1.5. Les ressources scolaires : support d’une expertise approfondie des disparités sociales

La répartition des établissements scolaires et la nature des enseignements proposés permettent de constater que la distribution des ressources éducatives engendre de profondes disparités sociales. Comme le montre le graphique ci-dessous, 38% des habitants résident dans un cadre de vie dit « intermédiaire » dans la mesure où celui-ci est pourvu de deux établissements avec une continuité d’enseignement. Cependant, il convient de noter que 22% des lyonnais ne bénéficient d’aucun établissement scolaire à proximité de son lieu de résidence ce qui indique par conséquent que plus d’un lyonnais sur cinq déplore un cadre de vie particulièrement dégradé par son manque de disponibilité scolaire. 21% des habitants peuvent prétendre à une situation moins dommageable au regard de la distribution des ressources éducatives. Ils bénéficient d’un accès de proximité à un ou deux équipements mais sans disposer de la continuité de l’enseignent. Leur cadre de vie demeure donc dégradé par un faible niveau d’équipement scolaire.

Graphique V.9. Les lyonnais inégaux face à la disponibilité des ressources scolaires
Graphique V.9. Les lyonnais inégaux face à la disponibilité des ressources scolaires

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2005.

Au total, moins d’un lyonnais sur cinq profite des potentialités d’enseignement de la ville. 17% d’entre eux résident ainsi dans un cadre de vie favorisé par d’importantes disponibilités scolaires puisqu’ils bénéficient de la proximité de trois établissements avec ou sans continuité d’enseignement. Il convient de préciser que seul 2% de la population lyonnaise disposent de grandes potentialités scolaires. Une faible minorité des habitants jouit ainsi d’un cadre de vie conforté par la présence d’au moins quatre établissements donnant accès à un cursus complet d’enseignement. La distribution des ressources éducatives demeure donc une source réelle d’inégalités à la fois spatiales et sociales. Les niveaux différenciés d’équipements scolaires engendrent par conséquent de profonds différentiels de la qualité de vie quotidienne.

La capacité de scolarisation des cadres de vie demeure néanmoins spécifique. Bien qu’il s’agisse d’un critère jugé de manière consensuelle comme étant nécessaire à l’évaluation de la qualité de vie quotidienne, les établissements scolaires n’en restent pas moins des équipements ciblés. Chaque type d’établissement concerne en effet une population d’enfants d’âges spécifiques. Compte tenu de la particularité du thème abordé, l’analyse des disparités sociales de la qualité de vie, au prisme des ressources éducatives, peut davantage être développée.

Pour ce faire, nous avons étudié la disponibilité de certains établissements scolaires en fonction de l’âge des enfants résidants. Nous avons axé notre analyse sur les réseaux d’établissements les plus denses répondant à une logique forte de proximité. La répartition des écoles maternelles et primaires semble être à cet égard la plus adaptée. La démarche a été menée en fonction de deux niveaux d’expertise.

Le premier se veut global et propose d’apprécier la capacité de l’offre scolaire au regard de la population concernée résidant au sein des aires de recrutement de chacun des établissements. L’enjeu est alors d’estimer la capacité de l’offre scolaire en fonction de la demande potentielle imposée par la carte scolaire. Le second niveau est plus local et propose l’examen de l’offre scolaire de proximité. Tout en intégrant les contraintes de la délimitation scolaire, cette démarche consiste à comparer le nombre d’enfants résidant au sein d’un périmètre de 300 mètres autour de chacun des établissements ayant l’âge d’être scolarisé dans les différents types de structures scolaires et le nombre total de places proposées par chacun d’entre eux. Il devient possible de caractériser l’adaptabilité de chacune des structures scolaires en fonction du « bassin scolaire » de proximité. Il est alors envisageable d’identifier des situations locales de « sureffectif scolaire » où la population en âge d’être scolarisée est supérieure aux effectifs proposés par les établissements concernés ou de « sous-effectif scolaire » où la population en âge d’être scolarisée est inférieure aux effectifs proposés par les établissements concernés. Pour mener à bien cette expertise, nous avons nécessairement du utiliser des bornes de classes normées reprenant les âges moyens de scolarisation identifiés par l’INSEE de la manière suivante 179  :

La comparaison entre l’estimation du nombre d’enfants en âge d’être scolarisés au sein d’un secteur scolaire ou de l’unité de voisinage d’un établissement (zone de 300 mètres autour de chaque établissement) et l’effectif des classes les concernant permet d’approfondir l’analyse de la disponibilité scolaire de la ville de Lyon. Cet exercice donne lieu à la réalisation d’un jeu de quatre cartes :

