1.2. Résultats et limites d’une telle approche

À partir de cette exploitation, chaque bâtiment habité a par conséquent obtenu un « score » symbolisant le « niveau » de la qualité de vie qu’il est en mesure de proposer au sein de son unité de voisinage. L’analyse différenciée des situations permet par conséquent d’identifier pour chaque bâti l’importance de « sa qualité de vie ». Ce procédé permet alors de hiérarchiser l’ensemble des bâtiments habités en fonction de cinq « classes de qualité de vie ». Afin de faciliter la compréhension de l’exercice et la lecture des résultats, nous avons repris la charte graphique préalablement utilisée pour l’ensemble des diagnostics thématiques. Les cadres de vie lyonnais se répartissent ainsi en fonction de leur niveau de qualité de vie allant de la qualité de vie la plus préservée à la qualité de vie la plus dégradée. L’information est donc représentée de la manière suivante.

Figure V.2. Approche cumulative : répartition des niveaux de qualité de vie en fonction des points thématiques
Figure V.2. Approche cumulative : répartition des niveaux de qualité de vie en fonction des points thématiques

Le premier enseignement que nous pouvons retenir de cette démarche est la faible variabilité de la distribution statistique. En effet, selon cette méthode cumulative, deux classes extrêmes apparaissent clairement, la première regroupant les atouts, l’autre les faiblesses. Cependant, les trois classes plus intermédiaires se différencient en quatre points seulement. Il est ensuite essentiel de souligner le caractère compensatoire des critères de qualité de vie. En effet, contrairement à toute attente, aucune entité ne concentre l’ensemble des points négatifs (score à : 1 X 9 = 9) et à l’inverse aucun secteur ne peut se venter de rassembler toutes les qualités nécessaires à la qualité de vie quotidienne (score à : 5 X 9 = 45). Il règne au contraire un certain équilibre grâce auquel des compensations s’opèrent et permettent à chaque entité de se valoriser par différents atouts. Le classement cumulatif s’échelonne donc de 11 points (au lieu de 9 pour le minimum possible) à 38 points (au lieu de 45 pour le maximum possible). Même si des disparités existent, les conditions ne sont jamais extrêmes.

Cette expérimentation permet également de préciser l’ampleur du phénomène étudié. En effet, suite à l’approche cumulative des différents critères de qualité de vie lyonnaise, nous pouvons identifier le nombre de bâtiments concernés par les différents « niveaux de qualité de vie ». Le graphique V.15. représente ainsi les différents « niveaux de qualité de vie » enregistrés par les bâtiments habités de la commune de Lyon.

Graphique V.15. Répartition des cadres de vie lyonnais en fonction de leur niveau de qualité de vie quotidienne
Graphique V.15. Répartition des cadres de vie lyonnais en fonction de leur niveau de qualité de vie quotidienne

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2005.

Au regard de l’ensemble des neuf critères de mesure de la qualité de vie quotidienne, 25% de l’espace habité semble bénéficier d’une qualité de vie très préservée alors que 10% des bâtiments affichent une qualité de vie préservée. Au total, plus d’un tiers des cadres de vie profite d’une situation avantageuse offrant, aux travers des caractéristiques mesurées, une qualité de vie objectivement favorable. De la même manière, 25% des bâtiments habités bénéficient de conditions plus intermédiaires. L’approche cumulative attribue ainsi à ces bâtiments des résultats compris entre 25 et 27 points. Il s’agit par conséquent d’unités pour lesquelles l’équilibre entre atouts et faiblesses est le plus stable. Il convient ensuite de préciser que 19% des bâtiments habités déplorent au contraire une qualité de vie dégradée alors que 21% d’entre eux se caractérisent par des conditions de vie encore plus difficiles. Au total, c’est 40% de l’espace habité lyonnais qui déplorent des conditions de vie dégradées ne permettant pas d’atteindre une qualité de vie satisfaisante.

La troisième étape de cette expérimentation multicritère consiste enfin à territorialiser cette connaissance. Cette démarche permet par conséquent de spatialiser l’information pour mieux l’apprécier. Comme le montre la carte V.12., cette phase est capitale dans la mesure où elle permet de localiser sur le terrain les bâtiments habités en fonction de leur niveau de qualité de vie.

Carte V-12 : synthèse des résultats : une approche cumulative
Carte V-12 : synthèse des résultats : une approche cumulative

La carte V.12., présentant la synthèse des résultats, montre que les secteurs de l’hypercentre (Presqu’île et rive gauche du Rhône) ainsi que les centralités plus secondaires comme Gerland (7ème arrondissement), Vaise, la Duchère (9ème arrondissement), le Vieux Lyon, le Point du Jour (5ème arrondissement), le secteur Monplaisir / Frères Lumière (limite entre les 3ème et 8ème arrondissements), Montchat (3ème arrondissement) et le vaste secteur de Mermoz / Paul Santy (8ème arrondissement) se caractérisent par leur qualité de vie. Ces résultats démontrent bien le phénomène de compensation des critères de qualité de vie. Ces centralités affichent ainsi des atouts majeurs comme d’importantes potentialités commerciales, la proximité des équipements publics, la disponibilité des transports en commun, un effort de propreté soutenu, mais ces territoires ne sont pas sans faiblesses. Ils sont en effet marqués par les nuisances sonores dues à la circulation automobile, des phénomènes accidentogènes importants et dépréciés par la pollution atmosphérique.

