3.2. Une vision erronée et fragmentaire de la sécurité du territoire lyonnais

La carte IV.44. de synthèse construite à partir de la localisation de l’ensemble des lieux de commission des délits recensés par la Police Municipale et enregistrés par les unités de voisinage de chaque bâtiment habité permet une approche plus qualitative de la sécurité. Cette représentation cartographique traduit le recensement de l’activité délictueuse en « niveau de sécurité ». La légende de la carte se structure ainsi autour de 5 classes :

Cette carte, comme l‘ensemble du jeu cartographique qui vient d’être présenté, doit être interprétéede manière prudente. Il s’agit d’illustrer les fondements de notre démarche d’évaluation de la sécurité au travers des données actuellement utilisables et disponibles et non pas de proposer une représentation aboutie et complète du phénomène.

Carte IV-44 : une vision erronée et fragmentaire de la sécurité
Carte IV-44 : une vision erronée et fragmentaire de la sécurité

Cette représentation, comme son titre l’indique, n’est qu’une vision erronée et fragmentaire de la sécurité. Sa réalisation a été uniquement maintenue pour démonter la faisabilité de l’exercice et l’impact d’une telle production si la possibilité nous avait été donnée de couvrir tous les champs sous-jacents à la sécurité.

Globalement, cette carte illustre deux phénomènes fondamentaux. Tout d’abord, elle relativise considérablement l’ampleur de « l’insécurité constatée » sur l’ensemble du territoire lyonnais. Il convient de toujours garder à l’esprit l’objet de nos propos : il s’agit uniquement des faits constatés et déclarés par les services de la Police Municipale, ce qui est très loin de relater la réalité de l’activité délictueuse avérée. Elle met de plus en lumière une réelle concentration géographique des méfaits.

Comme en témoigne le graphique ci-dessous, il est important de préciser que près de la moitié des bâtiments habités de la ville de Lyon bénéficie d’un « très bon niveau de sécurité ». Il s’agit principalement de l’ouest de la commune (très large partie du 5ème arrondissement et nord du 9ème arrondissement), de la partie occidentale du 1er mais surtout du 4ème arrondissement, du sud du 7ème arrondissement (en deçà des voies ferrées) et du large secteur est de la commune (derrière le boulevard urbain). Un tiers d’entre eux semble également échapper à l’activité criminelle et délictueuse et bénéficie par conséquent d’un « bon niveau de sécurité ». Sont alors concernés le centre de la Croix-Rousse et quelques bâtiments habités disséminés essentiellement en rive gauche. Au total, 80% des bâtiments habités de la commune peuvent être associés à des cadres de vie tranquilles et sécurisés.

Graphique IV.12. Importance des faits délictueux et des actes de délinquance : répartition des bâtiments habités
Graphique IV.12. Importance des faits délictueux et des actes de délinquance : répartition des bâtiments habités

De la même manière, cette cartographie témoigne de l’extrême disparité spatiale de l’activité délictueuse et des actes de délinquance. Les faits et les délits se localisent essentiellement en centre ville. 5% seulement des bâtiments habités de la ville affichent ainsi un « très faible niveau de sécurité ». Il s’agit principalement des zones piétonnes et emblématiques de l’hypercentre comme les abords de la rue Mercière et de la rue de la République, dans son prolongement le secteur de l’Hôtel de Ville et des pentes de la Croix-Rousse, les bâtiments entre la place Carnot et la rue Victor Hugo ainsi que le quartier Saint-Jean au-delà de la Saône. Ces territoires demeurent des lieux symboliques de dynamisme commercial, d’activité diurne, d’animation nocturne et sont par conséquent les territoires privilégiés de la délinquance.

Trois autres « foyers d’insécurité » sont à signaler. Il s’agit du large secteur de Vaise (9ème arrondissement), des bâtiments situés autour de la place Gabriel Péri et de la Grande rue de la Guillotière (3ème et 7ème arrondissements) ainsi que la zone au sud de la place Guichard, entre l’avenue du Maréchal de Saxe et la rue Duguesclin (3ème arrondissement). Ces territoires bien qu’ils correspondent davantage à des cœurs de quartier qu’à des polarités d’agglomération, sont néanmoins marqués par un « très faible niveau de sécurité ». À l’exception des bâtiments proches de la mairie du 6ème arrondissement qui s’individualisent particulièrement, les territoires connaissant un « faible niveau de sécurité » sont d’une part peu nombreux (6% des bâtiments habités de Lyon) et géographiquement contigus aux « points noirs d’insécurité » décrits précédemment. Le « niveau intermédiaire de sécurité » ne concerne enfin que 10% des bâtiments habités et vient de la même manière se greffer à ces « poches d’insécurité ». Ces territoires interstitiels font ainsi le lien entre ces larges secteurs habités où la sécurité semble garantie et ces bassins très localisés jugés plus criminogènes.

