CHAPITRE X. L’image partielle de la sécurité des lyonnais

La violence et l’insécurité sont perçues aujourd’hui par les citoyens et les élus comme un problème de société grave. La sécurité est devenue un enjeu politique majeur. Dans son approche de la violence française, M. WIEVIORKA166 distingue deux formes de violence s’inscrivant dans deux temporalités distinctes. Depuis le début des années soixante, le crime et la délinquance connaissent une expansion presque continue. Les violences dites « urbaines » s’ébauchent quant à elles à partir de la fin des années soixante, pour devenir spectaculaires dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Alors que les premières formes de violence progressent en période de croissance, les secondes apparaissent dans une « période d’inquiétude culturelle et de difficultés économiques ».

S’interroger sur les phénomènes de délinquance, d’insécurité, de violence est périlleux car cela suppose de considérer tout à la fois des faits objectifs, observables, quantifiables et des représentations, des impressions, des opinions susceptibles de varier « d’un groupe à l’autre, d’un témoignage à l’autre, d’un discours à l’autre ». Cette question de la dualité d’un phénomène est classique. La violence et l’insécurité doivent pouvoir trouver une définition à travers des termes qui « transcendent les perspectives particulières » et leur confèrent ainsi une portée universelle. Cependant elles n’en restent pas moins le point de vue, nécessairement relatif, de celui qui subit ou décrit le phénomène en question. Comme l’explique M. WIEVIORKA516, « la violence n’est jamais réductible à l’image de la pure objectivité, tout simplement parce que ce qui est conçu ou perçu comme violent varie dans le temps et l’espace (…) mais la violence n’est pas pour autant réductible aux affects, aux représentations, aux normes qu’en propose tel ou tel groupe, ou même telle ou telle société ; car non seulement les critères (…) varient d’une expérience historique à l’autre, ou d’un groupe à un autre, mais en outre la perception de violences reconnues comme telles oscille constamment entre l’excès et le défaut, entre la tendance à la dramatisation et à l’amplification et la propension à la banalisation ou à l’indifférence ».

Appréhender ces phénomènes de délinquance et d’insécurité reste donc problématique et suppose de considérer tout à la fois les faits délictueux et le sentiment d’insécurité parfois éloigné des faits eux-mêmes. Seulement, cette approche reste difficile à mener pour des raisons évidentes de complexité des phénomènes étudiés, de disponibilité de l’information, de construction de données, de transversalité des connaissances mais aussi pour des raisons plus fortuites de communication, de médiatisation, de stigmatisation.

Sans entrer dans l’examen des causes ou des significations de la délinquance, ni des réponses qu’elle appelle (ces questions ne sont d’ailleurs pas les nôtres, nous avons néanmoins du opérer un choix « idéologique ». En effet, nous n’avons pu nous résoudre à abandonner le thème de la sécurité. Cet élément a été si fortement imposé par les perceptions citadines et professionnelles pour définir et évaluer la qualité de vie que son absence nous est apparue préjudiciable. Cependant, ce choix ne doit être interprété comme un entêtement stérile ou un vain acharnement. Il s’agit au contraire de porter un regard critique mais constructif sur notre propre démarche. Il ne s’agit pas ici de mener un véritable diagnostic de la sécurité de la ville mais au contraire de se servir des limites nombreuses de l’exercice pour sensibiliser sur la démarche et souligner la nécessité d’aborder cette thématique à travers des analyses transversales et polyformes. Plus qu’une évaluation, il s’agit de l’illustration d’un phénomène de société qu’il convient de mieux comprendre et cerner pour en réduire les dérives souvent abusives et réductrices.

Notes
166.

WIEVIORKA M., 1999, Violence en France. Paris, Presses Editions du Seuil, 344 pages.