2.6. Sécurité et stigmatisation sociétale

Compte tenu de l’analyse transversale à la fois des résultats de l’approche qualitative par entretien auprès des professionnels et des résultats d’enquête quantitative par questionnaire, le thème de la sécurité semble fédérateur mais marque une nuance fondamentale dans l’ordonnancement des priorités pour la qualité de vie quotidienne. Perçue nécessaire à la qualité du quotidien, la sécurité s’impose unanimement comme un critère de qualité de vie. Les interviewés ne lui attribuent cependant pas, dans leur représentation, une valeur identique. Lors du classement par ordre d’importance des thèmes jugés essentiels au maintien et à l’amélioration de la qualité de vie quotidienne, les habitants interrogés accordent à la sécurité une place de choix au premier rang d’importance. Pour la grande majorité des habitants des trois quartiers d’étude, la sécurité s’impose comme une priorité dont dépend la qualité de vie quotidienne. Cette opinion est partagée par 82% des habitants de Centre Croix-Rousse, 77% des interrogés du Plateau de la Duchère et 66% des résidants de Montchat-Chambovet (contre 58% des acteurs professionnels). L’analyse des rangs d’importance vient confirmer cette tendance. Ils sont entre un tiers et une petite moitié des habitants à placer la sécurité au premier rang d’importance alors qu’elle s’impose davantage comme une priorité de second rang pour les acteurs professionnels.

L’analyse des questions ouvertes qui offrent une plus grande liberté d’expression permet de confirmer cette tendance. Qu’il s’agisse de définir la qualité de vie quotidienne, d’identifier les éléments qui peuvent lui nuire ou d’exprimer des besoins et des exigences pour vivre agréablement, la sécurité est largement stigmatisée par les perceptions citadines.

L’analyse discursive des entretiens menés auprès des professionnels démontre qu’ils ne nient pas les incidences néfastes de l’insécurité sur la qualité de vie, ni ne minimisent la portée du sentiment d’insécurité. Dans leur perception, la sécurité structure la qualité de vie quotidienne mais elle ne s’impose pas comme « la » priorité, ni comme la condition sine qua none à la qualité de vie au quotidien. Elle semble davantage s’intégrer à un corpus de critères sans garantir à elle seule la qualité de vie.

Il convient alors d’être prudent quant à la place qu’occupe la sécurité dans le système des perceptions sociales et de ne pas perdre de vue que le thème de la sécurité dépasse considérablement l’appréciation de la qualité de vie pour s’imposer comme une véritable « revendication sociétale » enracinée dans l’ensemble des discours et des préoccupations actuelles.

Il semble également nécessaire de replacer l’ensemble de ces résultats dans leur contexte conjoncturel. L’enquête par questionnaire s’est ainsi déroulée entre les mois de décembre 2001 et d’avril 2002. La durée de cette enquête s’inscrit dans une temporalité particulière précédant les dernières élections présidentielles. Cette période préélectorale semble symptomatique d’une dérive sécuritaire stigmatisant l’ensemble des discours politiques et envahissant à la fois l’information, les débats et la communication auprès du grand public. Ce marquage ambiant et cette cristallisation discursive presque exclusive n’ont pas été sans conséquence sur l’opinion public. Il n’est donc pas à exclure que cette empreinte sécuritaire ne se soit glissée, de manière circonstancielle, au cœur des perceptions et des systèmes d’appréciation des habitants au point de les infléchir à la marge.