2.2. Des résultats cartographiques probants pour une approche innovante

Les résultats de la C.A.H. ont ensuite donné lieu à une spatialisation de l’information. Compte tenu du caractère expérimental de la démarche, nous avons tenu à présenter l’ensemble des possibilités cartographiques. C’est pourquoi, guidés par les résultats du dendrogramme présenté en figure V.4. réalisé sur l’échantillon aléatoire, nous avons successivement retenu une classification en 3, en 5 puis en 6 classes. La trois figure suivante présente les profils moyens de chacun des types en fonction de la classification retenue (3, 5 et 6 classes).

La figure V.10. commence par caractériser l’ensemble des différents types des trois classifications possibles. Un graphique présente les valeurs de chacun des types présentées sous forme d’écart à la moyenne. Ceci permet de comprendre les spécificités de chacun des types. Le tableau V.2. interprète à son tour, de manière plus qualitative, l’ensemble des typologies proposées.

Figure V.10. Profils moyens des typologies
Figure V.10. Profils moyens des typologies (écart à la moyenne)
Tableau V.2. Interprétation des typologies
3 types 5 types 6 types
Type 1. : Faiblesse des critères « accidentologie », « bruit », « pollution », « nettoiement », « commerces », « transports en commun » et « scolaires ». Peu de services et relativement peu de nuisances. Bonne représentation des « espaces verts ».
Type 2. : Niveau d’équipements et nuisances intermédiaires
Type 2.1. : Importance relative des nuisances automobiles et éloignement aux services, notamment « scolaires ».
Type 2.2. : Faiblesse plus relative des nuisances automobiles et importance relative des services (notamment « scolaires » et « transports en commun »).
Type 3. : Importance de tous les critères mais hétérogénéité de l’influence des « espaces verts ». Beaucoup de services mais beaucoup de nuisances.
Type 3.1. : Centralité (« commerces », « transports en commun », « scolaires ») relativement préservée des nuisances automobiles, forte présence des « espaces verts ».
Type 3.2. : Centralité fortement dotée en services et équipements mais marquée par la faiblesse des « espaces verts ».
Type 3.2.1. : Centralité de grands axes (importance des commerces et services) avec fortes nuisances automobiles (« accidentologie » particulièrement marquée)
Type 3.2.2. : Centralité très bien dotée en « commerces » et « transports en commun », relativement préservée des nuisances automobiles (mais forte « accidentologie »).

© BARBARINO-SAULNIER Natalia, 2005.

Ce tableau descriptif est fondamental dans la mesure où il permet de comprendre l’ensemble des typologies et sert, par conséquent, de légende au jeu de cartes présenté ci-après.

La carte V.13. présente les résultats de l’analyse multicritère répartis en 3 types. Cette première exploitation permet de choisir « grossièrement » l’organisation spatiale des bâtiments de la ville de Lyon en fonction des 8 critères de qualité de vie retenus. La répartition est relativement schématique. Nous distinguons en effet des secteurs de centralités avérées, des zones plus périphériques en marge de la commune et entre les deux, des secteurs plus intermédiaires.

Ces centralités couvrent la quasi-totalité de l’hypercentre (de la Presqu’île, 2ème arrondissement, aux pentes de la Croix-Rousse, 1er arrondissement, en passant par le secteur de part et d’autre du cours Charlemagne, 2ème arrondissement, le centre de la Croix-Rousse, de part et d’autre de la Grande rue de la Croix-Rousse, 4ème arrondissement), une large part de la rive gauche du Rhône (du début de l’avenue Berthelot, 7ème arrondissement au secteur Franklin Roosevelt/Vitton, 6ème arrondissement, en passant par le large secteur de Gambetta/Jean Jaurès/Maréchal de Saxe, limite entre les 3ème et 7ème arrondissements). À cela s’ajoute des centralités plus secondaires comme par exemple le centre de Vaise (9ème arrondissement), le centre de Saint-Just (5ème arrondissement), ainsi que certaines centralités plus éparses situées à l’est de la commune (le secteur Thiers/Lafayette, 6ème arrondissement, les abords de la place Rouget de Lisle, 3ème arrondissement, le secteur Lumière/Monplaisir, limite entre les 3 et 8ème arrondissements). Ces bâtiments se caractérisent en moyenne par une forte valeur de l’ensemble des critères analysés. Il s’agit en effet de secteurs marqués par l’importance de leurs potentialités tout autant que par celle de leurs faiblesses. Ils connaissent en effet des valeurs moyennes maximum pour la variable « accidentologie » (5,1) pour le « bruit » (67,5), les « commerces » (80,2), le « nettoiement » (6.7), la « pollution » (48,4), les équipements « scolaires » (3) et les « transports en commun » (804 011).