Cette représentation affinée de l’information et le croisement entre « l’offre » et « la demande » permet par conséquent de mettre en lumière des épiphénomènes de « sureffectif » représentés par des cercles verts proportionnels ou de « sous-effectif » scolaires représentés en rouge. La carte V.1. illustrant la disponibilité des écoles maternelles publiques à l’échelle des périmètres scolaires lyonnais fait état d’une véritable pression de la demande. L’adéquation entre l’offre et la demande désigne des situations rarissimes (désignées par des cercles de toute petite taille). Cette cartographie montre une réelle pénurie de l’offre publique. La majorité des périmètres scolaires comptent en effet une population infantile (âgée de 3 à 6 ans) largement supérieure à la capacité d’accueil des établissements scolaires préélémentaires. Les écarts estimés entre la population résidante et le nombre de places en classes de maternelle restent globalement importants (essentiellement un écart de plus de 100 individus). Bien que ce phénomène de sous-effectif soit particulièrement marqué en hypercentre et en rive gauche, celui-ci n’épargne cependant aucun secteur de la ville. Seuls quelques périmètres semblent être avantagés par la carte scolaire. Réparties essentiellement à l’ouest de la commune (5ème arrondissement) et plus éparses à l’est (3ème et 8ème arrondissements), certaines sectorisations comptent en effet des effectifs scolaires en écoles maternelles publiques supérieurs à la population des 3-6 ans habitant le périmètre. Les sureffectifs demeurent cependant limités et n’impliquent que des différentiels largement inférieurs à 100 individus.

Carte V-1 : disponibilité des écoles maternelles à l'échelle des périmètres scolaires : pénurie de l'offre publique
Carte V-1 : disponibilité des écoles maternelles à l'échelle des périmètres scolaires : pénurie de l'offre publique

Globalement, cette analyse montre que 30% des enfants résidant à Lyon ne disposent pas d’une place en maternelle. Qu’en est-il alors de ces enfants ? Sont-ils concernés par une scolarisation tardive (la scolarisation n’est en effet obligatoire qu’à partir de 6 ans) et sont-ils par conséquent pris en charge par d’autres structures d’accueil (garde à domicile, grands-parents, assistante maternelle, …) ou s’agit-il d’enfants scolarisés en écoles privées ? Tant de questions auxquelles nous n’avons pu trouver de réponse mais qui permettent d’alimenter le débat sur la politique publique d’enseignement et la nécessité, pour chacun, de disposer d’un accès au système scolaire laïque et gratuit. Ce droit à la scolarisation, même préélémentaire constitue ainsi un axe majeur de l’action publique afin que la qualité de vie des lyonnais soit améliorée. Pour que la scolarisation des tout-petits ne soit pas un problème, l’accès au système scolaire doit être une préoccupation majeure.

La carte V.2. fait état d’une problématique différente et illustre l’offre scolaire de proximité. L’analyse est dans ce cas différente puisqu’il s’agit de comparer la population des enfants âgés de 3 à 6 ans résidant à moins de 300 mètres d’une école maternelle et l’effectif global de l’établissement concerné. Cette méthode ne restitue pas la réalité de la situation puisqu’elle se base sur une population restreinte mais permet cependant de mieux apprécier la qualité de l’offre de proximité. Cette cartographie permet donc d’évaluer la capacité des écoles maternelles publiques à satisfaire une demande de proximité. Les cas de « sureffectif » (désignés par les cercles verts) sont globalement plus nombreux et caractérisent essentiellement l’ouest et l’est de la commune. Les places disponibles au sein des écoles maternelles sont, dans ce cas, plus importantes que la population concernée vivant à moins de 300 mètres de l’établissement. Cet état de fait, de prime abord avantageux, peut cependant révéler un éloignement géographique réel entre la localisation résidentielle des élèves et le lieu effectif de scolarisation.

À l’inverse, le large secteur de la Presqu’île (de Perrache à la Croix-Rousse) ainsi que celui de la rive gauche du Rhône déplorent des situations de scolarisation moins favorables. Ces territoires sont ainsi marqués par d’importants déficits de proximité. Le nombre d’enfants âgés de 3 à 6 ans habitant dans un rayon de 300 mètres autour de l’établissement est déjà supérieur au nombre de places qu’il propose. Cette tension de la demande de proximité est encore plus saisissante autour des écoles maternelles des quartiers de la Sauvegarde, de la Duchère, du Plateau et de Balmont (9ème arrondissement). C’est dans ce secteur que les écarts estimés entre la population infantile et le nombre de places en écoles maternelles sont les plus significatifs.

Ces deux représentations cartographiques permettent ainsi d’éclairer le regard porté sur la ressource scolaire préélémentaire. Qu’il s’agisse du périmètre scolaire ou de l’échelle du voisinage, cette analyse permet d’estimer la disponibilité globalement limitée de l’offre scolaire publique et de localiser les inadaptations les plus significatives.

Carte V-2 : disponibilité des écoles maternelles : des déficits de proximité
Carte V-2 : disponibilité des écoles maternelles : des déficits de proximité

L’analyse concernant la capacité d’accueil des écoles primaires a été menée de manière identique. La carte V.3. représente la différence entre la population des enfants âgés de 7 à 11 ans vivant au sein de chaque périmètre scolaire et le cumul des places des différentes écoles primaires publiques présentes sur ce territoire. Les périmètres pour lesquels les enfants résidants sont globalement moins nombreux que les places disponibles, sont désignés par des cercles verts proportionnels aux « sureffectifs » alors que les périmètres marqués au contraire par une insuffisance de l’offre sont renseignés par des cercles rouges.

