-quatre entretiens professionnels permet de mettre en évidence la prudence qui caractérise le maniement et l’usage de cette notion de « qualité de vie ». Les acteurs professionnels évoquent en effet les difficultés et les limites de notre objet de recherche. S’interroger sur la notion même de qualité de vie et l’exercice de sa mesure suscite instinctivement des nuances, des précautions d’usage, des limites d’appréciation. Les acteurs interrogés sont unanimes : la qualité de vie est une quête partiellement appréhendable et difficilement définissable. Ils expriment clairement que la qualité de vie ne peut être normée. Elle se réfère à un système complexe d’éléments qui interagissent sur le quotidien des individus. Pour les interviewés, la qualité de vie est perçue comme une « notion individuelle », « subjective » et « relative ». Elle évolue selon le contexte, la culture, les périodes et bien évidement selon les individus eux-mêmes. Elle se réfère ainsi à des exigences qui peuvent être fonction de la structure familiale, des activités professionnelles, des modes de vie ou des choix résidentiels.

De plus, la mesure de la qualité de vie est jugée pertinente uniquement si elle s’appuie sur l’utilisation de critères composites mis en relation les uns avec les autres, étant bien entendu que tout n’est ni appréhendable, ni quantifiable. Comme l’explique Y. Grafmeyer, « il n’y a pas de critère universel, il faut absolument procéder par croisement de données de contexte et de données individuelles comme l’âge, les catégories socioprofessionnelles ou la formation » 111 .

Cependant, les acteurs interrogés ne se limitent pas au constat de l’évolution et de la contingence des perceptions qui structurent la qualité de vie. Pour les acteurs interrogés, l’intérêt pour la qualité de vie ne doit pas s’arrêter à ce constat générique de « notion floue » et difficilement appréhendable. Compte tenu de l’importance subjectivement allouée à cette notion, il semble nécessaire de dépasser ce premier ressentiment pour tendre au contraire vers une formalisation plus constructive et efficace de la qualité de vie. Il est clairement exprimé que malgré la variabilité de la notion et sa composante subjective, la qualité de vie semble dépendre de « paramètres fondamentaux » qui peuvent en constituer le « noyau dur ». L’enjeu essentiel de la compréhension de la qualité de vie semble alors résider dans l’identification de ce « minimum qualitatif », de ces éléments essentiels qui participent au bien-être de chacun. Les fondements de la qualité de vie semblent donc pouvoir être identifiés à travers les conditions nécessaires à une vie quotidienne de qualité. Bien que délicate, la détermination de ses « besoins existentiels » s’inscrit dans des univers de référence unanimement décrits par les acteurs professionnels interviewés.

Dans le discours des professionnels interrogés, la qualité de vie quotidienne dépend ainsi de la « fonctionnalité du territoire ». Il convient pour l’évaluer de savoir si les commodités nécessaires à la vie quotidienne comme les commerces, les services de proximité, les espaces verts, les équipements de la petite enfance, sont disponibles pour tout un chacun.

La qualité de l’environnement s’impose ensuite comme un élément déterminant pour la qualité de vie quotidienne. Les acteurs s’expriment sur ce qui nuit ou agresse et qui participe à la non qualité des cadres de vie comme le bruit, la pollution et la saleté.

Le thème des déplacements est récurrent dans les discours. La qualité de vie permet d’évoquer les dysfonctionnements générés par la circulation automobile et les difficultés de stationnement. Ces phénomènes sont largement cités comme nuisibles à la qualité de vie en portant atteinte à l’environnement (bruit, pollution atmosphérique, stationnements sauvages perturbant les cheminements piétonniers…). En réponse à ces facteurs réduisant la qualité de vie, les acteurs interrogés évoquent massivement la nécessité d’une desserte en transports en commun à la fois performante et adaptée à la demande des usagers. La sécurité du piéton apparaît également comme un critère déterminant pour la qualité de vie quotidienne.

La qualité du logement, à travers son confort, la mixité de production (répartition du logement social au sein du parc privé de logements), la qualité et l’entretien de la construction s’imposent de plus comme des nécessités pour la qualité de vie quotidienne. L’analyse discursive permet de placer la sécurité au rang des fondamentaux de la qualité de vie. Cette notion ne fait pas référence à la mise en danger de la vie des individus, ni au risque technologique ou industriel, elle renvoie davantage à « la sécurité au quotidien » en lien avec l’incivilité, les agressions verbales ou physiques, les dégradations, le vandalisme, la petite délinquance… Les professionnels font donc largement référence à la notion de tranquillité et au « sentiment d’insécurité » qui semble polariser les préoccupations.

Pour les professionnels, les caractéristiques sociales et sociétales sont des critères qui permettent d’appréhender la qualité de vie. Avant de considérer la qualité de vie « collective », il est préalablement nécessaire que chaque individu puisse satisfaire ses besoins fondamentaux en termes d’emploi et de revenu. Il apparaît donc difficile de caractériser le lien qu’entretiennent l’homme et son environnement sans considérer les contextes individuels. La convivialité et la qualité des relations sociales sont enfin évoquées comme des critères de qualité de vie quotidienne. L’analyse discursive a ainsi permis d’identifier les domaines de référence autour desquels la qualité de vie semble se structurer.

Notes
111.

Y. GRAFMEYER Yves, 1994, Sociologie urbaine. Paris, Nathan Université, 127 pages.