À l’antipode de ce profil, se trouve le type 1 qui caractérise davantage la périphérie de la ville. Ces secteurs se caractérisent au contraire par les valeurs moyennes les plus faibles pour l’ensemble de la batterie d’indicateurs. Ces bâtiments sont marqués par ce que nous pouvons appeler « le peu de tout » : peu de services mais peu de nuisances. Il s’agit de zones résidentielles éloignées des avantages et commodités urbaines (éloignement des transports collectifs, déficit commercial, pénurie scolaire, effort de propreté moindre) mais qui bénéficient en contre partie de nuisances moindre (moins de pollution atmosphérique, moins de bruit, moins d’accidents de la circulation). À ces caractéristiques s’ajoute la présence relativement marquée des espaces verts. Comme nous le verrons par la suite au travers de deux autres représentations cartographiques, ce « type » de secteurs est stable. Qu’il s’agisse d’une classification en 3, 5 ou 6 types, celui-ci demeure statistiquement et géographiquement inchangé. Ces secteurs se localisent essentiellement en marge de la commune (au sud dans le secteur de Gerland, 7ème arrondissement, à l’ouest sur une large partie du 5ème arrondissement, au nord autour du secteur de Saint-Rambert, 9ème arrondissement, à l’ouest des 1er et 4ème arrondissements, ainsi que sur des zones plus éparses de l’est de la commune, 3ème et 8ème arrondissements).

Carte V-13 : analyse multicritères en 3 types
Carte V-13 : analyse multicritères en 3 types

Entre ces deux profils se trouve celui que nous pourrions qualifier de « ventre mou ». Il s’agit d’entités pour lesquelles les valeurs restent intermédiaires. Au regard de l’ensemble des critères de qualité de vie étudiés, les secteurs de type 2 bénéficient à la fois d’un niveau de services et équipements moyens (par rapport aux autres situations observées) et d’un niveau de nuisances intermédiaires (accidentologie, qualité de l’air, bruit). Ces secteurs forment alors un tissu interstitiel entre les centralités et les secteurs plus périphériques.

La carte V.14. présente les résultats de l’analyse multicritère en 5 types. Il semble essentiel de s’intéresser aux ruptures de la classification opérées par le passage de 3 à 5 types. En effet, comme nous l’avons précédemment évoqué, le type 1 caractérisant les secteurs les plus périphériques marqués par la faiblesse cumulée des atouts et des nuisances reste stable. Le profil statistique et la localisation des bâtiments habités concernés n’évoluent pas. Au contraire, les deux autres types se scindent chacun en deux sous-groupes.

Les secteurs de centralité se répartissent ainsi en fonction essentiellement de leurs disponibilités en espaces verts et de leurs expositions aux nuisances liées à la circulation automobile. Toutes proportions gardées, nous pouvons distinguées le type 3.1. qui se caractérise par des atouts avérés de la centralité (commerces et services, équipements scolaires, effort de propreté, capacité de déplacement en transports en commun) auxquels s’ajoute une forte présence des espaces verts, tout en étant relativement préservé des nuisances automobiles (accidentologie, bruit, pollution).

Cette nuance désigne essentiellement des secteurs de centralité secondaires comme le centre de Vaise, (9ème arrondissement), le centre de la Croix-Rousse (4ème arrondissement) ou le secteur Franklin Roosevelt/Vitton profitant de la proximité du parc de la Tête d’Or (6ème arrondissement). Le type 3.2. correspond alors à un renforcement du caractère de centralité. Les bâtiments habités qui le caractérisent sont par conséquent très fortement dotés en services et équipements mais subissent par là même les inconvénients inhérents à la circulation automobile et demeurent marqués par la faible présence des espaces verts. Géographiquement, ce type désigne tout particulièrement l’hypercentre lyonnais, à savoir la Presqu’île (de Perrache à l’Hôtel de Ville), le centre de la rive gauche (Jean Macé/Jean Jaurès/Gambetta/Maréchal de Saxe) ainsi que le secteur plus isolé des Brotteaux (6ème arrondissement). Quelques rares centralités secondaires apparaissent également sous ce profil, mais elles demeurent à la fois dispersées et peu nombreuses.

