2.2. Equipements publics : des préoccupations partagées

Comme nous l’avons précédemment évoqué, les équipements publics entretiennent avec la notion de qualité de vie quotidienne une relation antinomique qui transcrit des perceptions contradictoires. Les acteurs professionnels comme les habitants de Montchat-Chambovet proposent une vision intermédiaire quant au poids des équipements publics dans l’appréciation de la qualité de vie quotidienne. Les habitants des quartiers du Centre Croix-Rousse et du Plateau de la Duchère ont au contraire des représentations inverses et opposées quant à leur rôle. En complément de l’analyse menée sur la présence des établissements scolaires, nous proposons d’expliciter les représentations spécifiques des autres types d’équipements publics.

Comme le montre le graphique III.42., les acteurs professionnels et les habitants de Montchat-Chambovet partagent leur vision à l’égard des équipements culturels et sportifs.

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Comme le montre le graphique ci-dessus, 76% des habitants de Montchat-Chambovet et 73% des acteurs professionnels considèrent que la présence d’équipements culturels conditionne la qualité de vie quotidienne (cumul des réponses « très important » et « important »). Le regard porté sur les équipements sportifs est comparable.

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

En effet, 73% des acteurs professionnels et 67% des habitants de Montchat-Chambovet allouent à la présence des équipements sportifs une importance considérable pour la qualité du quotidien. Les acteurs professionnels et les habitants de Montchat-Chambovet utilisent ainsi la présence de ces équipements spécifiques pour construire leur perception de la qualité de vie quotidienne. Ils se dissocient alors du reste de l’échantillon pour qui les activités culturelles et sportives ne s’accompagnent pas d’une exigence de proximité au logement mais peuvent, au contraire, s’inscrire dans un éloignement consenti. Les individus interrogés acceptent ainsi de se déplacer pour leurs pratiques culturelles ou sportives sans que cette distance soit perçue comme une altération ou une dégradation de leur qualité de vie quotidienne.

Les acteurs professionnels font également état d’une perception spécifique à l’égard des établissements en lien avec la petite enfance. Comme le montre le graphique III. 44., les professionnels assimilent les crèches et les haltes-garderies à leur système perceptuel. Ces équipements spécifiques sont intégrés à des pratiques quotidiennes et leur proximité semble participer à la qualité du quotidien.

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Nous constatons la quasi-unanimité des réponses : 55% des acteurs professionnels jugent la présence des équipements de la petite enfance comme très importante pour la qualité de vie quotidienne et 39% la considèrent importante (pour un cumul d’importance de 94%). Il est surprenant de constater qu’à l’exception des habitants du quartier du Plateau de la Duchère, la perception de l’implication des équipements de la petite enfance jugée décisive pour la qualité du quotidien par les professionnels, n’est pas partagée par les habitants eux-mêmes. Les acteurs professionnels se montrent ainsi plus sensibilisés et préoccupés par cette problématique de la petite enfance que peuvent l’être les habitants.

Les habitants de Montchat-Chambovet font également état de leur spécificité perceptuelle qui se porte davantage sur les équipements liés à la santé comme les hôpitaux et les cliniques.

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Ils sont en effet 88% à associer la présence d’équipements de santé à la qualité de vie quotidienne. 30% des habitants leur attribuent ainsi une très grande importance et 58% d’entre eux une importance plus relative. Cette perception spécifique qui lie ces établissements à la notion de qualité de vie quotidienne est à rapprocher des profils sociodémographiques du quartier qui concentrent une population d’âge mûr plus soucieuse de son état de santé ou plus en lien avec des pratiques de surveillance médicale.

Les représentations des habitants de Centre Croix-Rousse à l’égard des équipements publics s’inscrivent dans une profonde spécificité. Au regard des réponses données par les habitants interrogés, la qualité de vie quotidienne ne semble pas directement dépendre de la présence de structures publiques. Quelque soit le type d’équipement, les interviewés ne sont qu’entre 4% et 18% à leurs attribuer une grande importance et entre 17% et 43% à les juger importants. Malgré le poids relatif accordé à la présence d’équipements publics et la non systématicité de leur incidence sur l’appréciation de la qualité de vie quotidienne, le graphique III.46. illustre quelques particularités.

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Il apparaît ainsi que la présence des administrations (cumul d’importance à 59%), des équipements culturels (cumul d’importance à 56%), des équipements liés à la santé (cumul d’importance à 54%), des écoles primaires (cumul d’importance à 49%), des collèges et des lycées (cumul d’importance à 54%) participe davantage à la qualité du quotidien que les autres types d’équipements comme les équipements sportifs, les équipements sociaux, les structures de la petite enfance. Sans être discriminantes dans le détail, ces informations permettent néanmoins de préciser une perception spécifique de la qualité de vie dans laquelle les équipements publics ne s’imposent pas comme des éléments fondamentalement discriminants pour l’évaluation de celle-ci.

À l’inverse de cette perception qui ne parvient pas à établir un lien fort et direct entre les équipements publics et la qualité du quotidien, les habitants du Plateau de la Duchère les considèrent dans leur grande majorité comme des éléments particulièrement contributifs de la qualité de vie quotidienne.

