3.1. Une révolution critériologique ?

Compte tenu de notre problématique initiale de qualité de vie quotidienne en milieu urbain dense, l’ensemble des critères subjectivement identifiés pour l’évaluation n’impose pas son originalité. Les critères de mesure évoqués ne sont pas d’une étonnante nouveauté. Les résultats critériologiques décrits ne sont certes pas, par ailleurs, utilisés dans leur intégralité. Il convient de noter cependant qu’une large part des indicateurs suggérés ici est déjà exploitée soit dans le cadre de recherches universitaires, soit dans le cadre d’observatoires ou de diagnostics urbains. Dans son approche quantitative et la recherche de sa mesure, la notion de qualité de vie s’articule autour de critères récurrents. Les scientifiques, les acteurs opérationnels, même les journalistes s’appuient, pour mesurer de qualité de vie, sur des variables comparables à celles que nous avons mis en lumière. La préoccupation pour les espaces verts, les équipements scolaires, les qualités de l’habitat, les potentialités commerciales, les transports en commun, la propreté, le bruit, la pollution, la sécurité, … ne constituent pas en soi une nouveauté. L’analyse fine des disparités de la qualité de la vie dans les villes françaises menée par C. TOBELEM-ZANIN 112 abordait déjà une majorité des thèmes évoqués aujourd’hui. Bien que la problématique soit différente puisqu’il est question dans ce cas de l’étude des disparités inter-urbaines des cadres de vie des villes de plus de 50 000 habitants, et bien que l’ensemble des critères mesurés soit plus étendu que le notre, les préoccupations critériologiques se recoupent. L’intérêt de notre recherche critériologique ne demeure donc pas dans la nature des critères proposés mais dans la légitimité de leur choix. Ce qui importe dans le fait de travailler sur la présence des espaces verts, par exemple, c’est surtout de savoir pourquoi, en cherchant à évaluer la qualité de vie quotidienne, nous mesurons ce phénomène.

En plus de répondre à cette question rarement posée de la validité des critères manipulés, cette analyse critériologique permet de comprendre pourquoi l’ensemble des données disponibles n’est pas nécessaire à l’exercice d’évaluation. La tentation est parfois grande de vouloir utiliser des informations pour la simple raison de leur existence. De plus, l’intuition, la connaissance a priori, le « dire d’expert » sont souvent tenaces au point de vouloir nous éclairer sur ce qui importe pour la qualité de vie. Ainsi, nous aurions pu être tentés d’intégrer au diagnostic des réflexions concernant les équipements de la petite enfance, culturels ou sportifs, et ceux liés à la santé, … Ces paramètres sont rarement exclus des études de qualité de vie. Seulement nous disposons à présent d’une analyse fine pouvant guider chacun de nos choix que seule la limite technique peut venir contrarier.

Ce procédé d’identification critériologique a d’ailleurs connu un accueil favorable aussi bien dans le monde universitaire que dans le domaine professionnel. Il s’avère effectivement qu’il recouvre des champs déjà connus et exploités et ne constitue en rien une révolution pour la mesure de la qualité de vie. Mais il permet surtout de guider de manière efficace les réflexions menées sur la qualité de vie quotidienne. Au-delà du choix souvent problématique des critères de mesure vient s’ajouter la grande difficulté de leur utilisation. Une question se pose alors : « Devons nous, pouvons nous décemment et intelligemment pondérer les critères de qualité de vie ? ». Celle-ci demeure une préoccupation fondamentale pour l’évaluation de cette notion. Les points de vue divergent et les méthodes proposées sont partagés. La hiérarchisation des critères est soit jugée, par principe, non efficiente, soit estimée comme techniquement peut fiable et légitime, soit au contraire elle s’impose comme un moyen efficace pour obtenir un classement de « niveau de qualité de vie ». La pondération des critères, telle qu’elle est utilisée dans la presse grand public, par exemple, permet ainsi de proposer une combinaison critériologique aboutissant à des classements généraux ou thématiques des villes.

Cependant le recours à la pondération des critères de qualité de vie reste souvent un choix d’analyste. Les modes de hiérarchisation et l’attribution du poids relatif à chacun des critères de mesure sont de plus étroitement liés au libre arbitre et à l’opinion de celui qui se propose de mesurer. L’utilisation de cette méthode est rarement légitimée en tant que procédé d’analyse et les modes d’attribution d’une valeur différente ne sont guère discutés. La méthode d’évaluation proposée opère une véritable rupture idéologique en s’interrogeant concrètement sur la réalité, la nécessité et la faisabilité des mécanismes de la hiérarchisation. Face à la diversité et à la multiplicité des critères jugés nécessaires à la mesure de la qualité de vie quotidienne, l’idée de pouvoir classer et hiérarchiser les critères entre eux est satisfaisante. Cette recherche de pondération participe grandement à la recherche d’une échelle unique de qualité de vie. À cette quête quelque peu illusoire, nous avons préféré une réelle confirmation de la hiérarchisation des critères.

Le regard croisé sur la notion de qualité de vie et les critères de sa mesure que permet cette enquête n’a pu confirmer la faisabilité d’une hiérarchie des critères d’évaluation. Les résultats d’enquête ont ainsi permis de classer l’ensemble de thèmes structurant la qualité de vie en thèmes majeurs, intermédiaires et secondaires. Ce classement thématique s’inscrit à un niveau global d’ordonnancement. Compte tenu des différenciations perceptuelles, celui-ci ne permet pas de hiérarchiser les thèmes d’un même niveau d’importance entre eux. Ce constat est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de vouloir ordonner les critères de mesure. Comme le prouve la partie précédemment développée, les résultats d’enquête sont dans l’incapacité de proposer une hiérarchisation des critères de qualité de vie. Les informations recueillies n’ont ainsi pas permis d’envisager une pondération légitime et vérifiable. Une exploitation supplémentaire axée sur le questionnement spécifique de la hiérarchisation des critères serait nécessaire pour tendre vers l’utilisation d’une pondération avérée. Riche de cet enseignement, le diagnostic urbain tel qu’il va être proposé n’utilisera aucune hiérarchisation et par conséquent n’aura pas recours à la pondération des paramètres mesurés. Il s’agit d’un éclairage structurant pour l’exercice de la mesure de qualité de vie puisque chacun des critères étudiés n’aura ni rang, ni poids. Fidèle à ces fondements, cette méthode ne prend en considération que les éléments confirmés par les représentations citadines et professionnelles, la hiérarchisation des critères de mesure de la qualité de vie, faute d’approfondissement, ne peut en faire partie.

Notes
112.

TOBELEM-ZANIN C., 1995, La qualité de vie dans les villes françaises. Rouen, Publication de l’Université de Rouen, N°208, 288 pages.