2.8. La sécurité : paradoxe d’une priorité fondamentale et d’une pénurie ou d’une inadaptation de l’information quantitative

La sécurité a été subjectivement imposée comme une priorité pour la qualité de vie quotidienne. La traduction quantitative de ce thème essentiel n’est pas une tâche facile. La première question à laquelle nous avons du trouver une réponse a été : « de quoi parlons-nous ? ». Cette préoccupation peut sembler désuète mais elle n’en reste pas moins fort sensée. Comme nous l’avons précédemment évoqué, lorsque les professionnels et les habitants s’expriment sur la notion de sécurité, ils parlent de quiétude et sérénité. Au travers des représentations subjectives, la sécurité s’apparente à la possibilité de se sentir à l’abri de l’incivisme, du manque de respect, du vandalisme, des dégradations ou des agressions verbales,… Les discours n’évoquent pas la peur du vol, du cambriolage ou de l’agression physique, ils se construisent davantage sur le sentiment de sécurité ou l’exigence de tranquillité. Cette appréciation reste confinée dans les sphères de la représentation personnelle, de la perception intime et de l’appréciation subjective du monde qui nous entoure. Le sentiment de sécurité ou à son inverse le sentiment d’insécurité ne peut être intégré à une démarche de diagnostic objectif de la qualité de vie. La considération de la sécurité ne peut s’effectuer qu’au travers de critères mesurables.

Cette exigence sous-entend de considérer non plus la sécurité mais l’insécurité et nécessite de faire l’impasse sur le ressenti, l’ambiance, l’appréciation au profit de l’infraction, de l’incident constatés ou déclarés, des faits, des troubles recensés par les autorités compétentes. Ceci semble paradoxal lorsque l’on sait qu’une minorité des gênes, des dégradations ou des altercations qui nuisent à la qualité de vie ne font pas l’objet d’un dépôt de plainte. Nous touchons ici les limites de l’exercice d’évaluation de la qualité de vie quotidienne. Seulement, cette problématique de la sécurité a été jugée si fondamentale pour l’objet qui nous occupe que nous n’avons pu nous résigner à l’abandon de ce thème. Nous avons ainsi fait le choix de consentir à l’adaptation quantitative de la connaissance en acceptant le décalage entre ce qui a été jugé nécessaire pour la qualité du quotidien et ce qui va finalement être mesuré. Cette orientation peut trouver sa légitimité dans le fait que la réalité de l’insécurité mesurée par des faits réels ne peut que venir nourrir le sentiment d’insécurité. Le diagnostic de la qualité de vie se propose ainsi d’utiliser les plaintes recueillies par les services de police qui centralisent l’ensemble des faits constatés. Bien que ces éléments ne puissent à eux seuls représenter la réalité de l’activité criminelle et délictueuse, le lieu de commission des délits est l’unique source de donnée dont nous disposons.

Mais là encore, les difficultés se sont montrées sévères. Pour mener à bien l’évaluation de la qualité de vie, nous devons disposer de la localisation à l’adresse des actes de délinquance. L’exigence de disposer d’une donnée brute, précise, non agrégée a alors été mise à mal par la non compatibilité des sources d’information. La sécurité est à la fois gérée par les services de la Police Municipale et de la Police Nationale. Ces deux structures n’ont pas les mêmes compétences, les mêmes modes de recensement des plaintes et les mêmes principes de gestion de l’information. Les outils de collecte et de localisation des faits ne sont pas identiques. Cette incompatibilité des systèmes de mesure de l’insécurité a contraint à la renonciation d’une part importante de l’information. Les fichiers des services de la Police Nationale, après avoir été inaccessibles, se sont montrés inadaptés aux contraintes du diagnostic d’évaluation. L’information nous a d’abord été proposée à l’échelle des îlots policiers, chacun d’entre eux présentant une densité de faits (vols à la roulotte, vols avec violences, vols à la tire, vols de véhicules, cambriolages, vols à main armée, incendies et dégradations, violences volontaires). La ville de Lyon compte cinquante-sept îlots de la Police Nationale. Bien qu’en lien avec la densité des résidants, certains îlots sont particulièrement étendus. L’agrégation de l’information n’a donc pas été jugée satisfaisante. L’enjeu a alors été de disposer des fichiers détenant les données « primaires » directement recueillies par les services nationaux. Compte tenu de la pression conjoncturelle qui pesait à l’époque sur la problématique de la sécurité et l’exigence de Matignon de disposer à la fois de données précises et de cartographies des niveaux de sécurité des villes françaises, l’accord nous a été donné de visualiser les bases de données de la Police Nationale. Seulement les outils de collecte et de localisation des faits se sont avérés inadaptés à une localisation à l’adresse de l’information. C’est pourquoi nous avons du nous contenter des données issues des services de la Police Municipale même si ceux-ci ne représentent environ que 20% des faits constatés.

Nous avons tout de même pris le parti de proposer cette analyse sur l’insécurité. Certes, celle-ci demeure inadéquate, lacunaire, voire même dangereuse compte tenu de la sensibilité du sujet traité. Ce choix ne doit être lu comme de l’entêtement ou un vain acharnement. Il s’agit simplement de démonter que les préoccupations concernant la sécurité publique du plus grand nombre peuvent servir à la mesure de la qualité du quotidien. Plus qu’une présentation des résultats, cette démarche monte qu’en disposant de données adaptées, consolidées, le thème de la sécurité qui fait état d’un intérêt particulier dans l’opinion public et dans les préoccupations politiques, pourrait trouver toute sa place au sein du diagnostic d’évaluation de la qualité de vie quotidienne.