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Comme le montre le graphique III.47., quelque soit le type d’équipements publics évoqués, l’ensemble des interviewés leurs alloue une imposante importance cumulée (cumul des réponses « très important » et « important ») qui varie entre 70% et 92%. Le minimum de cette fourchette est attribué à la présence des équipements sportifs alors que la présence des écoles maternelles et primaires se place au niveau record puisque 92% des habitants les jugent très importantes ou importantes. À cet égard, il convient de noter l’ampleur globale attribuée au degré d’importance des équipements publics. Cinq équipements publics s’imposent ainsi par leurs poids considérables : entre la moitié et un gros tiers des répondants considèrent que les administrations (pour 50% d’entre eux), les écoles maternelles et primaires (pour 48%), les collèges et lycées (pour 41%), les équipements de la petite enfance (pour 39%) et les équipements de la santé (pour 37%) ont une très grande importance pour la qualité du quotidien.

Les caractéristiques du quartier du Plateau de la Duchère peuvent expliquer la perception des habitants interrogés. Ce quartier se situe en effet dans une zone de redynamisation urbaine. Depuis 2000, ce quartier fait partie des quatre Grands Projets de Ville de l’agglomération lyonnaise. La municipalité est donc très impliquée dans le développement du quartier par le biais de dispositifs et d’investissements particuliers. Aujourd’hui ce quartier est pris en compte par la politique de la ville et bénéficie ainsi de la politique de Développement Social Urbain (DSU). Cette procédure, utilisée pour les quartiers repérés en grandes difficultés, permet d’agir sur la réhabilitation et l’amélioration de l’animation. Dans un cadre contractuel, ce dispositif permet de mutualiser les moyens d’intervention à la fois humains et financiers. Cette procédure coordonne également les actions locales par le biais d’un partenariat institutionnel permettant de renforcer l’urbanité du quartier, d’améliorer le cadre de vie et de conforter le lien social. L’ensemble de ces différentes actions implique une forte intervention de la ville et de l’état, notamment en matière d’équipement. Cette spécificité doit être connue lors de l’analyse critériologique dans la mesure où elle peut contribuer à structurer et à façonner les représentations des habitants de ce quartier.

Globalement, les résultats d’enquête sont dans l’incapacité de démontrer une convergence des regards portés sur les différents équipements publics. Au contraire, ils font état d’une profonde divergence quant à la participation des équipements publics au maintien et à l’amélioration de la qualité de vie quotidienne. Tour à tour totalement dissociés de la qualité du quotidien ou entièrement impliqués dans l’agrément des cadres de vie, les équipements publics demeurent des éléments difficilement intégrables aux processus d’évaluation de la qualité de vie quotidienne. À l’exception des équipements scolaires, aucune discrimination n’a pu être esquissée.

Pour certains, ces équipements correspondent à une exigence incontournable et sont assimilés aux conditions nécessaires à la qualité de vie quotidienne. À l’inverse, pour d’autres, les équipements publics s’inscrivent dans une logique communale voire même d’agglomération. Les équipements publics semblent correspondre à des logiques de réflexion et de représentation territoriales étrangères aux préoccupations de la qualité de vie qui nous importent aujourd’hui. La problématique qui nous occupe est étroitement liée aux notions de proximité, de quotidienneté, de pratiques, d’usages ordinaires et s’éloigne par conséquent des échelles de polarisation et de rayonnement plus vastes dans lesquelles s’inscrivent les équipements publics. De ce point de vue, il semble compréhensible que la présence d’équipements culturels, sportifs ou même les établissements hospitaliers ne soient pas massivement assimilés à la problématique quotidienne de la qualité de vie. Ces équipements apparaissent par ailleurs davantage assimilés à des nuisances qu’à des potentialités (problèmes de fréquentation, nuisances sonores, difficultés de stationnement, insécurité, …).

L’absence de consensus qui caractérise la présence des établissements liés à la petite enfance apparaît au contraire plus difficilement explicable. Certains interviewés, comme les acteurs professionnels et les habitants du Plateau de la Duchère installent leurs représentations dans cette perspective d’usage quotidien et de logique de proximité en considérant ces équipements comme des priorités pour la qualité de vie quotidienne, alors que les habitants des deux autres quartiers d’étude ne partagent pas cette opinion.

Sans analyse complémentaire, il semble hasardeux de pouvoir expliquer cette divergence perceptuelle. Il semble néanmoins possible d’avancer quelques paramètres éclairants. Les acteurs professionnels restituent d’une part les teneurs d’un discours consensuel et ratifié par l’action politique municipale qui identifie les infrastructures liées à la petite enfance comme des priorités du développement qualitatif de la commune de Lyon. Les acteurs professionnels intègrent ainsi totalement ces orientations à leur système de représentation et retranscrivent les préoccupations qualitatives ambiantes. Le quartier du Plateau de la Duchère est d’autre part concerné par un taux de jeunes enfants plus important que le reste du territoire lyonnais. Cette surreprésentation de jeunes enfants permet, en partie, de comprendre l’intérêt porté à la présence des crèches et haltes-garderies. Si cette préoccupation n’est pas partagée ou consensuellement perçue comme une priorité pour la qualité de vie quotidienne alors même que les pouvoirs politiques locaux l’ont identifié comme telle dans leur plan d’action, il peut s’agir d’une réaction conjoncturelle. Compte tenu à la fois de la faiblesse de la temporalité de la prise en charge de ces structures (accueil permanent ou occasionnel des enfants âgés de 0 à 3 ans) et de la difficulté réelle ou subjective à obtenir une place dans ces établissements, il est possible que les répondants aient inconsciemment minimisé le rôle des crèches et des haltes-garderies dans les processus d’évaluation de la qualité de vie quotidienne.