2.7. Transports urbains : cristallisation d’une véritable divergence perceptuelle

La véritable distorsion perceptuelle de la qualité de vie quotidienne se cristallise autour du thème du transport. Les acteurs professionnels considèrent la circulation automobile et les problèmes de stationnement comme des nuisances à la qualité du quotidien. Ces éléments sont perçus comme des dysfonctionnements préjudiciables en termes de santé publique, de qualité de déplacement, de qualité environnementale, de gestion urbaine. Dans les représentations professionnelles, ces désagréments peuvent trouver une solution durable grâce à un changement modal. L’évolution des habitudes de déplacement corrélée à une politique de transport en commun efficiente et concurrentielle, doit permettre d’améliorer le quotidien de chacun. La qualité de vie quotidienne semble donc être mise en péril par l’augmentation de la circulation automobile ainsi que par l’ensemble des nuisances qu’elle génère (problèmes de stationnement, pollution, bruit, encombrements, stress, dangerosité des déplacements piétonniers, …). La qualité de vie ne peut être reconquise qu’à travers la mise à disposition d’un réseau de transport en commun performant, fiable et adapté aux besoins du plus grand nombre. C’est pourquoi, comme le montre le graphique III.54. les professionnels évoquent l’importance du réseau de transport en commun dans sa diversité modale.

Graphique III.54. Précisez le degré d’importance de la proximité des stations de tramway pour la qualité de vie quotidienne :
Graphique III.54. Précisez le degré d’importance de la proximité des stations de tramway pour la qualité de vie quotidienne :

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Les analyses précédentes concernant les transports et la localisation ont permis d’identifier la proximité des stations de métro et des arrêts de bus comme des critères fondamentaux pour la qualité du quotidien. Le regard professionnel porté sur les transports en commun est plus étendu et concerne l’ensemble des modes de transport lyonnais. Ils sont ainsi 82% à considérer que la proximité des stations de tramway participe à la qualité de vie quotidienne. Cette opinion n’est cependant pas partagée par les habitants des trois quartiers d’étude puisque un peu plus de la moitié des interviewés des quartiers de Montchat-Chambovet et de Centre Croix-Rousse ainsi que seulement 30% des habitants du Plateau de la Duchère attribuent de l’importance à cette proximité. À ce clivage perceptuel entre professionnels et habitants, s’ajoutent des disparités d’opinion entre les individus interrogés. Bien que les interviewés résident tous au sein de quartiers non connectés au réseau du tramway, ils portent un regard dissemblable sur l’importance du réseau de tramway : 57% des habitants de Montchat-Chambovet, 56% des résidants de Centre Croix-Rousse et seulement 30% des répondants du Plateau de la Duchère considèrent que la proximité des stations de tramway puisse participer à la qualité du quotidien. Il convient de plus de préciser que l’enquête intervient après une mise en service récente du tramway lyonnais. Celui-ci n’a donc pas forcement eu le temps d’imprégner les habitudes de déplacement des habitants. La vision des professionnels est quant à elle plus prospective. Ils considèrent que malgré son caractère récent, l’usage du tramway va contribuer au façonnement de nouvelles pratiques qui vont améliorer la qualité de vie quotidienne des lyonnais.

Pour les acteurs professionnels, la manière d’appréhender les problèmes de transports urbains reste cohérente et s’inscrit dans le respect de l’équilibre des différents modes de déplacement. Leur perception demeure en adéquation avec les préoccupations environnementales qu’ils énoncent comme la réduction de la pollution atmosphérique et la limitation du bruit lié à la circulation automobile. Ils confirment que la qualité de vie quotidienne dépend de la valorisation de l’intérêt général parfois au détriment de l’intérêt individuel. Les besoins et les exigences des habitants opèrent une rupture par rapport à ce discours professionnel à la fois cohérent, idéologique et consensuel en s’inscrivant en plein paradoxe.

Les habitants interrogés évoquent ainsi les dysfonctionnements inhérents à la circulation automobile et aux difficultés de stationnement sans pour autant remettre en cause leurs pratiques individuelles. Dans les perceptions citadines, la résolution de ces problèmes de transport ne dépend pas d’une évolution des modes de déplacement mais réside en partie dans l’adaptation de la ville aux besoins de l’automobile. L’analyse des résultats d’enquête démontre une profonde contradiction résidant dans l’absence de choix réel. Pour leur qualité de vie quotidienne, les habitants interrogés accordent une large importance à la proximité du réseau de transports en commun sans pour autant vouloir renoncer au déplacement individuel que permet l’automobile. Pour les habitants interrogés, la qualité du quotidien semble ainsi dépendre à la fois de la fluidité de la circulation automobile, de la réduction des embouteillages, de la disponibilité des places de parking, de la gratuité du stationnement tout en bénéficiant de la proximité des réseaux de transports en commun et de l’existence des structures qui facilitent et sécurisent les déplacements en vélo.

Comme le montre le graphique III.55., les places de stationnement sur voirie n’ont pas, pour les uns et les autres, le même degré d’importance pour la qualité de vie quotidienne.

Graphique III.55. Précisez le degré d’importance du nombre de places de stationnement sur voirie pour la qualité de vie quotidienne :
Graphique III.55. Précisez le degré d’importance du nombre de places de stationnement sur voirie pour la qualité de vie quotidienne :

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

58% des acteurs professionnels allouent une importance à la quantité de places de stationnement alors que 78% des habitants du Plateau de la Duchère, 76% des interrogés de Montchat-Chambovet et 74% des résidants de Centre Croix-Rousse la jugent indispensable pour la qualité de vie au quotidien. Au delà de cette différence perceptuelle générale, il convient de noter que seul 12% des acteurs professionnels considèrent le nombre de places de stationnement comme très importante pour la qualité de vie quotidienne (contre 26% des habitants de Montchat-Chambovet, 28% du Plateau de la Duchère et 47% de Centre Croix-Rousse) alors qu’ils sont 33% à les juger peu importantes.