Cette cartographie de la sécurité révèle ainsi une profonde disparité spatiale du phénomène. L’image du territoire lyonnais qui est esquissée ici ne traduit pas forcément la sécurité telle qu’elle existe réellement. Elle ne s’appuie que sur une faible partie de l’activité délictueuse puisqu’il ne s’agit là que de la restitution des délits pris en charge par les services de la Police Municipale. Cette représentation cartographique, en plus de la non exhaustivité des faits commis, ne relate pas le « coté obscur » de la sécurité. Elle ne peint en rien la criminalité cachée, la délinquance non révélée, les actes d’incivilité et ignore par conséquent ce symptomatique et tout autant problématique sentiment d’insécurité.

Bien que cette démarche soit en parfaite contradiction avec les principes du diagnostic à la fois objectif et quantitatif de la qualité de vie mené jusqu’à présent, il nous semble important, pour mieux relativiser la nature des documents commentés, d’enrichir cette approche de la sécurité. Cette cartographie n’est qu’un premier pas vers une représentation de la sécurité urbaine plus achevée. Il n’en est pas moins que pour l’instant, aucun outil fiable d’évaluation ne semble exister pour produire une vision moins erronée de la sécurité. L’approche de la criminalité constatée ne permet pas de considérer la quiétude des citoyens. Il existe un réel et profond décalage entre les faits de délinquance et leur perception, entre la violence effective et la peur de la violence. Comme nous l’avons déjà précisé, la dissociation des deux registres de la sécurité serait une erreur : se servir des statistiques officielles pour minimiser le sentiment d’insécurité et en affirmer le caractère irrationnel serait une méprise de la réalité. Ce décalage entre la sécurité constatée et le sentiment de sécurité reste symptomatique : « au sein de la ville de Lyon, les territoires les plus criminogènes sont ceux du centre ville. Ces secteurs sont à la fois riches, dynamiques et attractifs. C’est donc là que la délinquance sévit et que le crime est le plus fort. C’est au contraire dans les quartiers d’habitat social que le sentiment d’insécurité semble le plus grand. Le sentiment de sécurité s’avère donc être inversement proportionnel à la sécurité elle-même. Les territoires bénéficiant d’une image valorisée comme ceux de l’hypercentre lyonnais sont largement épargnés pour le sentiment d’insécurité alors qu’ils sont au contraire caractérisés par une réelle criminalité »174. Seulement, il convient d’éviter voire même de lutter ardemment contre la « psychose sécuritaire » pour sortir de l’impasse de la médiatisation et de la stigmatisation. Il est indispensable de sortir du piège sécuritaire. Pour ce faire, il est nécessaire de dédramatiser pour ne pas entretenir ce syndrome de l’insécurité. Il devient ainsi essentiel de mieux comprendre les phénomènes abordés pour mieux informer et communiquer. Plus nous connaissons le monde qui nous entoure et moins nous le craignons. Nous devons ainsi cesser d’alimenter la peur pour aspirer à plus de sérénité sociale. Comme l’explique C. DEJOURS, « ce n’est pas la violence qui engendre la peur, mais la peur qui engendre la violence »175.

La problématique reste donc entière. La réalisation d’une « bonne représentation » de la sécurité semble encore loin mais par la conscience de nos limites, nous aurons travaillé à la rendre plus intelligible.

Finalement, nous avons objectivement passé en revue l’ensemble des éléments jugés nécessaires à l’évaluation du quotidien. Cette démarche a permis de mettre en évidence de réelles et parfois profondes disparités spatiales de la qualité de vie quotidienne. Cette appréciation des différents critères de la qualité de vie quotidienne lyonnaise a permis globalement de mobiliser des données de bonne qualité. Les représentations cartographiques de ces connaissances fournissent par conséquent des clefs de lecture renouvelée du territoire lyonnais. Certains raccourcis ont du être empruntés, certaines pistes d’analyse ont du être laissées de coté, faute de disponibilité de l’information statistique ou de son inadaptabilité, mais globalement, les analyses produites sont riches en enseignements. Elles présentent en soit des résultats notables pour la connaissance et l’appréciation du tissu urbain. Cependant, ces diagnostics restent thématiques. Il convient par conséquent, afin de parfaire notre démarche, d’exposer les approfondissements et les développements envisageables. Présentées sous la forme d’expérimentation, il s’agit d’envisager les pistes d’évolution de cette méthode d’évaluation de la qualité de vie quotidienne. La cinquième et dernière partie de notre travail se propose donc d’exposer des analyses complémentaires et de porter un regard critique sur les préceptes de la méthode initiée.

Notes
174.

Information fournie oralement par J-P. VIALAY, Directeur de la Direction de la Sécurité et de la Prévention, lors du groupe de travail « Sécurité urbaine et insertion sociale » dans le cadre du réseau EUROCITES qui a eu lieu le 29 septembre 2004 à l’Hôtel de Ville de Lyon.

175.

DEJOURS C., 1998, Souffrance en France : la banalisation de l’injustice sociale. Paris, Editions du Seuil, 197 pages.