La territorialisation de cette analyse multicritère permet effectivement d’identifier trois grands « types de critères » de qualité de vie. Un certain nombre d’indicateurs semble par conséquent valoriser l’hypercentre ainsi que les centralités secondaires au détriment des espaces plus périphériques. La disponibilité des transports en commun, les potentialités commerciales, la propreté des rues et la répartition de la ressource scolaire sont en effet les atouts avérés des centralités lyonnaises et font défaut aux territoires interstitiels ou périphériques. À l’inverse, certains critères valorisent la périphérie au détriment des centralités. L’accidentologie, la qualité de l’air ainsi que la qualité des environnements sonores semblent participer activement à la dégradation de la qualité de vie des centres urbains. Les territoires en marge de la commune semblent, à cet égard, tirer avantage de leur éloignement. L’usage de la voiture s’impose par conséquent comme une véritable nuisance à la qualité de vie. La déclinaison des préjudices imputables à l’automobile (accidents de la circulation, pollution atmosphérique, bruit) fait de cette pratique de déplacement un facteur de dégradation majeur de la qualité de vie quotidienne. Cette incrimination profite alors aux secteurs les plus paisibles, les plus excentrés, les plus déconnectés des dynamiques urbaines. Cette incrimination de l’automobile est d’autant plus préoccupante qu’elle impacte directement sur la qualité de vie des habitants les moins motorisés. La qualité de vie des centres urbains semble ainsi être dégradée par les pratiques de déplacement émanant de la périphérie (proche ou lointaine). Un troisième groupe de critères plus atypiques apparaît enfin. La disponibilité des espaces verts et la structure du parc de logements s’imposent ainsi comme des critères indépendants répondant à des logiques propres. Leur impact sur la qualité de vie quotidienne est donc plus difficilement interprétable car leur traduction spatiale ne s’inscrit pas dans les rapports entre centre et périphérie.

Cette représentation cartographique permet de plus une retranscription fine de l’information. En effet, les espaces les plus dégradés en terme de qualité de vie sont clairement localisés sur des linéaires à la fois éloignés de toutes commodités mais directement exposés à d’importantes dégradations urbaines (nuisances sonores et pollution atmosphérique). Ces territoires caractérisent essentiellement les secteurs périphériques de la commune alors que les bâtiments bénéficiant d’une qualité de vie intermédiaire occupent les territoires interstitiels situés entre les secteurs préservés et ceux plus dégradés.

De manière schématique, cette analyse croisée de la qualité de vie permet d’identifier des secteurs géographiques typiques au regard de leur qualité de vie. Nous pouvons distinguer des secteurs caractéristiques de l’hypercentre bénéficiant des atouts de la centralité mais déplorant par là même les inconvénients inhérents à la circulation automobile. C’est par exemple le cas des quais du Rhône. D’autres entités sont au contraire l’archétype de la périphérie, leur qualité de vie est ainsi conditionnée par l’éloignement à la nuisance automobile. D’autres cas sont également à signaler. Il s’agit des cœurs d’îlots de l’hypercentre profitant des avantages de la centralité tout en étant suffisamment éloignés des voies structurantes de circulation. Cette concordance géographique améliore considérablement la qualité de vie de ces secteurs privilégiés. C’est par exemple le cas du secteur d’Ainay (2ème arrondissement). À l’autre extrémité, un certain nombre de territoires déplorent les inconvénients de leur localisation périphérique (éloignement aux transports collectifs, déficit commercial, pénurie scolaire, effort de propreté moindre) sans pour autant bénéficier de ses avantages car proches des grandes artères de circulation automobile. C’est par exemple le cas des bâtiments situés de part et d’autre de l’avenue Lacassagne (3ème arrondissement) et du boulevard des Etats-Unis (8ème arrondissement).

Finalement, cette première expérimentation d’analyse multicritère de la qualité de vie produit des résultats significatifs dont l’intérêt ne peut être nié. Cependant, la grande difficulté de cet exercice réside dans l’interprétation de ces résultats. En effet, cette approche cumulative permet de désigner un certain nombre de « niveaux de qualité de vie » et de localiser les entités concernées. Cependant, cette appréciation ne fournit pas d’explication formelle quant aux causes de ce phénomène différencié. Il est ainsi nécessaire de s’appuyer sur l’ensemble des diagnostics thématiques pour trouver les explications de l’analyse présentée ici. Les réponses doivent ainsi être trouvées au coeur des analyses précédentes ce qui suppose le retour aux exploitations thématiques. Bien que cette expérimentation offre les premiers jalons d’une analyse multicritère de la qualité de vie, ceux-ci ne sont que les prémisses d’une démarche qui doit être approfondie. Ce processus ne permet donc pas de rompre de manière significative avec les réflexes séquentiels et l’approche thématique. Il convient pour cela de dépasser ce test pour entreprendre au contraire une véritable analyse multicritère de la qualité de vie quotidienne.