Une disparité encore plus marquée caractérise l’importance de la gratuité du stationnement. Habitants et professionnels s’installent ainsi dans des perceptions divergentes dans leur implication pour la qualité de vie au quotidien.

Graphique III.56. Précisez le degré d’importance de la gratuité du stationnement pour la qualité de vie quotidienne :
Graphique III.56. Précisez le degré d’importance de la gratuité du stationnement pour la qualité de vie quotidienne :

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Le graphique ci-dessus illustre une profonde divergence perceptuelle. 85% des habitants du Plateau de la Duchère, 84% des résidants de Montchat-Chambovet et 73% des interviewés de Centre Croix-Rousse accordent une importance considérable à la gratuité des places de stationnement alors que seulement 27% des acteurs professionnels établissent un lien entre cette gratuité et la qualité de vie quotidienne. Ils ne sont plus que 12% à la considérer très importante alors que près de la moitié des habitants interrogés perçoivent cette gratuité comme très importante (58% pour Centre Croix-Rousse, 48% pour le Plateau de la Duchère et 41% pour Montchat-Chambovet).

L’importance de la présence des pistes ou bandes cyclable pour la qualité de vie ne fédère pas l’opinion des interrogés. Comme le montre le graphique III.57., bien que les perceptions des habitants et des professionnels soient moins opposées, les résultats présentent néanmoins des dissemblances caractéristiques.

Graphique III.57. Précisez le degré d’importance de la présence de pistes ou bandes cyclables pour la qualité de vie quotidienne :
Graphique III.57. Précisez le degré d’importance de la présence de pistes ou bandes cyclables pour la qualité de vie quotidienne :

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2004.

Il apparaît ainsi que 85% des habitants du Plateau de la Duchère, 72% des interrogés de Montchat-Chambovet et 60% des résidants de Centre Croix-Rousse considèrent que la présence de pistes ou bandes cyclables participent à l’agrément du quotidien. L’importance des infrastructures de déplacements en vélo ne semble pas pour autant unanime dans la mesure où seulement la moitié des acteurs professionnels partage cette perception.

Au regard de l’ensemble de ces résultats d’enquête, le transport et les modes de déplacement s’imposent comme un point culminant de la divergence perceptuelle de la qualité de vie quotidienne. Les acteurs professionnels s’inscrivent dans une chaîne cohérente de représentations s’appuyant à la fois sur la régulation voire la limitation des déplacements routiers, sur le développement des transports en commun tant en fréquences qu’en qualité de desserte, le tout s’inscrivant dans le respect des préoccupations environnementales axées sur la réduction du bruit et de la pollution liés à la circulation automobile. L’ensemble des perceptions forme ainsi un corpus rationnel relevant, il est vrai, davantage du discours d’intention que de l’action.

À l’inverse, les habitants s’inscrivent dans l’incohérence et le paradoxe. Leurs revendications sont à la fois diverses et contradictoires. Les habitants interrogés axent ainsi leur qualité de vie quotidienne sur des exigences multimodales prenant en compte le déplacement individuel que permet l’automobile et les besoins qui lui sont corrélés (fluidité du trafic, nombre de places de parking, gratuité du stationnement). À cela s’ajoute le nécessaire besoin de l’accès au transport collectif et une sensibilité particulière au déplacement en vélo. Cette contradiction devient d’autant plus criante lorsque l’analyse perceptuelle des priorités environnementales montre que les habitants sont particulièrement sensibles à la réduction de la pollution atmosphérique et des nuisances sonores liées à la circulation automobile. La réelle incompatibilité des attentes et des besoins des habitants en termes de transport résume la contradiction entre les discours et les pratiques individuelles qui dénotent une profonde absence de choix logique et raisonné. Comme le résumait fort justement un maire d’arrondissement, « les gens veulent tout et leur contraire ». Cette divergence de perception n’est pas sans conséquence sur l’évaluation de la qualité de vie quotidienne.

Globalement, ces spécificités mettent en relief les représentations singulières des acteurs professionnels issues d’affinités, de connaissances et d’activités particulières. Elles permettent également de constater une différence significative de perception entre les professionnels et les habitants en ce qui concerne certains éléments de l’ambiance de vie, la sécurité et surtout le transport. Cette analyse permet enfin de mettre en lumière des rapprochements perceptuels entre les professionnels et les habitants de certains quartiers comme Montchat-Chambovet sur le thème des équipements publics ou Centre Croix-Rousse pour les espaces publics et l’ambiance de vie.

Il convient à présent de dépasser cette connaissance fine des représentations de la qualité de vie quotidienne pour tendre vers la construction des critères de son évaluation. L’objet de ce troisième chapitre est donc d’expliquer et de légitimer la transformation de l’information perceptuelle en outils de mesure de la qualité de vie quotidienne. L’élaboration de ces critères d’évaluation ne peut se faire sans développer les orientations préalables au diagnostic, les arbitrages effectués et les renonciations nécessaires. Ce dernier chapitre se propose ensuite de replacer les résultats critériologiques dans une logique plus vaste d’évaluation de la qualité de vie et de discuter de la reproductibilité et des limites de la démarche.