Carte V-14 : analyse multicritères en 5 types
Carte V-14 : analyse multicritères en 5 types

Le « ventre mou » se divise également en deux profils distincts en fonction à la fois du niveau de l’exposition aux nuisances automobiles et de à la disponibilité des commodités urbaines. Au regard de ces deux « groupes » de critères, il semble que la classification procède par cumul soit des avantages, soit des inconvénients. Pour le type 2.2., cela se définie de la manière suivante. Toutes proportions gardées, les secteurs déplorant une importance relative des nuisances automobiles supportent également un éloignement relatif aux équipements, services et commerces. Au contraire, les secteurs pouvant se satisfaire d’une faiblesse plus relative des nuisances automobiles bénéficient également d’un niveau relatif de services et d’équipements. L’identification de ces deux profils montre l’existence d’un tissu urbain intermédiaire « préservé » au regard des 8 critères de qualité de vie observés et d’un tissu intermédiaire de « grands axes » plus dégradé. Le type 2.2. désigne essentiellement des secteurs résidentiels de profil moyen. Le type 2.1. caractérise davantage des secteurs déplorant l’éloignement aux atouts du centre (éloignement au transports en commun, déficit commercial, pénurie scolaire, effort de propreté moindre) sans pour autant bénéficier des avantages de cette localisation excentrée car proches des grandes artères de circulation automobile. C’est par exemple le cas des bâtiments situés de part et d’autre de l’avenue Lacassagne (3ème arrondissement), sur une partie de l’avenue Berthelot (7ème arrondissement) ou proches de la route de Vienne (8ème arrondissement).

Finalement, cette classification en 5 types donne parfois lieu à un mitage spatial. Bien que les secteurs centraux se structurent autours d’entités clairement identifiables, l’est de la commune, par exemple, laisse transparaître un emboîtement complexe des profils. Dans le détail, cette représentation cartographique montre la qualité de la précision de la restitution de l’information. Les différents profils déterminent par conséquent la spécificité d’îlots de taille réduite et de linéaires très précis.

La carte V.15. approfondit encore le niveau de précision de l’information. Les résultats de l’analyse multicritère répartis en 6 types fournissent des clefs de lecture nouvelles quant à la structuration des secteurs centraux de la ville de Lyon. En effet, entre la classification en 5 types et celle en 6 types, quatre profils restent stables : le type 1 dit de « périphérie », le type 2.1. dit « intermédiaire dégradé », le type 2.2. dit « intermédiaire préservé » et le type 3.1. dit de « centralité préservée » restent inchangés.

Carte V-15 : analyse multicritères en 6 types
Carte V-15 : analyse multicritères en 6 types

Seul le profil 3.2. dit de « centralité » se divisent en deux types. Nous distinguons par conséquent le type 3.2.1. caractérisé par des secteurs centraux structurés autours de grands axes. Ces zones bénéficient par conséquent des atouts inhérents à leur localisation centrale (« commerces » (80,2), « transports en commun » (1 045 433), effort de propreté (5,9), équipements scolaires (2,4)), bien que ceux-ci soient plus relatifs (au regard du groupe duquel le profil est issu) mais déplorent à l’inverse de fortes nuisances dues à la circulation automobile (record des valeurs de pollution (51,2), de bruit (70,1), et phénomènes accidentogènes particulièrement marqués (11,6)). Les secteurs concernés par ce profil correspondent essentiellement aux bâtiments habités localisés le long des grandes voies centrales de circulation. C’est par exemple le cas de ceux situés au abord de l’avenue Jean Jaurès (7ème arrondissement), du cours Gambetta (limite entre les 3ème et 7ème arrondissements), de l’avenue Maréchal de Saxe (6ème arrondissement) et des quais du Rhône coté Presqu’île (2ème arrondissement).

Cette classification permet également d’identifier le type 3.2.2. qui s’apparente à un profil typique d’hypercentre urbain. Ce profil se caractérise par une concentration maximale des commodités urbaines. Toutes les potentialités offertes par la ville sont dans ce cas accessibles et le niveau de services et d’équipements est particulièrement élevé (avec des valeurs record pour les potentialités commerciales (85,3), le nettoiement (7,44) et les capacités de déplacement en transports en commun (1 333 902)). Ce profil met en avant les avantages de la centralité sans pour autant pâtir de ses inconvénients car suffisamment éloigné des voies structurantes de circulation. Ce profil fait donc état d’une relative mais sélective préservation des nuisances automobiles. Ces secteurs bénéficient en effet, toutes proportions gardées au regard de leur localisation, d’une exposition plus limitée à la pollution atmosphérique et au bruit de la circulation automobile, mais ils restent néanmoins très fortement soumis aux phénomènes accidentogènes (valeur de 4,4). Ce type 3.2.2. caractérise les territoires, en retrait des grands axes de circulation, de l’hypercentre (de Perrache à l’Hôtel de Ville) et de son prolongement en rive gauche sur le secteur Saxe/Gambetta. Ces secteurs concentrent l’activité et les services et bénéficient de leur attractivité commerciale pour polariser les flux de population. Ce dynamisme et cette attractivité semblent être une explication plausible au caractère accidentogène de ces polarités.