Globalement, cette comparaison montre que 6% des enfants en âge d’être scolarisé ne peuvent trouver une place au sein des écoles primaires publiques lyonnaises. Les proportions du déficit restent donc moins importantes pour les structures élémentaires mais le phénomène touche encore une grande part du territoire. D’une manière générale, cette carte démontre l’inadaptation de l’offre à la demande. Peu de périmètres scolaires offrent un effectif scolaire calé au plus près de la réalité démographique du terrain. Les secteurs marqués par la surreprésentation de l’offre scolaire restent peu nombreux et caractérisent essentiellement l’ouest (surtout le 5ème arrondissement) et l’est de la commune (6ème, 3ème et 8ème arrondissements). Le reste du territoire et principalement les secteurs de la Presqu’île (de Perrache à la Croix-Rousse) et de la rive gauche du Rhône sont au contraire marqués par une offre sectorielle insuffisante. Cette inadéquation s’étend hors de ces limites pour également atteindre certaines zones de l’ouest et du sud est de la ville.

La carte V.4. représente la comparaison entre population résidante et effectif scolaire, cette fois à l’échelle du voisinage de chaque établissement scolaire. Cette échelle de représentation retranscrit une situation nettement plus favorable. À l’exception de l’hypercentre, de la rive gauche proche du Rhône, du secteur de la Sauvegarde et de la Duchère (9ème arrondissement) et de quelques rares secteurs isolés à l’est de la commune (3ème et 8ème arrondissements), l’ensemble du territoire lyonnais semble disposer d’une offre scolaire de proximité nettement supérieure à la demande locale. Cependant, l’état des lieux de la disponibilité dressé à l’échelle de la carte scolaire est en profonde contradiction avec la nature des résultats locaux. Cette cartographie, loin de mettre en évidence un « sous-effectif » avéré, explique finalement que peu d’enfants concernés par la scolarisation élémentaire résident à moins de 300 mètres de l’établissement de leur secteur. Il convient ainsi de ne pas se tromper d’interprétation. Pour ce faire, les résultats obtenus doivent être lus au travers de la connaissance des disponibilités éducatives issues de la carte scolaire. Certes localement, les enfants âgés de 7 à 11 ans sont sous-représentés par rapport aux places mises à leur disposition en classes primaire mais cet état de fait ne relate pas un « sous-effectif » scolaire. Il désigne au contraire l’éloignement incontestable des élèves au lieu de scolarisation.

Carte V-3 : disponibilité des écoles primaires à l'échelle des périmètres scolaires : une offre publique insuffisante
Carte V-3 : disponibilité des écoles primaires à l'échelle des périmètres scolaires : une offre publique insuffisante
Carte V-4 : disponibilité des écoles primaires : offre de proximité ou éloignement des élèves ?
Carte V-4 : disponibilité des écoles primaires : offre de proximité ou éloignement des élèves ?

Cette expérimentation sur les ressources scolaires permet donc d’évaluer l’adaptation des capacités d’enseignement des écoles maternelles et primaires de la ville de Lyon. Cette comparaison entre l’effectivité de l’offre et de la demande de scolarisation relativise considérablement l’évaluation globale établie précédemment en fonction de l’ensemble des équipements scolaires et de la population générale. La reconstruction du lien direct entre la disponibilité d’un établissement et sa population de recouvrement permet d’affiner considérablement notre analyse. Cet approfondissement offre ainsi la possibilité d’évaluer, au plus près de la réalité socio-spatiale, la qualité de vie quotidienne des lyonnais.

Finalement, la traduction des disparités spatiales des cadres de vie par l’interprétation des disparités sociales qu’elles engendrent donne une toute autre dimension à notre travail. Certes, cette transposition met en évidence une réelle corrélation entre la distribution spatiale des phénomènes et leur incidence sociale, mais il s’agit principalement d’observer la nature et les qualités des territoires tout en mettant en débat leurs implications sociétales. Cette orientation permet alors de discuter à la fois des inégalités spatiales et sociales de la qualité de vie. Il s’agit par conséquent de donner une ampleur sociale et démographique aux différents diagnostics menés. Loin de produire des résultats formels, cette expérimentation permet néanmoins de fournir de nouvelles clefs de lecture et de compréhension des phénomènes directement liés à cette notion de la qualité de vie quotidienne.

Ce développement ne constitue qu’un premier pas dans les approfondissements possibles de notre démarche. Nous avons ensuite voulu donner une dimension à la fois plus fonctionnelle et opérationnelle à cette évaluation de la qualité de vie quotidienne. Pour ce faire, il est nécessaire de reconsidérer les connaissances mobilisées au regard de l‘armature fonctionnelle du territoire lyonnais.

Notes
179.

Recensement de la Population, Exploitation principale, INSEE, 1999.