Finalement, cette classification en 6 types permet de préciser notre connaissance de la structure urbaine de la ville de Lyon. Cette typologie permet en effet de hiérarchiser les bâtiments habités en fonction des spécificités de leur voisinage. C’est en étudiant la « position » de chacune de ces entités aux regards des différents critères de qualité de vie préalablement identifiés que l’occasion nous est donnée de repérer les cadres de vie lyonnais en fonction de l’agencement de leurs qualités et de leurs carences. La précision et la cohérence des résultats obtenus viennent confirmer la pertinence de notre démarche. Cette analyse multicritère offre par conséquent la possibilité de transcender l’approche thématique au profit d’une vision transversale non pas de la qualité de vie proprement dite (puisque nous n’identifions pas, dans ce cas, des niveaux différenciés de qualité de vie quotidienne) mais de l’organisation spatiale des critères qui la structurent. Cette perspective de synthèse permet par conséquent de faire évoluer cette image parfois fantasque d’une évaluation globale et quantitative de la qualité de vie. En se donnant la possibilité de construire une image croisée de la qualité de vie, l’expérience menée sur le territoire lyonnais fait la démonstration de la faisabilité technique, de la validité scientifique et de la pertinence des résultats produits. Ces résultats sont d’ailleurs largement confirmés par les connaissances de terrain qui peuvent intuitivement être mobilisées.

Suite à ces trois analyses multicritères et toujours dans le cadre d’une expérimentation des procédés et des modes de restitution de l’information, nous avons cherché à faire évoluer la représentation cartographique des derniers résultats obtenus. Pour ce faire, nous avons utilisé une application de MapInfo permettant d’obtenir une couche jointive en tout point du tissu urbain. La couche d’information représentant le bâti a été convertie en polygone (chaque polygone conservant la valeur de son type). Grâce à la méthode des polygones de Voronoï, nous avons pu affecter de manière jointive et continue la donnée de chaque bâtiment à un objet surfacique issu sur la forme initiale du bâti. Ce procédé permet d’obtenir une zonation complète et renseignée du territoire. La carte V.16. présente ainsi les résultats de la classification en 6 types selon ce mode de restitution de l’information. Entre la carte V.15. et la carte V.16., il ne s’agit pas de faire évoluer la nature des résultats ou de proposer un choix entre ces deux cartographies, il est simplement question d’offrir un mode de représentation différent. Chacun d’entre eux comporte en effet ces propres qualités et présente à son tour un certain nombre d’entrave à l’analyse.

Carte V-16 : essai de zonage
Carte V-16 : essai de zonage

La comparaison des deux cartes montre en effet que la carte V.15. permet de garder un lien entre l’information donnée et la morphologie urbaine. En s’appuyant sur la structure du bâti, la lisibilité du territoire est conservée et la densité urbaine transparaît. Cependant, cette précision géographique engendre un mitage de l’information qui peut parfois nuire à l’appréciation générale du phénomène. C’est par exemple le cas dans l’est de la commune où le niveau de connaissance basé sur le bâti est tellement fin que la contiguïté de typologies différentes devient difficile à saisir, surtout à cette échelle de représentation. Au contraire, la carte V.16. permet par cette méthode des polygones de Voronoï une homogénéisation de l’information sur l’ensemble du territoire. Ce mode de représentation peut alors faciliter l’appréciation visuelle de l’information. Le mitage est dans ce cas moins perceptible et entrave moins la compréhension générale du phénomène. Cependant, l’absence du bâti nuit, à notre sens, à l’appropriation de l’information. La connaissance semble coupée de son lieu d’ancrage, de son armature urbaine.

L’objet de cette comparaison n’est pas d’acter sur la meilleure représentation cartographique. Il s’agit de mettre en débat des modes de représentation différents pouvant se compléter, s’enrichir et servir à des cibles distinctes. Ces expérimentations d’analyse multicritère de la qualité de vie, obtenues par procédé simple d’approche cumulative ou par analyse multivariée, montrent à la fois la faisabilité d’une telle approche (faisabilité technique malgré la taille importante de l’échantillon d’étude) et la pertinence des résultats obtenus. Bien que nous n’ayons pu donner un seul visage à la qualité de vie lyonnaise, ces développements ont néanmoins permis de produire des images transversales et complémentaires de la qualité de vie quotidienne. Le « territoire parfait » n’existe pas. Ces analyses permettent par conséquent d’introduire la notion de « relativité » de la qualité de vie qui reste fonction des priorités, des arbitrages, des choix de vie, des situations familiales,… Finalement, c’est la compréhension de la structuration et de l’agencement des différents critères de qualité de vie entre eux, en termes de complémentarité, de compensation, de cumul qui renseigne sur la qualité de vie elle-même.